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dimanche 6 novembre 2011

Kamerhe : le parcours du porte-étendard de la nouvelle espérance


Sans conteste, la montée en puissance de ce quinqua frais émoulu aura été le principal « succes story » des années 1+4. Avec une rare efficacité, Vital Kamerhe a su passer de l’ombre à la lumière accuser le coup lors des passages à vide ; et garder le front haut suite aux promesses de promotion non tenues.
L’homme est de la race de ceux pour qui l’existence est un combat perpétuel dont le rythme fait battre le sang de la vie. Inlassablement, il a travaillé, développé un côté populaire, usé du populisme, et soigné en même temps l’image d’un homme d’Etat, sachant bien qu’un jour, son heure sonnera.
Mme Babandoa, 2ème Secrétaire général adjointe
Pourtant, sous la Transition du Maréchal, ce diplômé d’Economie rurale et assistant d’Economie politique à l’Université de Kinshasa, n’avait été qu’un cadre secondaire de l’Usoral/Urd, l’aile modérée de l’opposition, fidèle à Léon Kengo wa Dondo. C’est sous ces couleurs qu’il parvint à la direction du cabinet du Ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire, Mushobekwa  Kalimba wa  Katana, issu du RSF du Pr Lunda Bululu. Mais sa vraie - et lente - ascension allait commencer avec le déclenchement de la deuxième guerre, celle d’Août 1998. Conseiller du général Denis Kalume, il fait connaissance, fin août, avec un jeune commandant nommé Joseph Kabila - le même lors de la défense de l’aéroport de Kinshasa sous les coups de boutoir d’une rébellion RCD plus que déchaînée. La sympathie mutuelle naît immédiatement, et l’officier instruit le civil Kamerhe, qui avait failli, quelques minutes plus tôt, être canardé par des soldats zimbabwéens, de porter lui aussi l’uniforme pour éviter ce genre de désagrément qui pouvaient lui être fatale sur le théâtre des opérations. Peu après, au cours de la conférence de Victoria Falls au Zimbabwe, c’est au tour du père du jeune commandant, Mzee Laurent Désiré Kabila, de découvrir le talent - et la vitalité - du jeune Vital Kamerhe. Devant plusieurs chefs d’Etat, ce dernier est invité à expliquer le contexte de la guerre qui sévit en Rdc. Le Mzee en fut tout impressionné.

« Trop médiatique»
De retour au pays, le Mzee fait de lui le commissaire général adjoint au Commissariat général du gouvernement en charge de la Monuc, où il seconde le Pr Ntwaremba, aux côtés de Vangu Mambweni ma Busana. Le poste n’assure guerre une grande visibilité, mais Kamerhe sait se faire adopter par les médias, y compris par les journaux de la presse dite rouge, celle opposée, à l’époque, au régime. A la mort du Mzee, le jeune commandant de l’aéroport, devenu entre-temps général major, accède à la présidence de la République. Homme terrain, il ne se fait aucune illusion sur une hypothétique victoire militaire, et se décide de négocier le retour de la paix avec les mouvements rebelles RCD et MLC. Kabila junior se rappelle alors de Vital Kamerhe, qu’il convoque et à qui il promet le ministère des Affaires étrangères dans l’objectif bien compris de conduire le processus de paix. L’homme croit son jour de gloire arrivé. Costumes de chez Gucci, souliers de chez Weston et Beaujolais nouveau sont apprêtés pour la grande fête. Jusqu’au jour où, la veille, Kabila le convoque à nouveau. Pour lui dire que sa décision avait changé. Ses conseillers l’ayant convaincu que, Kamerhe étant top médiatique, il risquait de faire ombrage à tout le gouvernement s’il parvenait à diriger la diplomatie congolaise en ces temps de guerre. Il devra donc se contenter d’un petit commissariat général chargé du Dialogue inter congolais...
Contre mauvaise fortune bon cœur, Vital accepte, et très vite, il fit de son tout nouveau commissariat l’épicentre d’une diplomatie congolaise tournée vers les négociations à venir. C’est vers ses bureaux, et nulle part ailleurs, que vont diplomates en mission en RDC ou accrédités à Kinshasa, De fil en aiguille, c’est Kamerhe qui conduit la composante Gouvernement au Dialogue intercongolais avec le succès que l’on sait : outre que Joseph Kabila, légitimé par tous, est confirmé à son poste, mais en plus la composante obtient une vice-présidence de la République, ainsi que les ministères les plus importants au plan politique — intérieur — et économique — les Finances. Pendant que la présidence du Sénat, ainsi que la présidence de toutes institutions citoyennes sont confiées à des membres de la Société civile alliés. Kabila est aux anges. Il promet à Kamerhe le poste de vice-président de la République en charge de la Reconstruction et du Développement. Vital Kamerhe est heureux. Encore une fois, c’est l’attente de la grande fête. Cette fois-ci, les costumes sont de chez Balenciaga, maître incontesté du genre, les souliers de chez Lobb, alors que le champagne grand cru remplit le frigidaire. Le coeur bat la chamade. Jusqu’au jour où Kabila le convoque. Pour lui dire que sa décision avait encore changé. En réalité, ses conseillers, Katumba Mwanke en tête, ont estimé qu’il fallait confier le poste à un vieil homme sans grande ambition, et qui ne peut nullement être un rival pour le chef. Le patriarche Tidiane Dioh Yerodia Ndombasi fera l’affaire. Kamerhe doit quand même se consoler car Kabila lui promet, en échange, le plus grand ministère que la composante a obtenu dans l’Accord de Sun City : Intérieur, Sécurité et Décentralisation. Jusqu’au jour où Kabila le convoque (encore !) pour lui signifier que ses conseillers, lui ont dit que Vital Kamerhe méritait plutôt le ministère de l’Information, étant donné qu’il parle toutes les langues nationales du Congo. On a beau chercher le rapport... mais enfin!
Prophète dans son pays
L’homme prend ainsi le ministère de l’Information où, visiblement, il se sent à l’étroit. Entre-temps, Kabila a lancé son parti, le Pprd. Mais il peine à décoller. A sa tête, Chikez Diemu semble tétanisé. Déçu, le président de la République décide de confier sa direction à un autre membre de son pré-carré, plus efficace. Mais nul ne voulait abandonner son juteux maroquin. Le chef de l’Etat allait avoir droit à un anthologique « pas moi, dit Théophile, ni moi, dit Augustin », comme dans la fable de « la poule, le canard et la tortue ». Après s’être excusé de n’avoir jamais tenu un seul meeting de sa vie, Théophile Mbemba, ministre de l’intérieur, proposa carrément de confier le poste à Kamerhe, au motif que lui au moins, il sait parler aux foules !
Voici donc Kamerhe à la tête d’un Pprd sans aucun moyen. Devenu l’égérie du régime, c’est Katumba qui doit délier les cordons de la bourse, et il ne se hâte guère. Mais Kamerhe n’est pas homme à se ronger le frein. Avec un peu d’argent emprunté à un homme d’affaires ami, il affrète un vieil Antonov, et le voilà parti à la conquête du Bas-Congo. De Kansangulu à Moanda, en passant par Mbaza-Ngungu, Matadi et Borna, il harangue les foules en Kikongo, et la tournée est un franc succès. Un mois plus tard, il récidive au Kasaï occidental, avec, encore une fois, un peut d’argent emprunté à une amie. Le voilà parlant aux foules en Tshiluba. Dans la citadelle tshisekediste imprenable, c’est un franc succès. Plus que chez les adversaires qui s’inquiètent, la hargne viendra de sa propre famille où l’on ne décolère pas contre ce jeune leader porté par ses triomphes en provinces fort bien médiatisées.
Mais sa base, Vital Kamerhe l’installe dans l’Est du pays gagné à l’anti-Rwanda. L’homme est ressortissant de l’ethnie Shi, la plus importante numériquement au Sud-Kivu. Les Bashi, étymologiquement « gens de la terre », tiennent plus que tout à leurs terres. S’il a fait le tour du Congo, suivant chaque fois son père cadre de la Cadeco muté aux quatre points cardinaux du pays, c’est dans la socialisation Shi que le jeune Vital a forgé son caractère, Ici, les larmes sont rares et la bravoure une vertu. Les Shi sont courageux, parfois téméraires, sans nul souci du danger, mais ils sont d’une incroyable susceptibilité devant le mépris et l’insulte. Tout au long de l’histoire, ils ont toujours su défendre leurs terres contre l’hégémonisme des puissants rois du Rwanda voisin qui, de Yuhi II à Lwabugiri, en passant par Gahindiro, n’ont eu de cesse de convoiter leurs vastes pâturages. Malgré les nombreuses dissensions intérieures qui minaient la vie politique des descendants de Namuhoye, la reine fondatrice du Bushi, les Rwandais. pourtant brillants soldats, ne purent se les soumettre. Qu’ils soient de Kabare ou de Ngweshe, les intrépides guerriers Shi, glaives enrubannés de peaux de loutres, ont toujours tenu tête. Leur mémoire a laissé un sentiment de fierté et de nationalisme toujours vivace jusqu’aujourd’hui. C’est sur ces terres pétries des traditions nationalistes que Kamerhe s’en va prêcher, et, pour une fois, le prophète est prophète parmi les siens. Ici la guerre a fait ravage, et laissé plusieurs blessures sur le coeur. Comme porté par Lyangombe, l’esprit supérieur Shi, Kamerhe va saisir l’occasion. Personnage charismatique et tribun hors pair, il séduit des larges couches de populations par un discours radical, sans concession, voire boutefeu. Il déborde de son Sud-Kivu, et établit une forte base populaire de la province Orientale au Maniema, en passant par le Nord-Kivu : et le Sud-Kivu. Désormais, le leader d’opinion, celui qui montre la voie à suivre, c’est lui et nul autre. Et la voie qu’il montre, c’est le vote Kabila. Le chef de l’Etat le nomme d’ailleurs directeur de sa campagne. Ce qui l’empêche de battre sa propre campagne comme candidat député à Bukavu. N’empêche : il est élu très brillamment, avec près de 95.000 voix. A l’échelle nationale, il est deuxième de toute l’histoire du pays, juste après le Lushois Moïse Katumbi. Il prouve ainsi son ancrage populaire en tant que leader. Mais ses adversaires au sein du sérail n’en ont cure : quelques mois plus tôt, ils avaient créé l’Amp et l’avaient confiée à André Philippe Futa, chef d’un petit parti nommé Panu. Volonté d’humiliation ? Peut-être. Mais à l’arrivée, aux législatives, Kamerhe fait 111 députés (plus de 20 % des élus de la chambre, une vraie prouesse dans un système à la proportionnelle), alors que le Panu n’en récolte que 4 pendant que son chef se faisait battre chez lui à Miabi.

Artisan de la victoire
Faute d’avoir obtenu la primature, Vital Kamerhe, désormais admis comme le principal artisan de la victoire de Joseph Kabila et du Pprd aux élections, est porté à la présidence de l’Assemblée nationale. Mais il s’est fait fort de poser une condition : l’Assemblée nationale devrait jouer pleinement son rôle, et ne jamais devenir une simple chambre d’enregistrement de type Conseil législatif de l’ère Mobutu. Et c’est un nouvel homme que les Congolais découvrent alors. Conciliant, il séduit surtout par ses compétences. Avec lui, l’opposition a droit de cité. Et tant que faire se peut, il tient à ce que les décisions de la chambre recueillent l’assentiment de tous. C’est lui Kamerhe qui déjoue la manœuvre de l’Amp visant à déchoir le député Bas-congolais Zacharie Ne Muanda Nsemi Badiengila en vue de le traduire en justice. Tout cela lui attire la sympathie des franges importantes de la population, y compris dans l’Ouest, portant hostile au régime. E janvier 2008 à Goma, si l’abbé Malumalu est président de la Conférence sur la paix dans les deux Kivu, c’est encore lui Kamerhe qui en est le véritable maître d’œuvre, prêchant sans relâche la réconciliation entre les fils et filles de la région, ainsi que la paix entre la Rdc et ses voisins. Sur Afrika TV où, en direct, Kinois et Bas-Congolais doivent voter le meilleur député national en juillet 2008, c’est lui qui est plébiscité. Si loin de ses terres du Kivu. Son audience va crescendo, là où celle de Kabila, empêtré dans des 5 chantiers qui ne décollent guère, baisse constamment. Les conseillers du chef de l’Etat font comprendre à ce dernier qu’il doit clairement faire comprendre à tous, particulièrement à Kamerhe, qu’il est le seul chef, et qu’il n’existe pas deux chefs au Congo. Ont-ils perçu un danger ? Dans tous les cas, Kamerhe n’est pas la voix de son maître, c’est un homme qui a une forte personnalité, donc un chef à part entière. Or, chez les Shi, on dit « Abami babiri barhabalamirana » - deux rois ne se promènent pas ensemble, autant que deux crocos ne peuvent tenir dans un même marigot. Le sort de Kamerhe est scellé lorsqu’il dénonce, début 2007, dans une interview à Jeune Afrique, le « clan katangais » qui, selon lui, veut prendre en otage le chef de l’Etat. Son départ du bureau de l’Assemblée nationale deux ans plus tard a au moins un mérite : celui d’avoir renforcé plus que jamais sa popularité dans l’opinion.
Depuis lors, Vital Kamerhe a créé son propre parti : l’Unc, Union pour la nation congolaise. A ses côtés, du gros gabarit, du lourd : l’ancien député et gouverneur de l’Equateur Jean-Bertrand Ewanga, l’ancien député et gouverneur du Kasaï occidental Claudel-André Lubaya, les anciens députés Justin Bitakwira - Uvira -, l’ancienne ministre des TransComs Odette Babandoa, l’ancien général chief of staff  Dieudonné Kayembe etc. En moins d’une année, l’Unc s’est implanté sur l’ensemble du territoire national, et s’est imposé dans le paysage. Pour les législatives, ce parti a aligné 434 candidats issus de toutes les 11 provinces, et se classe deuxième du pays, juste après le Pprd.
Une nouvelle lune
A deux mille kilomètres de Kinshasa, sous les lueurs blafardes d’une lune qui disparaît, les ouragans soufflent sur les crêtes des collines escarpées du Sud-Kivu. Un vieil homme, qui n’a pas vu passer ces chantiers tant vantées par-là, pense déjà à 2011. Dans ses mains, un «nzenze», cithare sur bâton à deux cordes. D’une main il pince des doigts les cordes en nerf de boeuf, pendant que l’autre, il appuie sur les saillis pour donner des sons harmonieux et mélancoliques. « Omwezi erhi gurenga oku nkuba, ogundigukuje », chante-t-il. « Quand la lune ne brille plus dans le ciel, une nouvelle arrive. Mais ceci est une autre histoire.

BELHAR MBUYI

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