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mercredi 30 mai 2018

Joseph Kabila a-t-il le droit de se représenter aux élections du 23 décembre prochain ?

Le débat fait rage au sein de la classe politique, la société civile et entre les praticiens du droit. Me Mpiana Kabeya donne de la voix et s’invite au débat.

Acte 1 : « Du nouveau comptage des mandats présidentiels suite à la révision constitutionnelle intervenue le 20 janvier 2011 et ce, au nom de l’immédiateté et de la non-rétroactivité de la loi nouvelle », une thèse fausse et impertinente.
Les faits
D’après MIRINDI, le chercheur, il est possible que le Président de la République en exercice, Joseph KABILA KABANGE, puisse compétir à l’élection présidentielle du 23 décembre 2018 car, dit-il, ce dernier est en train de consommer son premier mandat et que par conséquent, un deuxième et dernier mandat reste entièrement probable.
Il fonde sa réflexion sur le fait qu’à son entendement, la loi n°002/2011 du 20 janvier 2011 portant révision de certaines dispositions de la constitution serait à la base d’une fraude à la constitution. Cette fraude, soutient-il, a consisté en ce qu’en modifiant l’article 71 de la constitution, « le constituant a touché incidemment la durée et le nombre » des mandats du Président de la République, matières pourtant intangibles, non soumises à une quelconque révision.
Ainsi, argue-t-il, qu’au nom du principe de l’immutabilité constitutionnelle, le fait d’avoir modifié l’article 71 sus évoqué, le constituant a aussi changé le régime juridique de l’élection présidentielle. Si en 2006, le constituant prévoyait une élection présidentielle à deux tours (si au premier tour, aucun de candidats n’obtient la majorité absolue, les deux premiers candidats se présentent au second tour et celui qui a le plus de voix est proclamé président de la République), en 2011, explicite-t-il (notre chercheur), le Président de la République est élu à la majorité simple des suffrages exprimés.
A cet effet, et en vertu du principe de parallélisme de forme et de compétence (la forme d’après lui étant, le passage de deux tours à un tour et la compétence, étant le passage de la majorité absolue à la majorité simple des suffrages exprimés), le mandat exercé par le Président en exercice, Joseph KABILA KABANGE, de 2006 à 2011, n’est pas à prendre en compte, il a été supprimé, et que la révision de l’article 71 a entraîné le début d’un nouveau comptage. C’est dans ce contexte qu’il évoque les principes de l’immédiateté et de la non-rétroactivité de la loi nouvelle. La loi du 20 janvier 2011 étant ainsi nouvelle, elle a dit-il, un effet immédiat sur les dispositions de la constitution du 18 février 2006 concernées par la révision.
Ce raisonnement de notre chercheur, MIRINDI, ne saurait nous laisser indifférents. Il s’agit d’une question d’intérêt national. Il est de notre devoir scientifique de réagir et de démontrer, s’il échet, les hérésies qui émaillent la réflexion de notre chercheur sus indiqué. Notre contribution se veut être, à n’en point douter, exclusivement scientifique, et est rédigée de manière à permettre à la majorité de congolais de se faire une idée précise du débat suscité par Monsieur MIRINDI.
Et Pour vous permettre de comprendre les dérapages scientifiques de ce dernier, nous vous proposons une série d’analyses qui aborde, au fil des jours, les différents aspects de cette tentative d’assassinat scientifique du droit constitutionnel congolais. Ce premier acte est ainsi relatif à la thèse du « nouveau comptage des mandats présidentiels suite à la révision constitutionnelle intervenue le 20 janvier 2011 et ce, au nom de l’immédiateté et de la non-rétroactivité de la loi nouvelle ».
Nos avis et considérations
D’après notre chercheur, MIRINDI, la loi n°002/2011 du 20 janvier 2011 portant révision de certaines dispositions de la constitution a, en vertu des règles régissant les conflits de lois, un effet immédiat sur les dispositions constitutionnelles ayant fait l’objet de modification. Il s’appuie ainsi sur cet « effet » pour justifier que dès la promulgation de la loi n°002/2011 du 20 janvier 2011, et puisque l’article 71 auquel il associe à tort les articles 70 et 74 de la constitution, a été concerné par la révision, il y a l’obligation de reprendre à zéro le comptage des mandats présidentiels. Il dit exactement ceci : « la règle nouvelle a comme incidence première, dès qu’elle entre en vigueur, de tuer juridiquement les effets juridiques de l’ancienne règle […] les effets de l’ancienne règle cessent d’exister dans le présent ».
C’est ici qu’il convient de recadrer notre chercheur qui, malgré ses multiples fouilles scientifiques, n’arrive pas à faire la distinction entre l’effet rétroactif et l’effet immédiat et qui, de manière inexact affirme que la loi du 20 janvier 2011 a comme conséquence d’abolir pour le passé les effets de la loi ancienne.
MIRINDI doit comprendre que l’application immédiate de la loi nouvelle conduit à ce que jusqu’à promulgation de celle-ci, l’on est régi par la loi ancienne, et aucun effet de celle-ci n’est mis en cause. (NYABIRUNGU mwene SONGA, Droit pénal général zaïrois, Kinshasa, Droit et Société, 1989, p. 69).
Concrètement, dans le contexte du débat suscité par notre chercheur, la venue de la loi du 20 janvier 2001 ne saurait, au nom de l’effet immédiat, effacer les effets de l’article 71 de la Constitution dans le cadre de l’élection présidentielle organisée en 2006.
Etant donné qu’il veut faire croire à l’opinion que tout ce qui ce a été fait en 2006, à propos de l’élection présidentielle, a cessé d’exister dès l’entrée en vigueur de la loi du 20 janvier 2011, faudrait-il considérer qu’il n’y avait pas élection présidentielle en 2006 ? Doit-on soutenir que le Président KABILA n’a pas été élu en 2006 ? Faudrait-il alléguer qu’il n’y avait pas 33 candidats au premier tour et deux candidats au second tour ? Est-il en mesure de nous dire sur fond de quoi Monsieur Joseph KABILA a « prétendu » être président de la République de 2006 à 2011 ?
Il s’agit là, en réalité, des effets qu’a produits l’article 71 de la constitution avant sa révision. « Ce qui conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément » ;
« Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et on peut même ajouter, s’il nous est permis dans le contexte du sieur MIRINDI que n’est pire abruti qu’un juriste prétendument formé qui ne veut pas comprendre les notions de base du droit constitutionnel » ;
A MIRINDI de comprendre que l’immédiateté de la loi nouvelle (article 1er de la loi du 20 janvier 2011), qu’il évoque pour justifier le nouveau comptage des mandats présidentiels, ne signifie pas la table rase des actes ayant déjà été accomplis sous l’empire de l’ancienne loi (article 71 de la constitution du 18 février 2006). Une telle solution créerait, sans aucun doute, une réelle insécurité juridique. Il serait contraire aux intérêts de la société si tous ces actes (ceux accomplis sous l’ancienne loi) pouvaient être anéantis d’un coup par la promulgation de la loi nouvelle.
La sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Il n’est pas permis à Monsieur KABILA de briguer un mandat de plus, second mandat soit-il selon notre fameux et affamé chercheur ; il lui est interdit de briguer un troisième mandat, tel est le substrat de l’immutabilité constitutionnelle que consacre avec clarté et précision l’article 220 de la constitution.
De même, la sécurité juridique, en tant que régulateur de l’exercice du pouvoir normateur, répond à un désir d’ordre dans les rapports juridiques nécessairement évolutifs, et correspond finalement à la possibilité reconnue à toute personne d’évoluer dans un environnement juridique sûr parce qu’à l’abri des aléas et des revirements impromptus affectant sa situation. Ce que propose MIRINDI, soit le nouveau comptage des mandats présidentiels sur fond de l’immédiateté de la loi nouvelle, est un mensonge scientifique ; Son argumentaire creux et vide de tout contenu ne repose sur aucune méthode d’interprétation de la règle de droit.

Qu’as-tu fait Monsieur le chercheur des méthodes exégétique et téléologique ?
Nous osons croire que tu les méconnais sciemment car les appliquer à ta réflexion, c’est battre en brèche tes faibles et fallacieux moyens.
La méthode exégétique consiste à dégager des textes constitutionnels, conventionnels, législatifs et réglementaires, l’esprit de leurs rédacteurs en vue d’en saisir les limites et l’étendue que ces derniers fixent à leur application (DELNOY P. Eléments de méthodologie juridique. 1. Méthodologie de l’interprétation. 2. Méthodologie de l’application du droit, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 29.). Dans cet ordre d’idée précise Charles PERELMAN, le chercheur s’oblige de ne pas se dérober de la vision légaliste qui l’amène à scruter le cœur et les reins des textes juridiques dans le seul but de ressortir la pensée de leurs auteurs (PERELMAN Ch., Logique juridique, nouvelle rhétorique, Paris, Dalloz, 1999, p. 24.).
Néanmoins, il faut sans doute avouer que la méthode exégétique ne suffit pas en elle-même, car elle fait croire, souligne BERGEL Jean-Louis, que « pour rechercher la volonté du législateur et appliquer la loi, il fallait rechercher sa signification et sa portée, par la seule analyse du texte lui-même, à l’aide, au besoin des travaux préparatoires » (BERGEL J-L, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz,3ème éd, 1999, p. 248.). De ce fait, précise MATADI NENGA GAMANDA, la méthode exégétique tend à établir le droit comme une science de la nature, en ce que prendre la loi et l’appliquer aux faits établis ressemble à un calcul, à une pesée (MATADI NENGA GAMANDA, Eléments de philosophie du droit, Kinshasa, Droit et idées nouvelles, 2015, p. 52). Voilà qui légitime le recours à la méthode téléologique. Celle-ci, d’après les termes de KIENGE KIENGE INTUDI, consiste à « éclairer le texte par le but que le législateur poursuit à travers lui » (KIENGE KIENGE INTUDI R., Initiation à la recherche scientifique, notes polycopiées, Kinshasa, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 2009-2010, p. 71). En effet, expose DELNOY, « la loi est un instrument d’orientation des comportements sociaux. Lorsqu’il prend une loi, le législateur a, en principe, une intention politique, une idée sur l’évolution qu’il veut imprimer aux comportements des citoyens. C’est par cet objectif qu’on éclaire le sens du texte à interpréter » (DELNOY P., op.cit., p.172).
Ainsi en soutenant que l’application immédiate de la loi nouvelle annihile les effets « ab initio » de l’ancienne loi, et qu’il faille reprendre le comptage du nombre des mandats présidentiels, MIRINDI veut faire gober à toute la nation une hérésie scientifique. La révision constitutionnelle du 20 janvier 2011 a produit des effets à partir de la promulgation de la loi y afférente et pour l’avenir (effet ex-nunc). Il reste donc qu’au regard de l’effet immédiat qu’il évoque sans en cerner les contours, le premier mandat exercé par l’actuel chef de l’Etat, de 2006 à 2011, doit être pris en compte.
Si seulement notre chercheur était honnête et lucide, il n’allait pas se fourvoyer dans la recherche effrénée d’une nouvelle théorie du nouveau comptage des mandats présidentiels sur fond de l’immédiateté de la loi nouvelle.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme !
Maitre MPIANA KABEYA