APO

mercredi 4 décembre 2019

Quand nous regardons le Ministère des Affaires Etrangères, nous constatons qu’il est effectivement à terre (Marie Tumba Nzeza)


Adresse de la Ministre d’Etat, Ministre des Affaires étrangères aux fonctionnaires de son Ministère

Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames et Messieurs les Agents et Cadres du Ministère des Affaires Etrangères et Congolais de l’Etranger,
Je tiens à vous féliciter pour l’organisation de cet événement qui nous permet de nous rencontrer enfin, et de vous remercier de vive voix de l’accueil chaleureux que vous nous avez réservé depuis notre prise de fonction en septembre dernier.
C’est, pour le Vice-ministre et moi-même, un grand honneur de nous trouver à la tête de ce grand Ministère et d’avoir, de ce fait, l’opportunité de travailler avec vous main dans la main, afin de matérialiser la volonté de changement que nombreux d’entre vous ont exprimé dès nos premiers contacts.
Monsieur le Secrétaire Général,
Les maux qui rongent le Ministère des Affaires Etrangères sont innombrables. Vous en avez énuméré quelques-uns.
Le problème majeur de notre pays est celui de son image, image qui a été tellement malmenée, aussi bien dans notre propre environnement, dans la région, en Afrique, que dans le monde. Pendant de longues années, nous avons été un pays à terre. Donc, il y a un travail à faire pour nous relever. Le monde entier nous a vus à terre ; maintenant nous devons faire en sorte que le monde nous voit debout. C’est ce travail-là que nous avons à accomplir aux Affaires Etrangères.
Cela ne sera pas facile. Quelqu’un qui a été anéanti et qui essaie de se relever, tombera et retombera encore. C’est une détermination de fer que nous devons avoir pour faire ce travail de relèvement. Nous devons acquérir une nouvelle et plus forte opiniâtreté pour effectuer ce travail. De ce fait, nous devons savoir que nous serons combattus. Mais, pour rien au monde nous ne devons-nous décourager.
Nous avons le devoir de montrer au peuple congolais et au monde, que nous, congolais, nous sommes capables de nous relever par nos propres efforts. Penser et faire ainsi nous donnera une image positive de nous- mêmes et de ce fait, nous allons refléter à l’extérieur cette nouvelle image.
Il y a un parallèle à faire entre le fait que notre pays est à terre et notre Ministère.

Quand nous regardons le Ministère des Affaires Etrangères, nous constatons qu’il est effectivement à terre.
Pourquoi je dis que notre Ministère est à terre ?
C’est en raison de toutes les « antivaleurs » qui sont dénoncées dans notre pays, lesquelles ont pris place au sein du Ministère des Affaires Etrangères. Doit-on les citer ?
Epinglons-en quelques-unes :
La corruption ;
Le clientélisme ;
Le trafic d’influence ;
La disparition des documents qui nous sont envoyés ;
L’extorsion de petits montants aux visiteurs pour un « bonjour » ou un « aurevoir » ;
A l’extérieur du pays :
Une de nos ambassades jouxtant un lieu de plaisir ;
La spoliation du patrimoine de l’Etat congolais par la vente d’immeubles abritant nos ambassades ou nos représentations diplomatiques au bénéfice de certains individus à l’insu du Ministre ou de ses mandataires ;
Le vol des recettes générées par la vente des visas, des passeports et autres imprimés de valeur...
Bref, toutes les antivaleurs contre lesquelles nous sommes en train de lutter, au pays, sont « valablement » représentées au sein de notre Ministère.
En outre, nous pouvons aussi constater que nombre de difficultés et de problèmes qui émergent au sein du Ministère des Affaires Etrangères sont la conséquence des pratiques liées auxdites antivaleurs.
De la privatisation de l’Etat de son dû, par certains, découle une gouvernance administrative calamiteuse, avec comme conséquences, en ce qui concerne notre Ministère, ce qui suit :
L’existence d’un personnel flottant dont la mécanisation se fait toujours attendre ;
Des primes instituées mais dont le paiement pose problème ;
L’octroi de missions sans nécessairement tenir compte ni des compétences ni de
l’expérience et encore moins de la maîtrise des dossiers ;

L’intégration dans le corps des diplomates de personnes sans diplômes ou sans numéro matricule ;
L’envoi d’intrus, membres de famille ou amis sans qualification avérée, en postes diplomatiques ;
Des arriérés de salaires et autres dettes de nos Diplomates ;
Des engagés locaux au sein de nos ambassades sans rémunérations pendant
des années ;
Des Chancelleries, des résidences de Chefs de Missions et autres diplomates
dont les loyers ne sont plus payés depuis des lustres ;
Des familles de diplomates en fin de carrière ou rappelés, mais oubliés à
l’étranger sans moyens de vivre dignement ;
Des diplomates morts et dont les corps sont abandonnés, semble-t-il, dans des
morgues à l’étranger...
A travers cette énumération, non exhaustive du reste, paraissent, chers membres, agents et cadres du Ministère des Affaires Etrangères, les nombreuses et diverses difficultés que beaucoup d’entre vous vivent.
Tout ceci illustre à suffisance l’ampleur des défis qui sont les nôtres, vous et moi.
Sous d’autres cieux, un ou une Ministre entrant n’a pratiquement qu’un souci : affirmer sa vision et présenter son programme d’action.
Chez nous, en revanche, plus particulièrement en ce qui concerne le Ministère des Affaires Etrangères, c’est avant tout un monceau de problèmes qui vous assaille. Mais nous n’avons le droit ni de nous montrer faibles et encore moins de nous décourager ; bien au contraire, ces défis constituent la source de l’énergie qui doit nous animer toutes et tous.
J’en appelle ici à la conscience de chacune et de chacun d’entre nous ; la participation active de tous les fonctionnaires est requise pour redorer notre image propre, celle de notre Ministère et par devers lui, l’image de notre cher pays. Je vois bien que le Ministère des Affaires Etrangères regorge de femmes et d’hommes très compétents, travailleurs, dévoués, qui ne demandent qu’à être mis dans des conditions sociales et professionnelles dignes, afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes.

Monsieur le Secrétaire Général,
Vous avez souhaité que je sois « la muse, l’inspiratrice » pour plus de justice, plus d’équité dans la recherche de l’excellence à laquelle tous les agents et cadres du Ministère aspirent.
J’accepte et je tiens à assumer effectivement le leadership de notre Ministère afin que ce dernier devienne une figure de proue pour notre pays. A cet effet, je vous demande instamment que nous nous mettions tous d’accord sur les actions à entreprendre.
Personnellement, j’en voie déjà quelques-unes :
La première c’est de tout faire pour qu’enfin les textes qui créent et organisent le fonctionnement de vos services, à la Centrale et à l’extérieur du pays, soient respectés et appliqués avec la plus grande fermeté. Cela implique aussi la mise à niveau de tous ces instruments juridiques, pour les adapter à l’environnement diplomatique qui a beaucoup évolué.
C’est également la formation et le recyclage du personnel diplomatique, administratif et technique. A cet effet, l’Académie Diplomatique sera redynamisée et renforcée.
C’est, enfin, l’instauration des mécanismes efficaces de lutte, sans merci, contre le clientélisme, le tribalisme, le favoritisme, l’accaparement indu des deniers publics et l’impunité, car ce sont là les tares qui ont ouvert la porte à l’anarchie et aux désordres de tous genres, dans un Ministère considéré, sous d’autres cieux, comme le réservoir de l’élite et de l’excellence.
Par ailleurs, dans de nombreux domaines, le Ministère des Affaires Etrangères est resté figé.
Ainsi, en ce qui concerne la structure organique du Ministère, les mêmes services créés il y a plus de trente ans continuent de fonctionner pratiquement selon le même format d’antan et avec les mêmes attributions. Ce cheminement a engendré un immobilisme incompréhensible, quand on sait que les relations internationales ont, entre temps, été affectées par des événements majeurs et des changements de grande ampleur. Citons à titre d’illustration :
- La mondialisation ;
- Les changements climatiques ;
- Les objectifs du développement durable ;
- La montée du terrorisme...

Il faut ajouter à cela que notre pays, engagé sur la voie de la démocratie, n’a plus les mêmes priorités qu’elle avait sous les régimes monolithiques.
Tous ces changements ont accru le volume des échanges entre différents Etats, créés de nouveaux besoins et de nouvelles opportunités de développement pour tous les pays. Ils ont aussi fait apparaître de nouvelles branches scientifiques dont le développement s’accroît sans cesse, au point que tous les diplomates à travers le monde sont confrontés à ces nouveaux enjeux.
Notre Ministère observe toutes ces mutations sans y participer et sans engager les réformes qui lui permettraient de jouer un rôle décisif dans les batailles du futur. Non seulement il n’a pas tenu compte de ces nouvelles disciplines dans le réaménagement de ses services et dans le recrutement des agents, mais aussi il n’a pas non plus créé de nouveaux corps de métiers spécialisés, capables de répondre à ces nouveaux défis.
Le même immobilisme est observé en ce qui concerne le nombre et la localisation de nos missions diplomatiques à l’étranger.
Toutes les mutations sus-évoquées ont dans certains cas, rendu non pertinents des arguments jadis évoqués pour ouvrir des missions diplomatiques et dans d’autres, totalement modifié la nature et l’intensité des relations entre Etats. Toutes ces évolutions devraient conduire la République Démocratique du Congo à revoir la liste de ses représentations à l’étranger, à fermer des ambassades et à en ouvrir d’autres, à accroître sa présence dans certains pays, et à la réduire dans d’autres.
En substance il s’agit d’être proactifs, au regard des nouveaux enjeux de la diplomatie moderne et aux nouveaux besoins de l’Administration congolaise.
Notre Ministère des Affaires Etrangères a 62 Ambassades, 2 Représentations permanentes et 4 Consulats généraux. La répartition de ces missions n’a pas été revue depuis très longtemps, de sorte qu’elle ne reflète plus les ambitions actuelles de la diplomatie congolaise. La moitié de ces missions se trouve en Afrique ; ce qui n’est pas pour déplaire aux panafricanistes comme moi. Mais devant également poursuivre des objectifs de croissance et de développement durable, la République Démocratique du Congo doit impérativement tourner son regard vers tous les pays considérés comme des modèles de progrès et d’excellence.

En ce qui concerne les services administratifs, il nous faut rapidement y engager des réformes fortes, pour les adapter à l’environnement diplomatique actuel, caractérisé par de nouveaux enjeux et de nouvelles opportunités. Alors que, pour la défense des intérêts nationaux, elle est censée jouer les premiers rôles dans les batailles diplomatiques, l’Administration des Affaires Etrangères est aujourd’hui confinée dans la figuration et les fonctions marginales, comme les passeports et les visas.
En ce qui concerne les communications, il y a une nécessité urgente de mettre en réseau tous les services diplomatiques de notre pays : ceux de l’Administration centrale et ceux situés à l’étranger. Le Ministère doit disposer, pour cela, de canaux totalement sécurisés, pour la transmission des notes internes et pour faciliter les échanges avec les différents acteurs diplomatiques du pays. Quand on constate que les messages diplomatiques de la République Démocratique du Congo naviguent dans des réseaux sociaux ouverts au grand public, comme Yahoo, Gmail ou Hotmail, on comprend à quel point le pays est vulnérable et sans défense. C’est une situation qui doit être réglée dans les plus brefs délais.
A côté du site web, le Ministère doit réactiver l’usage de la valise diplomatique, pour la transmission des colis et des messages sensibles. La valise diplomatique est un outil indispensable pour les échanges entre la Centrale et son réseau extérieur. Certaines informations et certains objets ne peuvent, en effet, être acheminés que par ce moyen, pour des garanties de confidentialité.
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames et Messieurs les Agents et Cadres du Ministère des Affaires Etrangères et des Congolais de l’Etranger,
Au-delà de ces réformes que nous devons opérer, je voudrais insister sur le fait que dans les Etats modernes, toute action publique doit avoir une finalité précise, et les moyens que l’Etat y affecte doivent être évalués avec rigueur et fermeté.
En ce qui concerne la diplomatie, tout ce que vous avez annoncé, Monsieur le Secrétaire Général, c’est-à-dire, le recrutement des agents, leur promotion, l’intégration au sein du corps diplomatique, l’ouverture des missions diplomatiques ou des postes consulaires, le nombre et le rang des agents à envoyer en poste, les biens meubles et immeubles affectés au fonctionnement de la Centrale et des postes diplomatiques, tout cela doit répondre à des besoins clairement identifiés et contribuer à la satisfaction de l’intérêt général.

Toutes les actions diplomatiques doivent en effet s’inscrire dans un projet gouvernemental précis, avec une division du travail et une répartition des tâches réfléchies. Le diplomate muté à l’extérieur doit avoir une mission définie et des moyens affectés à cette fin.
A la Centrale et dans les missions diplomatiques et consulaires, des objectifs à court, moyen et long terme seront assignés à chaque Direction, à chaque poste d’emploi, et des tâches explicites, détaillées, seront confiées à chaque agent. Sur cette base sera organisée l’évaluation tant des Agents que des Cadres.
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames et Messieurs les Fonctionnaires du Ministère des Affaires Etrangères et Congolais de l’Etranger,
Tout ce que nous disons dans cette salle ne sera réalisé que si nous mettons fin à ce climat général d’impunité et de laisser-aller que j’ai évoqué tout à l’heure.
Si nous arrivons avec détermination, tous les Agents et Cadres et la Ministre que je suis, à nous coaliser ensemble pour donner une nouvelle image des Affaires Etrangères, nous serons capables de réussir à relever les défis qui nous assaillent. Et si nous réussissons, nous allons montrer au peuple congolais que le pays peut effectivement vaincre ces antivaleurs dans notre société.
Quand la congolaise ou le congolais viendra aux Affaires Etrangères et verra qu’à l’intérieur tout est propre, qu’il est bien accueilli et orienté sans avoir payé l’apparente gentillesse d’un agent, qu’on ne lui soutire pas des sous pour « un bonjour » ou un « aurevoir » ; quand dans les couloirs et les bureaux, il n’y aura ni vagabondage ni bruits, mais que tout le monde sera en train de faire sérieusement son travail, alors les congolais comprendront que le changement est entré, en passant par la porte du Ministère des Affaires Etrangères.
Nous ne devons pas oublier que, de tous les immeubles publics de la capitale congolaise, notre immeuble de l’administration centrale est probablement le plus fréquenté et par les nationaux, et par les étrangers. C’est donc un miroir qui nous reflète notre propre image, de même que celle-ci vis-à-vis des étrangers et vis-à-vis du peuple congolais.
Changeons donc notre image, et nous nous verrons en réalité tels que nous devrions être, et non pas tels que nous sommes aujourd’hui.

Dans la perspective des relations avec le monde extérieur, notre pays, la République Démocratique du Congo, a grandement besoin de redorer son blason, de présenter une image de marque rassurante. C’est une condition sine qua non si nous voulons atteindre les objectifs que veut cibler notre diplomatie, à savoir :
- Briser l’isolement ;
- Reconstruire les ponts rompus dans nos relations régionales et internationales ;
- Rétablir la confiance avec les Institutions internationales ;
- Favoriser et accroître les investissements étrangers ;
- Hisser réellement la République Démocratique du Congo au niveau des pays
émergents.
Membre de plus de 300 organismes et institutions sur les plans africain et international, la République Démocratique du Congo traîne d’importants arriérés en ce qui concerne ses contributions.
Outre le leadership qu’elle devrait naturellement avoir dans ces organisations, notre pays a la capacité de jouer un rôle prépondérant au sein de la Fonction Publique internationale. Mais, pour y parvenir, la République Démocratique du Congo doit acquérir une image irréprochable et mettre tous les atouts de son côté à tous points de vue. Il est inacceptable que son droit de voter lui soit retiré lors de certaines grandes réunions internationales, ou que des postes revenant à notre pays soient occupés par des non congolais, simplement parce que le pays a des dettes. Cette situation est intolérable et doit changer.
Certes, il n’est pas nécessaire d’être membre de toutes les organisations susmentionnées. Il nous faut plutôt privilégier l’efficacité et l’efficience.
Le Ministère des Affaires Etrangères se doit de réfléchir, sans doute avec le concours de certains experts du monde universitaire congolais, sur une stratégie de repositionnement de la République Démocratique du Congo sur les échiquiers africain et mondial.
Pays immensément doté en ressources naturelles du sol et du sous-sol, en superficie et en ressources humaines, elle jouit d’une position géopolitique qui lui donne une vocation, sinon une mission géostratégique sur le présent et l’avenir du continent africain. La République Démocratique du Congo n’a pas la place qu’elle a eue ou qu’elle doit avoir, ni encore moins le rôle qu’elle peut jouer sur les échiquiers politique et économique africains.

Car, ce que l’Afrique centrale est à l’Afrique entière, reliant le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest du continent, c’est ce que la République Démocratique du Congo est à l’Afrique centrale elle-même. Le développement politique et économique du continent africain ne peut pas se faire par-dessus la tête de l’Afrique centrale, et celui de l’Afrique centrale ne peut pas se faire par-dessus la tête de la République Démocratique du Congo. La centralité de notre pays est incontournable, à condition qu’il ne soit pas seulement un terrain de jeu et des compétitions des autres. Mais le Congo a perdu la place et le sens d’un tel rôle en Afrique et dans le monde. Il en a perdu les moyens politiques ainsi que les moyens économiques.
C’est pourquoi j’opte pour la diplomatie du développement, cette démarche politique qui consiste à privilégier, dans toutes nos relations, sous-régionales, régionales et mondiales, l’éclosion et l’agrandissement du marché économique congolais. Il s’agit d’intéresser les opérateurs économiques, faciliter les investissements étrangers publics et privés, mais aussi et avec détermination, favoriser l’émergence d’une classe moyenne nationale.
Pour cette diplomatie, la paix avec tous nos voisins et le reste du monde est une condition sine qua non.
Nous avons à cœur de redonner à la République Démocratique du Congo la place et le rôle qui lui reviennent sur l’échiquier africain, et à travers ce dernier, sur l’échiquier mondial.
Pour y parvenir, nous avons déjà un atout formidable qu’il nous suffira d’exploiter à fond : c’est la volonté clairement affichée du Chef de l’Etat, de faire de notre diplomatie le fer de lance de l’action gouvernementale pour le développement du pays. Et c’est à notre Ministère qu’il revient principalement la responsabilité d’en assurer la mise en œuvre et le suivi.
Je vous remercie.