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mercredi 22 décembre 2010

Huit ans après sa création, le bilan de la Cour Pénale Internationale demeure infructueux, constate le Pr Nyabirungu


« Au-delà de la justice pénale internationale pour un processus holistique de  justice transitionnelle pour la RDC ». C’est ce thème qui a réuni une crème d’intellectuels congolais et étranger au cours d’un conférence-débat organisé par le 12 juin 2010 par le Centre International pour la Justice Transitionnelle -ICTJ-. Cette conférence a été animée par quatre invités : le professeur Luzolo Bambi Lessa, ministre de la Justice et des Droits Humains ; M. David Tolbert, Président du Centre International pour la Justice Transitionnelle (ICTJ) et  le Professeur Nyabirungu Mwene Songa, Député national.
La justice transitionnelle utilise plusieurs mécanismes pour aider les pays qui désirent faire face aux conséquences de leur passé constitué des violations graves des droits de l’Homme. Les poursuites judiciaires constituent l’un de ces mécanismes. L’évolution de la justice pénale internationale  et les divers enjeux qu’elle comporte soulèvent de nombreuses questions sur son efficacité à répondre aux attentes des victimes - mais aussi sur la place qu’elle occupe dans l’aréopage des moyens dont disposent les Nations pour résoudre durablement les conséquences des violations massives.
Par exemple, l’analyse de l’impact de la Cour Pénale Internationale,  incarnation par excellence des  efforts de la communauté internationale à lutter contre l’impunité, qui a été réalisée lors de la Conférence de révision du Statut de Rome tenu à Kampala du 31 mai au 11 juin 2010, a démontré que malgré de grandes avancées, la CPI à elle seule n’est pas en mesure de faire face  aux legs des violations massives dans les pays tel que la RDC.  Du coup, les poursuites judiciaires, davantage celles organisées par la justice internationale, engagent à réfléchir sur la portée des moyens  complémentaires de la justice transitionnelle.
Quelle articulation entre ces divers mécanismes est susceptible de constituer une réponse adéquate pour aider les Etats en transition à construire  de façon durable  des Etats de droit ? Cette question est du reste fondamentale pour la RDC qui doit gérer l’héritage de près de deux décennies des conflits armés qui ont engendré près de 5 millions de morts et d’autres violations massives de divers ordres.
Les orateurs ont abordé ces différentes questions et ébauché des perspectives de la justice pénale internationale dans le contexte mondial mais en particulier, celui de la RDC.
Chef de mission de l’ICTJ en Rdc, Me Mirna Adjami
La place de la justice pénale internationale dans une approche holistique de la justice transitionnelle a été développée par M. David Tolbert. Il a expliqué que la justice transitionnelle a été mise en place dans les sociétés en transition au passé très violent. Ces sociétés ont besoin non seulement de la responsabilisation devant la justice mais aussi la vérité pour connaître ce qui s’est passé. Il faut donner la voix aux victimes pour qu’elles racontent ce qu’elles ont vécu. Cela nécessite la réforme fondamentale de ces sociétés. Il faut faire face au passé. Il y a le slogan : « Sans paix sans la justice ». M. Tobert a noté qu’il faut apporter la nuance à ce slogan. Ce qui est important pour la justice transitionnelle, c’est la participation des victimes pour leur rendre et leur donner les souffrances qu’elles ont vécu. Cela relève aux victimes d’obtenir le droit des réparations matérielles ou symboliques ou encore individuelles et collectives à travers les mémoriaux. 
La justice transitionnelle ne peut se faire sans la Cpi qui a créé les textes des standards légaux pour légiférer sur le droit de guerre et le droit international humanitaire en ce qui concerne les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Il y a un texte unifié qui s’applique dans tous les 111 pays signataires du Statut de Rome et qui s’applique aussi dans d’autres pays à travers le droit coutumier international. La Cpi donne le message à tout le monde que personne ne peut échapper à la justice. Surtout les pays où la justice n’a pas la volonté de poursuivre les auteurs des crimes graves. La Cpi joue le rôle de catalysateur au sein des sociétés.
 L’expérience de la justice pénale internationale. Quelles perspectives pour la lutte contre l’impunité en RDC. C’est le thème qui a été abordé par le professeur Luzolo Bambi Lessa. Il a rappelé que dans la Code pénal militaire, le crime de guerre  et crime contre l’humanité existent depuis les années 62, 72. Mais il n’a jamais été appliqué.
En termes de bilan de l’expérience congolaise, il a fait observer qu’il n’y a pas de politique législative congolaise qualifiée de justice transitionnelle de manière de principe. Le législateur congolais n’a pas arrêté une stratégie de justice transitionnelle pour regarder la justice congolaise comme une justice transitionnelle. Celle-ci est une justice qui fait le pont entre le choc de la guerre, la paix et la justice. L’expérience congolaise de la Cpi a amené la Rdc à remettre trois de ses ressortissants à La Haye. Thomas Lubanga, Matthieu Ngodjulo et Germain Katanga ont été remis à la Cpi sur base de requête de renvoi. Cette requête a été déférée devant la Cour et celle-ci sur base des actes réglementaires et législatifs a réussi à obtenir de la Rdc l’exécution de trois mandants d’arrêt. Le quatrième sur Bosco Ntanganda fait débat.
« Ca fait un contre trois, ça signifie qu’on est dans le bon. Le principe, c’est trois. C’est la justice d’abord et l’exception c’est Bosco Ntanganda. C’est l’exception qui confirme la règle. Il n’y a pas de principe sans exception. Et c’est l’exception qui confirme le principe », a dit le ministre de la Justice et des Droits humains. Le gouvernement a confirmé sa volonté de lutter efficacement contre l’impunité et  sa coopération totale avec la Cpi. Il croit beaucoup au principe de l’imprescriptibilité de crime contre l’humanité. Personne ne peut être à l’abri de ces poursuites. Le mandant d’arrêt international dure jusqu’à la fin de la vie.
 Le rôle du pouvoir législatif dans la mise en œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle en RDC -lois sur la réforme de l’armée, de la police, proposition de loi de mise en œuvre du Statut de Rome, autres mécanismes non-judiciaires de justice transitionnelle. Ce thème a été confié à l’Honorable Nyabirungu Mwene Songa. En consacrant le principe de la complémentarité, le Statut reconnaît les juridictions nationales peuvent rendre une justice comparable à celle qui a été définie à l’intention de la Cpi. Les juridictions nationales sont en mesure de répondre aux exigences d’un procès équitable tel qu’il serait conduit par la Cpi, a-t-il noté.
La formulation du principe de la complémentarité dans le Statut de Rome voudrait bien sûr que par sa vocation, la Cpi puisse même disparaître puisque les juridictions nationales en jouant pleinement leur rôle, la Cpi n’aura plus rien à faire. En étudiant le droit international, nous devons être en mesure de prendre conscience que ce droit international n’est que provisoirement l’affaire des juridictions internationales, que le droit international, c’est d’abord l’affaires des juridictions nationales.
Le ministre de la Justice et des Droits humains
Ce fait qu’il a traduit par la formule « autant le droit international s’éternise puisque ces principes sont appliqués par les juridictions nationales, autant les droit interne s’internationalise parce qu’il pratique les règles de droit international ».
La Rdc a, indépendamment de l’adoption de la loi sur la mise en œuvre du Statut de Rome, appliqué le Statut de Rome. D’abord le Code pénal militaire de novembre 2002 veut appliquer le Statut de Rome. Ensuite dans cet effort d’appliquer le Statut de Rome, les textes accusent certaines faiblesses dont appellent que ces faiblesses soient comblées. Néanmoins, on ne peut perdre de vue le mérite de l’état actuel du droit congolais. Les juridictions militaires congolaises ont rendu des décisions à la fois sur base du droit congolais et du droit international. A la fois de l’application du Code militaire pénal et du Statut de Rome. Les juridictions militaires congolaises n’appliquent plus la peine de mort quand il s’agit des crimes prévus au Statut de Rome.
Bien sûr ces juridictions, leurs grandes faiblesses, ce qu’elles ne sont pas les juges naturels du justiciables congolais. Les faiblesses, c’est aussi une mauvaise application de la loi. Par exemple, lorsque dans l’affaire Kilwa, on juge une personne morale contrairement à l’article 25 du Statut de Rome qui prévoit que la responsabilité pénale incombe  seulement aux personnes physiques. Il existe d’autres faiblesses à auxquelles on peut attacher avec la qualification des faits ou avec la motivation des jugements.
Le droit congolais rencontre des difficultés énormes du fait de l’évasion des condamnés. A un moment donné, les statistiques d’avocats sans frontière avaient renseigné cinquante pour cent de condamnés qui réussissent à s’évader. Le deuxième défi, c’est l’exécution des dommages et intérêts. 100 % des dommages et intérêts auxquels les magistrats condamnent les justiciables ne sont pas exécutés. Si les attentes qui résultent des atteintes graves à l’ordre public ne sont pas réparées, socialement à quoi servent ces magistrats si les conséquences aux atteintes à l’ordre public ne sont jamais réparées ?
La Cpi est complémentaire, en d’autres termes, le professeur Nyabirungu aurait souhaité que face à une justice nationale encore balbutiante et hésitante, qu’on trouve une Cpi offensive et efficace qui condamne les criminels et répare les tords causés aux victimes. Mais comme beaucoup d’observateurs l’ont constaté et proclamé, le bilan de la Cpi demeure rachitique, très maigre 8 ans après son entrée en vigueur. La preuve, ce qu’il n’y a aucun jugement sur le fond. Huit ans après son entrée en fonction, elle n’a encore condamné ou acquitté personne. Elle n’a encore réparé les préjudices causés à personne.
« Cela n’est pas pour moi une critique, c’est un constat. La critique ne serait pas juste parce qu’il s’agit d’une justice pionnière. La recherche d’une justice internationale est très ancienne. Et elle n’avait jamais abouti à quoi que ce soit. C’est heureux qu’enfin on dispose d’une structure qui peut essayer et qui peut montrer jusqu’où la justice humaine peut aller pour mettre fin à l’impunité pour faire place aux préoccupations des victimes, pour protéger les témoins, pour réparer les préjudices causés ».

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