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vendredi 14 juin 2013

Accusés sous Rp 3749, levez-vous, la Cour Suprême vous jugera sous les manguiers

Il est rare que j’exerce ma plume dans les affaires pour lesquelles je suis consulté, sauf quand mon silence pourrait apparaitre comme une conspiration contre la vérité et contre la dignité que doit revêtir l’exercice d’une fonction fondamentale comme la justice et la bonne gouvernance, car personne n’est propriétaire de ce pays pour obliger les autres, dont moi, à taire les incongruités de comportements de certains citoyens.
La Cour Suprême de la R.D.C. qui a vu le jour en 1968 par l’Ordonnance-loi 68-248 du 10/07/1968, installée en 1969 sous la direction de deux Eminents Juristes : Feu le Premier Président Marcel Lihau Ebua, Brillant Lauréat de l’Université de Louvain avec la plus grande distinction et le Parquet Général de la République sous la main de fer d’un autre juriste issu de l’Université Libre de Bruxelles, Docteur en Droit, le Procureur Général de la République Kengo Wa Dondo, ajouta à ce grade une Licence spéciale en droit Maritime et Aérien.

Il a été mis fin à leur carrière de manière cavalière, victimes, tous les deux des décisions politiciennes ; mais aujourd’hui qui ne regrette pas la hauteur qu’ils ont donnée à leurs fonctions et la discipline qui a régné lors de l’exercice de leur fonction, au moment où l’instabilité s’est installée au sommet de cette haute institution, en effet, les Premiers Présidents et les Procureurs Généraux de la République se sont succédés parfois en l’espace d’un an.
A notre avis, le fait pour un Premier Président de la Cour Suprême ou un Procureur Général de la République de n’avoir exercé au minimum pendant 3 ans, démontre que le choix qu’on a fait de celui-là n’a pas été judicieux. Que les magistrats de la Cour d’Appel accèdent à la Présidence d’une section de la Cour Suprême ou directement Premier Avocat Général de la République relèvent simplement du népotisme, nul ne contestera que pour la Cour Suprême et le Parquet Général de la République il faut non seulement une formation solide, une intelligence éprouvée, l’expérience d’une carrière sans faille, mais encore une haute moralité, un sens de dignité qui ne leur permet pas d’être à la solde des justiciables, ni encore moins agir sur injonction de certaines autorités par personne interposée.
Toute promotion doit faire l’objet de publicité pour que les magistrats mal cotés n’obtiennent pas une promotion. Dans les administrations qui se respectent, toute sélection à un grade élevé doit être le résultat d’un concours, qui ne sert de promontoire qu’aux meilleurs ; ce qui encourage ceux qui n’ont pas réussi à doubler d’effort pour accéder au grade supérieur. C’est, je crois, la seule manière de créer un sentiment d’égalité, face au népotisme ennemi de l’indépendance des magistrats. 
Que l’on retrouve à ce haut niveau de la justice, des magistrats repris de justice et même anciens condamnés de droit commun ou de la prise à partie, est une insulte au peuple au nom de qui la justice doit être rendue. C’est souvent ces magistrats-là qui introduisent à la Cour Suprême les méthodes pratiquées pendant leur carrière dans les Cours et Tribunaux.
La conséquence de ce mépris des règles de l’éthique dans les nominations est que personne ne reconnaît plus à la Cour Suprême la rigueur du grand juge dont les décisions devaient faire autorité :
· Les audiences commencent et se terminent à n’importe quelle heure de la journée, sauf celle légale de 9 heures indiquée sur les exploits adressées aux parties ;
· A une certaine époque il nous est arrivé de plaider à la Cour Suprême vers 20 heures et même plus tard ;
· A force d’avoir ouvert le prétoire à l’indiscipline des avocats non rattachés à la Cour Suprême, les audiences deviennent une foire d’empoigne avec porte ouverte aux « négociations », aux « motivations », aux « reports » et aux « gels sans délai » des dossiers pris en délibéré, même pour les donnés acte de demandes de renvoi de juridiction, qui étaient prononcés sur le banc après plaidoiries des avocats ; et ce qui est étonnant, c’est de constater que devant cette dégradation, les institutions chargées de contrôle et de gestion de l’Etat restent indifférentes à cette descente aux enfers d’une des institutions la plus sensible en démocratie, puisque jugeant au nom du peuple.
Des juges de la Cour suprême de justice
Puisque la justice, même mauvaise, est rendue au nom du peuple Congolais, elle enlève toute crédibilité à l’Etat, avilit son peuple et crée une insécurité juridique, qui risque de nous ramener à la vengeance privée, pour permettre au préjudicié de retrouver son compte contre son adversaire.
Le cas d’Eric Kikunda a interpellé ma conscience, dans la mesure où ce fils d’un Général, Pilote Emérite, formé aux Etats-Unis pour piloter le C.130 de l’Armée de la RDC à l’époque, cette armée avait un nom et du personnel jusqu’à la dérive et la désorganisation vers la fin du règne du Feu le Maréchal Mobutu. Ce jeune homme embastillé à Makala se trouve être prisonnier non pas par le fait de la justice, mais d’un militaire de Haut rang, qui a pris en otage non seulement les magistrats militaires qui ont indûment jugés cet enfant au point qu’ils ont refusé de rendre des décisions sur les exceptions d’ordre public, qui les ont amené à exécuter les ordres illégaux, en violation de l’article 28 de la Constitution, pour condamner et maintenir en détention les citoyens qui n’ont commis aucune infraction.Ce qui a amené les avocats d’Eric Kikunda à se pourvoir en cassation.
Au niveau de cassation, le dossier traine, fait l’objet de plusieurs remises, le dossier a même été retiré de la circulation, il ne fut restitué au greffe que moyennant menaces des avocats, la remise en remise témoigne de cette tentative de déni de justice. Tout cela pour le plaisir de ce haut gradé, car pour ce fils du Général Kikunda, l’indépendance du Magistrat sous l’empire de la loi, c’est de la rigolade, parce que Magistrats militaires ou civils, même au niveau de la Cour Suprême, tout le monde s’est mis « au garde-à-vous ».

Le spectacle continue
Le spectacle du plus mauvais goût est celui que nous avons vécu le 19 avril, qui nous a inspiré le fameux titre de feuilleton, à la une des télévisions européennes, « accusé levez-vous » ; M. Eric Kikunda n’a pas eu le privilège de cette célèbre interpellation, parce qu’à la date fixée pour son audience, il n’avait pas été extrait, pour venir comparaître devant la Cour Suprême de Justice ; et s’il avait comparu, nous aurions assisté à cette triste interpellation, accusé Eric Kikunda, levez-vous ! la Cour Suprême de la RDC va vous juger sous les manguiers, dans son nouveau décor, avec les habits au séchoir.
Aux regards de la photo prise sur le vif, il apparait qu’en RDC le ridicule ne tue plus ; comment 45 ans après sa création, la Cour Suprême peut-elle, même s’il y a pénurie de locaux, ceux de la Cour d’Appel ne pouvaient-ils pas être  réquisitionnés ? plutôt qu’elle siège sous les manguiers, ceux de la cour des locaux du Conseil Supérieur de la Magistrature. Pour une cause qui a déjà son histoire et une répercussion hors de la RDC, aucun greffier n’a pu rendre à cette curieuse salle d’audition un aspect moins insolite.
Kikunda Eric, victime collatérale de l’un de ses collègues d’infortune, que l’on veut noyer comme pour se venger. L’implication d’Eric n’a pas donné aux juges, tant au premier qu’au second degré, l’occasion de le juger en toute indépendance des magistrats, selon les règles d’une instruction préjuridictionnelle légale, les procès-verbaux des OPJ et des magistrats instructeurs ayant été déclarés nuls, pour cause d’aveu sous tortures des infractions imaginaires des armes, que personne n’a vues et dont l’une porterait le même numéro que l’arme trouvé et qui se serait trouvé dans le procès Chebeya ; nullité des PV constatée, avant et pendant les auditions, mieux encore, les magistrats de juridiction de jugement ont pu avoir et même constaté que celui qui a instruit le dossier n’avait pas renouvelé son serment de magistrat, pour exercer les nouvelles fonctions par rapport à son grade et fonctions actuels.
Si l’irrégularité de cette instruction avait été constatée lors des audiences du Conseil de guerre et de la Haute Cour Militaire, les infractions réputées avoir été commises par le constat de ce« magistrat » auraient dû être considérées comme inexistantes.
Eric Kikunda n’est rien d’autre qu’un innocent tenu en esclavage dans un Etat de non droit ; quel aurait dû être le rôle d’une Cour Suprême en ce cas extrême d’une détention arbitraire, sinon de l’aider à remettre Eric Kikunda en liberté, dès la première audience. Cela aurait pu éviter à l’Etat congolais la mauvaise réputation sur le plan international ; dans son état actuel, le peuple congolaisne peut accepter de sa justice, ce comportement arbitraire, ni une audience d’une haute Cour sous les manguiers, avec à l’avant plan des habits lavés pendants à un fil.
La Cour Suprême sous les manguiers avec ou sans la présence d’Eric Kikunda aurait dû simplement déclarer non pas « prévenu levez-vous », mais « Eric Kikunda la Cour Suprême vous déclare innocent et demande à la prison de Makala de mettre, lui et ses compères d’infortune libre de leur mouvement. Policier laissez les partir »

C’eut été très beau, un rêve impossible
Le temps mis pour terminer cet article a rencontré la publication d’une longue liste des magistrats du siège et de ministère public, et c’est après l’Assemblée Général Ordinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature ; le parlement du pouvoir judiciaire ; le résultat n’est pas mieux que ce que nous reproduit le Parlement à l’instar de la dernière interpellation du Premier ministre, « une tempête dans un verre d’eau ».
Aligner la liste des Procureurs Généraux, Premiers Présidents, Conseillers à la Cour Suprême ne rend pas à la justice la qualité que le peuple, au nom de qui cette justice est rendue, vient la qualité et les performances qui devaient être les éléments de l’amélioration de ce maillon faible de la semi-démocratie de notre République.
Notre justice n’inspire confiance à personne, même pas aux membres du Gouvernement qui se plaignent de ce que fait la justice du pouvoir lui reconnu par la Constitution et les lois de la République constamment bafouées par ceux-là même qui devaient les protéger en les appliquant correctement.
L’incompétence de certains magistrats promus conduira ce pays dans le gouffre, parce que comme il a été si bien écrit dans les principes de Peters, les ordonnances de nominations de magistrats vont pousser beaucoup vers « le seuil de leur incompétence ». En effet, quand au grade inférieur, ces magistrats promus n’ont pu produire eux-mêmes une œuvre juridiquement correcte, que feront-ils quand ils auront à diriger les moins expérimentés qu’eux. La dure vérité est que cette promotion ne pouvait se faire que par mérite professionnelle au quotidien suivie d’un concours pour primer les meilleurs. Ce ne fut hélas pas le cas.
Nous ne voulons pour preuve, que le nouvel épisode du procès « Eric Kikunda  et consorts » dont la Cour Suprême évite la comparution, de peur que les avocats ne rappellent la dure réalité d’une instruction nulle et la peur de magistrats de révéler cette nullité par une décision, qui apporterait au grand jour que le « magistrat » instructeur de ce dossier n’avait pas la qualité de magistrat, puisqu’il n’avait pas encore renouvelé son serment, pour le nouveau grade qu’il portait.
Le procès Eric Kikunda et consorts est une parodie, comme celui qui a opposé dans le temps MM. Desmet et Paul Mathy ; ce procès a donné à la juridiction inférieure belge l’occasion d’humilier la Cour Suprême, qui avait accordé à M. Desmet de million en zaïres, que le Tribunal de Première Instance Belge a estimé à la somme d’un Euro symbolique, si ces dommages-intérêts avaient été mérités, ce qui n’était pas le cas.
L’administration pénitentiaire sur instructions d’on ne sait qui, a refusé à Eric Kikunda le droit de comparaitre, et quand il a été décidé enfin de l’amener devant les magistrats de la Cour Suprême, hélas cette audience venait d’être levée.
Ainsi le fils du Général Kikunda, prisonnier d’un autre Général, restera encore en prison face à l’inertie d’une haute institution qui n’est plus que l’ombre du nom qu’il a noblement porté à l’époque de Marcel Lihau et de Kengo Wa Dondo.
Qui sauvera notre justice ?
Fait à Kinshasa, le 13 juin 2013
Bâtonnier National Honoraire MBU ne LETANG
Avocat à la Cour Suprême

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