APO

mercredi 6 avril 2011

Procès de l’assassinat de Floribert Chebeya, audience du 24 mars 2011 à la Prison centrale de Makala dans la commune de Selembao


La veuve Bazana
C’est à 10h45 que l’audience de ce jour a été déclarée ouverte par le Premier président de la Cour, militaire de Kinshasa-Gombe le colonel Masungi Muna. Il a accordé la parole à la greffière pour donner lecture de la feuille d’audience. A l’audience, la Cour a examiné les pièces que les parties civiles ont déposé lesquelles pièces attestent le décès de monsieur Fidèle Bazana.
1. De la procédure.
Intervention de la Cour.
Les parties civiles ont déposé au greffe des pièces attestant la mort de M. Fidèle Bazana qui sont : l’acte de décès, le jugement supplétif de décès, le certificat de non appel et ……. Nous demandons aux parties civiles d’éclairer la Cour par rapport à ces pièces.
Intervention des Parties civiles
L’article 142 du code de la famille stipule que « lorsqu’une personne a disparu dans les circonstances telles que sa mort est certaine, bien que son corps n’ait pas été retrouvé, le Ministère public ou toute personne intéressée peut demander au tribunal de grande instance de rendre un jugement déclaratif de décès de cette personne. Le jugement déclaratif de décès tient lieu d’acte de décès et est inscrit dans le registre des décès ». Et l’article 143 du même code dispose que « la requête est présentée au tribunal de grande instance de la résidence du disparu ou du lieu de la disparition ». Cette procédure a été respectée, Madame Marie -osé Ikoko, la veuve Bazana résidant au numéro 2 du quartier B dans la commune de Ngaliema, lieu du dernier domicile de son mari M. Fidèle Bazana a introduit la requête devant le tribunal de grande instance de la Gombe qui a rendu un jugement déclaratif de décès qui n’est plus susceptible d’appel.
Nous parlons de l’assassinat de M. Bazana, chauffeur de M. Chebeya, parce que nous avons des éléments qui nous démontrent clairement qu’il a été assassiné :
. Le MP a envoyé une invitation à madame Bazana sur laquelle il a mentionné : « veuve Bazana ». La question que nous nous posons est celle de savoir sur base de quels éléments avait- il inscrit sur l’invitation les mots veuve Bazana ? Sûrement parce qu’il sait que pour ne pas être puni de son crime, le criminel efface toujours les traces d’un témoin gênant.
. Quelques jours après avoir découvert le corps de M. Chebeya, M. Dolly l’actuel directeur exécutif de la VSV avait été invité par l’inspecteur Konde pour voir le corps de M. Bazana qui avait été retrouvé également vers  Mitendi. Malheureusement, il y a eu un incident qui les a empêché de voir le corps ; et ils n’ont toujours pas compris pourquoi jusqu’à ce jour.
. Une chose est certaine M. Chebeya ne savait pas conduire et M. Bazana le conduisait tous les jours. Les personnes qui ont assassiné M. Chebeya sont les mêmes que ceux qui ont assassiné M. Bazana. Nous aimerions que la Cour le constate aujourd’hui de manière officielle. Nous lui demandons donc de constater la mort de M. Bazana que nous qualifions d’assassinat sur base des documents obtenus en respect de la procédure de l’article 142 du code de la famille. 

Marie-Jose Ikoko Itntombo, veuve Bazana
Après avoir lu le jugement supplétif, la Cour constate que c’est Madame Marie-Josée Ikoko qui a initié la requête en jugement supplétif, étant dans la salle, elle lui demande de comparaitre.
a. Questions de la Cour à la veuve Bazana

Le ministère public, le Colonel Molisho
Q. Le jugement déclaratif de décès prononcé à votre initiative par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de la Gombe, pouvez-vous nous dire ce qui c’était passé exactement pour que vous puissiez prendre l’initiative d’initier ce jugement ? R. Le 4 juin 2010, j’avais lu dans un journal que le corps de mon mari avait été retrouvé vers Mbankana. Je suis allée vérifier mais ce n’était pas lui. Vers 16 heures, lors d’une émission à la télévision à laquelle était invitée un député, ce dernier a déclaré que l’on avait retrouvé le corps de mon mari. Je l’ai appelé pour avoir des informations précises, il me dira qu’il n’avait pas des précisions et qu’il avait juste entendu parler de ça. Le 5 juin 2010, M. Dolly va m’appeler et me dire qu’on a retrouvé le corps de mon mari et qu’il se trouvait à la morgue de l’Hôpital générale de référence de Kinshasa (Ex-Mama Yemo). Vers 9 heures, nous nous sommes rendus à la morgue avec certains défenseurs des droits de l’homme. Arrivés sur place, j’ai trouvé un des responsables de la famille de mon mari.
Accompagné du responsable de la famille, l’inspecteur Konde va nous demander de le suivre pour voir et identifier le corps. Puis il ressort et nous dit que le directeur de la morgue exige que nous ayons l’avis du médecin légiste pour voir le corps. Le médecin n’étant pas dans son bureau, nous avons dû l’attendre. Vers 14 heures, M. Dolly va entrer encore et ressortir avec l’inspecteur Konde qui nous dira qu’ils devaient partir pour le ministère de la Justice, que le ministre les attendait. Nous allons rentrer sans avoir vu le corps. Le lendemain, nous sommes retournés, le directeur de la morgue s’est opposé à ce que nous voyons le corps et jusqu’à ce jour je n’ai toujours pas vu le corps de mon mari. Je sais que mon mari a été assassiné. C’est pour cela que j’ai introduit la requête pour obtenir ce jugement. Si mon mari était en vie, il ne nous aurait pas laissé sans nouvelles pendant plus de dix mois.
Q. Quand avez-vous vu votre mari pour la dernière fois ? 
R. C’était le matin du 1er juin 2010 et depuis lors il n’est jamais rentré à la maison.
Q. Pensez-vous que votre mari a été assassiné ? 
R. Oui, dès la première audience lors de la lecture de la décision de renvoi, la greffière, m’a toujours appelée « la veuve Bazana et ses enfants » ; ce n’est qu’à la neuvième audience, le jour où l’Inspecteur Général John Numbi a comparu que la greffière va m’appeler « Madame Bazana ». Le MP m’a également envoyé l’acte de comparution sur lequel il est écrit : « la veuve Bazana ». 

Intervention du MP

Nous constatons que l’article 142 du code de la famille a été respecté par madame Marie -José Ikoko qui a saisi le dernier lieu de la résidence de la personne disparue pour obtenir le jugement supplétif de décès lequel n’est plus susceptible d’appel, nous n’avons plus d’intérêt de continuer à considérer M. Bazana comme ayant été enlevé mais plutôt comme décédé. Dans ce cas, la Cour doit appliquer l’article 256 al. 2 du code judiciaire militaire qui stipule que « le président peut d’office, poser d’autres questions subsidiaires, s’il résulte des débats que le fait principal peut être considéré soit comme un fait puni d’une autre peine, soit comme une infraction de droit commun. Dans ce cas, il doit avoir fait connaitre ses intentions en séance publique avant la clôture des débats, afin de mettre le Ministère Public, la partie civile, le prévenu et la défense à même de présenter, en temps utile, leurs observations. Il en fera autant en cas de disqualification ou de requalification des faits au cours des débats ou même pendant le délibéré.
Dans cette hypothèse, le président procède à la réouverture des débats ».
Maintenant qu’il y a un jugement coulé en force de la chose jugée déclarant M. Bazana décédé, la Cour doit faire connaitre ses intentions sur la requalification des faits pour permettre aux parties de faire leurs observations.
Observation de la défense: le dernier lieu de résidence M. Fidèle Bazana est la commune de Ngaliema, mais nous constatons que l’acte de décès est établi par le bourgmestre de la commune Gombe.
Observation des parties civiles : la loi nous dit que l’on obtient le jugement déclaratif de décès au Tribunal de Grande Instance du lieu de dernière résidence de la personne disparue et ce jugement fait office d’acte de décès parce que c’est le premier document qui constate le décès. Le jugement présenté devant vous est inattaquable sur base du certificat de non appel déposé devant la Cour.
Observation Cour: les pièces déposées par les parties civiles sont en copie libre, il faudra les certifier conformes aux originaux. Sur base de l’article 256 précité, la Cour propose aux parties de présenter leurs observations sur la nouvelle qualification des faits qui est le meurtre de M. Bazana.
Intervention du MP
Nous pensons que la Cour doit requalifier l’infraction d’enlèvement en celle d’assassinat parce que M. Bazana, chauffeur de M. Chebeya accompagnait ce dernier le jour où il a été assassiné. Pour effacer toutes traces de témoignage de l’assassinat de M. Chebeya, il est de toute logique que le témoin soit éliminé également. M. Bazana était un témoin gênant. Si la Cour a instruit sur l’assassinat de M. Chebeya, elle devra aussi le faire pour M. Bazana qui avait accompagné Chebeya à l’inspection générale de la PNC et on ne l’a plus revu jusqu’à ce jour.
Intervention des parties civiles
Nous aussi nous pensons comme le MP que l’infraction d’assassinat doit être retenue en ce qui concerne la mort de M. Bazana. Le professeur Nyabirungu, grand pénaliste dit que « le jugement pénal statue sur les éléments recueillis tout au long de l’audience ». Tout au long de ces audiences, il s’est avéré que M. Chebeya a été assassiné ; M. Gomer a déclaré devant cette Cour que le soir du  1er juin 2010, quand il avait été amené à l’Inspection Générale, il avait vu M. Chebeya qu’il connaissait bien et un monsieur plus élancé que lui. Il les a décrits ici devant vous et il a même décrit l’endroit où il les avait vus. Cette personne était bel et bien M. Bazana le chauffeur de M. Chebeya qui l’accompagnait. Le général Likulia dans son ouvrage de droit pénal spécial dit ceci : « lorsque le temps voisin d’un assassinat entraine une autre mort, celle-ci est aussi considéré comme un assassinat et il y a préméditation de l’acte si il a été commis dans l’intention de désorienter les enquêtes ». Après avoir tué M. Chebeya, les prévenus ont pensé que dans le but de s’assurer l’impunité mais aussi de désorienter les enquêtes qu’il ne fallait pas laisser M. Bazana en vie.
Dans une des audiences, le prévenu Mukalayi avait déclaré qu’il connaissait très bien M. Chebeya, sa résidence, son bureau voir même son véhicule, c’est pour dire qu’il savait aussi que M. Chebeya avait un chauffeur, M. Bazana, qui le conduisait toujours. Et pour effacer toutes les traces de l’assassinat de M. Chebeya, il fallait aussi assassiner son chauffeur.
Questions de la Cour aux prévenus
Q. Prévenu colonel Mukalayi, le MP demande de requalifier l’infraction d’enlèvement en celle d’assassinat eu égard aux pièces que la veuve Bazana a versé dans le dossier et vous êtes accusé d’être auteur de ce crime, qu’en dites- vous ? R. Dès la première audience, je n’étais pas d’accord sur toutes ces infractions qui sont mis à ma charge. Je ne connais même pas M. Bazana et je ne savais même pas qu’il avait accompagné M. Chebeya à l’Inspection Générale de la Police Nationale Congolaise (PNC). Ce n’est que le jour où les défenseurs des droits de l’homme sont venus rechercher M. Chebeya que j’ai appris qu’il était accompagné de son chauffeur qui lui aussi était porté disparu.
 Q. Prévenu major Kitungwa, le MP demande de requalifier l’infraction d’enlèvement en celle d’assassinat eu égard aux pièces que la veuve Bazana a versé dans le dossier et vous êtes accusé d’être auteur de ce crime, qu’en dites- vous ? R. Je ne connais ni M. Chebeya ni M. Bazana et je ne reconnais pas les avoir assassinés. Je me suis toujours étonné de toutes ces infractions qui sont mises à ma charge.
Q. Prévenu commissaire principal Ngoy Mulongoyi, le MP demande de requalifier l’infraction d’enlèvement en celle d’assassinat eu égard aux pièces que la veuve Bazana a versées dans le dossier et vous êtes accusé d’être auteur de ce crime, qu’en dites- vous ? R. Je ne reconnais pas avoir assassiné M. Bazana ni M. Chebeya. Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir parlé avec la veuve Chebeya le 2 juin 2010 quand elle est venue chercher son mari que vous m’ imputez toutes ces infractions.
Q. Prévenu commissaire Mwila, le MP demande de requalifier l’infraction d’enlèvement en celle d’assassinat eu égard aux pièces que la veuve Bazana a versé dans le dossier et vous êtes accusé d’être auteur de ce crime, qu’en dites- vous ? R. Je n’ai assassiné ni l’un ni l’autre, je ne connais même pas M. Bazana. Quand le dossier était à l’auditorat, le MP m’invitait à chaque fois qu’il avait besoin de moi et je m’y rendais. Il ne m’avait pas détenu mais un jour, il me dira que je serai détenu. Dans ce crime, je n’ai contribué ni de loin comme de près à sa réalisation.
Q. Prévenu sous commissaire Mandiangu, le MP demande de requalifier l’infraction d’enlèvement en celle d’assassinat eu égard aux pièces que la veuve Bazana a versées dans le dossier et vous êtes accusé d’être auteur de ce crime, qu’en dites- vous ? R. Je me pose la question de savoir si vous m’avez arrêté parce que j’étais secrétaire du bataillon Simba. Je suis entrain de répondre à des faits commis par mon commandant de bataillon Christian Kenga Kenga prévenu en fuite. Je ne connais rien de toutes ces infractions qui sont retenus contre moi.
Les avocats des parties civiles

Observations de la défense: - la Cour est saisie des faits, le fait pour lequel vous avez été saisi est celui de l’enlèvement de M. Fidèle Bazana. Normalement, le MP devait d’abord instruire sur cette nouvelle infraction d’assassinat de Fidèle Bazana, établir les éléments constitutifs de l’infraction et saisir la Cour par une décision de renvoi additive.
- Le MP aurait dû par honnêteté scientifique reconnaître qu’il y a insuffisance des éléments constitutifs de l’infraction d’assassinat ;
- Le principe d’immuabilité des faits judiciaires veut que la Cour militaire ne se limite que sur les faits qui l’ont saisi. A partir du moment où la Cour requalifie les faits, démontre déjà qu’il a une position dans l’affaire, ce qui peut faire l’objet de déport ou de récusation de la composition de la Cour ;
- Il y a des faits nouveaux qui doivent faire l’objet d’une nouvelle décision de renvoi.
- Le jugement déclaratif est une fiction légale qui est basé sur une présomption irréfragable « le jurus tantum ». Est-ce sur base de ces éléments que la Cour doit requalifier les faits ? Nous nous remettons à la sagesse de la Cour, cependant comme elle a déjà requalifié les faits, nous demandons que nous puissions passer à l’instruction de cette nouvelle infraction.
Observation du civilement responsable : nous demandons à la Cour d’accorder une remise pour nous permettre de préparer la défense par rapport à ce fait nouveau. En plus, le MP a fait une mauvaise interprétation de l’article 256 du code judiciaire militaire. C’est à la cour de procéder à la requalification des faits et si le MP devait le faire, c’est par une décision de renvoi additive. Les pièces présentées par les parties civiles ne nous apportent pas de preuves suffisantes et ne nous ont pas convaincu sur l’infraction d’assassinat de M. Bazana. Il n’y a pas des éléments qui nous démontrent qu’il y a eu assassinat comme c’est le cas pour M. Chebeya où il y a tout un scenario.
Intervention de la cour
La Cour ne peut donner sa qualification sur les faits apportés devant elle que par un jugement et dans le cas d’espèce, cela n’est pas encore fait. Après cette étape nous pensons que l’on peut passer à la plaidoirie.
Intervention des parties civiles
L’article 250 du code judiciaire militaire veut qu’après les observations, que l’on passe à l’instruction des faits, ce qui veut dire que l’on ne peut pas passer à la plaidoirie sans avoir instruit sur cette infraction. C’est une question qui a même été soulevée par la défense. Il nous faudra réunir tous les éléments constitutifs de cette infraction et le débat doit être contradictoire. Pour ce faire, nous demandons à la Cour de pouvoir inviter les renseignants ci après :
- Docteur Nzuzi
- APP Kabongo
- Inspecteur de Police Judiciaire (IPJ) Konde
- M. Dolly Ibefu de la VSV
- Le directeur de la morgue de l’hôpital général de Maman Yemo
Intervention du MP
M. Dolly, le docteur Nzuzi et l’IPJ Konde ont été entendus par nous en son temps mais ils n’ont pas fait des déclarations qui peuvent nous éclairer dans cette infraction d’assassinat de M. Bazana. Leur PV se trouve dans le dossier.
Intervention de la défense
Les parties civiles sont entrain de faire obstruction de la décision de la Cour et la Cour ne peut pas prêter l’oreille à cette demande parce que le MP a bien dit que lors de leur audition, ces personnes n’avaient pas fait des déclarations qui peuvent éclairer la Cour sur cette nouvelle infraction.
Intervention de la Cour
La Cour estime que les personnes citées ne pourront pas nous éclairer et M. Dolly qui a comparu devant nous n’a jamais parlé de M. Bazana dans ses déclarations. En plus tout au long des différentes audiences, nous avons parlé de M. Bazana et M. Gomer l’a relevé.
Intervention des parties civiles
A aucun moment au cours des différentes audiences nous avons parlé de M. Bazana. L’infraction de l’enlèvement n’a jamais été instruite ici devant la Cour. Le principe veut que c’est la Cour qui oriente les débats, pose en premier lieu les questions et les autres parties au procès viennent compléter l’instruction.
Q. Prévenu colonel Mukalayi, confirmez-vous avoir déclaré à l’audience de ce jour que vous n’étiez pas au courant que M. Chebeya était accompagné de M. Bazana, vous ne l’avez su que le 2 juin 2010, le jour où les défenseurs des droits de l’homme sont venus à l’inspection générale de la PNC chercher M. Chebeya ? 
R. Oui, je le confirme.
Observation : A l’audience d’aujourd’hui le prévenu Mukalayi vient de nous confirmer que M. Chebeya était à l’inspection générale de la PNC le 01 juin 2010 et comme ce dernier ne sait pas conduire, il est toujours accompagné de son chauffeur qui est aussi membre de la VSV.
La Cour n’a pas accédé à la demande des parties civiles sur l’instruction de l’infraction de l’assassinat de M. Bazana. La prochaine audience est prévue pour le jeudi 31 mars 2010 pour plaidoirie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire