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vendredi 9 octobre 2015

Exposé du Représentant spécial Martin Kobler au Conseil de sécurité

Pour une paix irréversible
7 octobre 2015 
Monsieur le Président, 
Distingués Membres du Conseil de sécurité,
 J’aimerais avant toute chose adresser mes plus chaleureuses félicitations à l’Espagne pour son accession à la présidence du Conseil.
Mon mandat en qualité de Représentant spécial du Secrétaire général en République démocratique du Congo touche à sa fin et de ce fait, j’ai l’honneur de présenter pour la dernière fois:
- Le Rapport du Secrétaire général et faire le point sur les principaux faits survenus en République démocratique du Congo ;  - Et donner un aperçu général des réalisations et ce qui reste à faire.
Aujourd’hui, j’aborderai en particulier trois sujets :
- La situation du pays et le processus électoral
- La situation sécuritaire à l’est, et
- Le dialogue stratégique.
 L’évolution de la situation politique
Monsieur le Président,  
Au terme d’un mandat de plus de deux années, je quitte la RDC avec un sentiment de satisfaction et de fierté mais conscient que notre mandat n’a pas encore été pleinement accompli.
Je ne saurais dire avec certitude si les progrès enregistrés tiendront sur le long terme ou si le spectre de la violence ne risque pas de resurgir et de saper les avancées jusqu’ici réalisées.
Le processus électoral est de plus en plus au cœur de la situation politique en RDC. Les tensions politiques sont davantage vives en prévision des échéances électorales de 2016. Cet état des choses aura un impact sur la situation sécuritaire, le dialogue stratégique et la mise en œuvre de notre mandat.
La tenue en novembre 2016 d’élections apaisées, crédibles et en temps voulu, enverra un message fort au monde que la République démocratique du Congo est une nation qui respecte sa Constitution, une nation soucieuse de procéder à une passation pacifique du pouvoir et résolument engagée dans la consolidation de la paix.
Je suis préoccupé par le nombre croissant de violations de droits de l’homme en relation avec le processus électoral, et plus particulièrement les violations du droit à la liberté de réunion pacifique. La réduction de l’espace politique à la veille des élections mettra en mal la crédibilité du processus électoral.
J’exhorte le Gouvernement de la RDC à prendre toutes les mesures qui s’imposent afin que les élections présidentielles et législatives prévues en novembre 2016, soient transparentes, crédibles et inclusives. 
J’invite les autorités congolaises à aborder et résoudre de manière décisive et sans délai les questions en suspens liées à :
- L’agencement du calendrier électoral tout en respectant les délais constitutionnels ;
- Le budget électoral ;
- La mise à jour du fichier électoral afin d’y inclure les nouveaux majeurs ayant atteint l’âge de 18 ans depuis les dernières élections en 2011.
Aucune action ne doit entraver la tenue en novembre 2016 des élections législatives et présidentielles comme prévue par la Constitution.
La MONUSCO continuera de s’acquitter de son rôle de bons offices pour soutenir les acteurs politiques et le peuple congolais. 
La situation des droits de l’homme
J’attire également votre attention sur la situation concernant les droits de l’homme. Le 29 septembre dernier, le Conseil des droits de l’homme à Genève s’est dit préoccupé par la situation des droits de l’homme en RDC où plus de 2.200 cas de violations de droits de l’homme touchant 5.400 victimes ont déjà été enregistrés pour la seule année en cours. La moitié de ces abus ont été perpétrés par des agents étatiques. Malgré plusieurs appels répétés, les progrès sont restés limités quant à la traduction en justice des hauts responsables. 
La situation sécuritaire
Monsieur le Président, 
S’agissant de la situation à l’est de la RDC,
À mon arrivée  en RDC en août 2013, la ville de Goma se remettait encore de l’occupation par le M23. En août 2015, c’est dans un aéroport récemment rénové  que j’ai atterri à Goma à bord d’un appareil d’une grande compagnie internationale. Le retour bien que timide des investisseurs est un signe indéniable d'amélioration de la stabilité et de la sécurité dans cette ville. Dans certains îlots de la stabilité à l’est, l'État a démontré sa capacité à améliorer la présence de l'armée et de la police, avec un système judiciaire est progressivement mis en place et des services de base mis à disposition.
Dans certaines parties de l'est du pays, les réfugiés retournent progressivement chez eux. Cependant, la population se méfie d'une paix fragile qui demande à être consolidée. C’est la raison pour laquelle de nombreux Congolais continuent de faire appel à nous pour les protéger.
Je me félicite de l’amélioration de la performance de la Force ces dernières années. Ceci est le résultat des efforts inlassables du Commandant de la Force et de son adjoint. Les patrouilles à pied ainsi que les patrouilles de nuit sont désormais des accomplies quotidiennement.
Bien que l'action préventive soit difficile à quantifier, je n’ai aucun doute que notre présence et nos mécanismes d'alerte précoce contribuent à protéger de façon régulière les populations les plus vulnérables.
Au cours des deux dernières années:
Le M23 a été vaincue militairement. Mais le succès militaire à lui seul n’est pas suffisant pour s’inscrire dans la durée. Des ex-combattants du M23 continuent de séjourner dans des camps au Rwanda et en Ouganda. Tous les efforts de réinsertion conformément à la Déclaration de Nairobi ont jusque-là été vains. C’est une bombe à retardement qui doit être désamorcée de toute urgence. 
Les Forces démocratiques alliées (ADF) ont été affaiblies tandis que leur champ d’action a été diminué. Le mois dernier, j’ai visité Kamango, une ville située non loin de la frontière ougandaise. Pendant des années, cette ville a été terrorisée par les ADF. En 2013, près de 120.000 personnes, soit 90 pour cent de sa population, ont fui par crainte pour leur vie, transformant Kamango en une ville fantôme. Avec l’engagement courageux au combat des Forces armées de la RDC (FARDC) et grâce au déploiement des forces de maintien de la paix des Nations Unies, nous assistons à un retour progressif de 80.000 réfugiés depuis le début de 2014. J’ai vu un centre-ville en regain de vitalité avec un marché florissant et une activité économique en pleine expansion. Et le message que j’ai sans cesse entendu au cours de mes visites est que la présence de la MONUSCO reste indispensable.
Mais en fin de compte, tout cela n’est pas suffisant. Il faut que l'État soit présent pour assurer ses fonctions de protection et de mise à disposition des services judiciaires et administratifs.
Les capacités des FARDC et de la police restent limitées sur le territoire en raison d'un manque de ressources et de personnel. Nous sommes en effet impatients de voir les forces congolaises reprendre de plus en plus ces responsabilités cruciales, et nous resterons disponibles pour appuyer un tel transfert progressif, même provisoire.
Plus à l'ouest, dans la localité de Beni, la population continue de subir l'angoisse du conflit armé. Les quelques 440 victimes de la terreur enregistrées en l’espace d’une année envoient un message sans équivoque : les ADF sont loin d'être vaincus.
Je dois admettre que nous aurions pu faire mieux car, une victime de plus est une victime de trop. Mais, grâce aux patrouilles actives et l'action proactive, nous avons empêché qu’il y ait beaucoup plus de massacres. 
La question des FDLR
Monsieur le Président,
La présence des FDLR reste l'un des obstacles majeurs à la paix dans l'est de la RDC.
Près de 12.000 éléments FDLR ont été rapatriés au cours des douze dernières années. Mais, le dernier kilomètre reste toujours le plus difficile.
Je salue les condamnations pénales à long terme prononcées récemment contre deux dirigeants des FDLR par un tribunal en Allemagne. Je me réjouis particulièrement que ce tribunal ait qualifié les FDLR d’organisation terroriste. Il ne fait aucun doute : 1100 éléments FDLR continuent de perpétrer de nombreux actes d’assassinat, de viol, de mutilations, de traitements cruels, entre autres crimes. Cela fait déjà de nombreuses années qu’ils oppriment les habitants de l'est de la RDC. 
Nous devons mettre fin à leur règne de terreur
J’accueille très favorablement la déclaration conjointe faite par le Rwanda et la RDC le 24 septembre annonçant leur coopération en vue d'éradiquer les FDLR. La neutralisation des FDLR à l'est de la République démocratique du Congo demeure notre objectif politique et militaire le plus important. 
L’appel à la coopération
Monsieur le Président,
La conduite des opérations conjointes FARDC-MONUSCO demeure la seule solution efficace à la situation sécuritaire. 
Lors de mon dernier exposé devant le Conseil, j’avais exhorté le Président Kabila à donner le feu vert pour des opérations conjointes. Malheureusement, ce feu vert n'a toujours pas été donné. Une fois de plus, j’invite le Président à instruire les FARDC à reprendre la coopération qui, par le passé,  a produit d’innombrables résultats positifs.
- Ce n’est qu’en étant unis que nous pourrions assurer une paix durable;
- Ce n’est qu’en étant unis que nous garantirons la sécurité à ces femmes et hommes pour qu’ils puissent cultiver leurs champs;
- Ce n’est qu’en étant unis que nous permettrons aux enfants d’aller à l'école. 
Une stratégie de retrait responsable
Monsieur le Président,
La MONUSCO doit progressivement se retirer de la RDC. L'engagement de l'Organisation des Nations Unies envers le peuple congolais reste constant d’autant que la stratégie de retrait de la Mission dépend de la poursuite des progrès tangibles sur le terrain.
Nous ne pouvons pas, et ne devons pas quitter le pays de manière précipitée.
Le dialogue stratégique entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement est une plateforme spécifiquement créée pour discuter et s’accorder sur une réduction progressive de la Mission dans le cadre d'une stratégie de retrait adoptée de commun accord. Malheureusement, les conclusions de notre récente évaluation conjointe ont révélé que la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée, voire même s’est détériorée dans 21 territoires sur 28 territoires touchés par les conflits armés.
Conformément à la résolution 2211 du Conseil de sécurité, j’ai proposé au Gouvernement congolais un processus en trois étapes qui mettra en branle la stratégie de sortie de la MONUSCO. L‘accomplissement de notre objectif partagé d'un retrait graduel et progressif  sans mettre en péril les gains enregistrés nécessite la tenue d’autres discussions constructives plus approfondies entre le Gouvernement de la RDC et l'Organisation des Nations Unies et impliquant la communauté internationale. Le Secrétaire général a pris note de la position du Gouvernement dans le cadre du dialogue stratégique et s’est dit prêt à examiner les résultats présentés par le Gouvernement.
Je remercie le Gouvernement congolais pour son soutien et sa foi en la MONUSCO. Je reste convaincu que nous allons aplanir les questions en suspens dans un esprit constructif. 
Le soutien à la RDC : une approche fondée sur des principes 
Monsieur le Président,
Je reste convaincu que, maintenant plus que jamais, la Mission de maintien de la paix des Nations Unies en RDC est particulièrement bien placée pour soutenir le peuple et le Gouvernement de la RDC.
En plus de notre capacité à protéger et à stabiliser le pays, je me félicite de ce que nous sommes restés fidèles à une approche fondée sur des principes.
- Une approche qui n'a eu pas peur d’aborder les questions relatives aux droits de l'homme;
- Une approche qui ne cherchait pas l'opportunisme dans nos pourparlers avec le Gouvernement, car nous sommes restés en faveur d’une stratégie de retrait de la Mission responsable et graduelle;
- Une approche qui met la Constitution au-dessus des considérations politiques opportunistes. 
Politique de tolérance zéro
Monsieur le Président,
Le poids de l'Organisation des Nations Unies repose en partie sur les valeurs qu'elle défend au quotidien.
Les cas d’exploitation et d’abus sexuels non seulement ternissent notre réputation, mais ajoute aussi à la souffrance et alourdit le fardeau des populations les plus vulnérables. Ces violations sapent la confiance fondamentale des populations à notre égard.
Pour faire écho à la politique de tolérance zéro du Secrétaire général, en collaboration avec le Commandant de la Force et le Chef de la Police, nous avons sensibilisé des milliers de personnels du maintien de la paix, civils et militaires confondus.
Nous devrions intégrer dans nos modes opératoires les mesures visant à faire avancer la prévention et l’imputabilité. 
Pour une stabilité à long terme
Monsieur le Président,
La mise en œuvre de l'accord-cadre d'Addis-Abeba doit être redynamisée. Les principales réformes dans les secteurs de la sécurité, de la police, de la justice et de l’administration pénitentiaire sont essentielles à la stabilité à long terme en RDC. L’absence de bonne gouvernance est l'une des causes profondes du conflit.
Je félicite l’Envoyé spécial Said Djinnit pour son plaidoyer remarquable en faveur de la RDC et je voudrais également souhaiter plein succès à la Conférence sur l'investissement du secteur privé prévue en début d'année prochaine.
Si nous voulons renforcer l'investissement étranger direct dans le pays, nous ne devons ménager aucun effort pour assurer la stabilité, la sécurité et l’établissement de l’état de droit sur le long terme. L'engagement de l'équipe des Envoyés spéciaux a été crucial tout au long de mon mandat. Je voudrais ici remercier tous ces collègues pour leur soutien indéfectible.
 Permettez-moi enfin d’aborder un sujet important au-delà du mandat de la MONUSCO. Je suis profondément préoccupé par la dégradation de l'environnement et la déforestation de la forêt tropicale congolaise. Les ressources naturelles de la RDC sont une bénédiction, et ce patrimoine naturel sans pareil doit être préservé pour les générations futures en Afrique et dans le monde entier. 
Notre promesse
Monsieur le Président,
Je tiens à remercier le Conseil de sécurité pour son appui sans faille et pour avoir accordé à la RDC toute l'attention qu'elle mérite. Je voudrais également exprimer ma gratitude aux collègues du Siège, particulièrement le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix M. Hervé Ladsous et son équipe pour leur soutien continu et leurs précieux conseils dans nos moments difficiles. Mes remerciements s’adressent aussi à la Représentante spéciale Mme Leila Zerrougui pour son engagement et ses efforts inlassables visant à sortir les enfants de l’emprise de groupes armés brutaux. À la Représentante spéciale Mme Zainab Bangura, j’aimerais lui dire merci pour son engagement et tout le soutien apporté à la Mission en vue de mettre fin au fléau de la violence sexuelle et soulager la peine de milliers de femmes et de filles qui en sont victimes en RDC.
Je voudrais aussi remercier tous collègues de la MONUSCO, militaires, policiers et civils pour leur travail et leur dévouement afin de remplir notre promesse au peuple congolais. L'amitié partagée au sein de cette équipe est l'expérience la plus enrichissante de ma vie professionnelle. 
Un mandat inachevé 
Monsieur le Président,
Distingués Membres du Conseil de sécurité,
Durant ces deux dernières années, j’ai parcouru le Congo. Je cherchais activement à écouter toutes les composantes de la société afin de mieux comprendre et répondre aux attentes des habitants du pays
J’ai rencontré des représentants des organisations de femmes et de jeunes, des villageois dans des marchés, d'anciens enfants-soldats et tant d'autres personnes dont les vies ont été changées à jamais par la guerre. Ils sont un rappel quotidien que des milliers de personnes comptent sur nous.
Nous avons le devoir et la responsabilité d'assurer la sécurité et la stabilité du Congo et faire en sorte que les progrès atteints jusqu'ici soient irréversibles. Permettez-moi ici de saluer la persévérance et la résilience des Congolais qui ont été témoins des horreurs de la guerre ; les femmes qui ont subi l'atrocité de la violence et les enfants qui ont perdu leur innocence aux mains de combattants brutaux.  
- Ils sont la raison pour laquelle la MONUSCO reste ferme et appelle au respect des droits de l'homme; - Ils sont la raison pour laquelle nous plaidons pour un retrait progressif, et non précipité, de la Force; - Ils sont la raison pour laquelle nos civils, policiers et personnels militaires travaillent sans relâche pour la paix.  
Au peuple Congolais, qu’il me soit permis de vous remercier chaleureusement pour votre hospitalité et pour l’accueil que vous nous avez toujours réservé en tant qu’invités dans votre pays. Je suis plein d’admiration pour votre force et votre profonde aspiration à la paix et au progrès. 
Les graines d'un Congo stable, sécurisé et résilient ont été déjà semées. Je suivrais votre parcours de loin dans l’espoir de voir cette semence fleurir et prospérer dans les années à venir.

C’était un honneur de vous servir.         

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