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mardi 18 novembre 2014

RD Congo : Une opération policière a conduit à la mort de 51 jeunes hommes et garçons Le commandant de la campagne anti-criminalité « Opération Likofi » devrait être suspendu dans l’attente d’une enquête

(Kinshasa, le 18 novembre 2014) – La police de la République démocratique du Congo a sommairement tué au moins 51 jeunes hommes et garçons et soumis 33 autres à des disparitions forcées au cours d'une campagne anti-criminalité qui a été lancée il y a un an, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. L’« Opération Likofi », qui a duré de novembre 2013 à février 2014, a pris pour cible les membres présumés de gangs dans la capitale de la RD Congo, Kinshasa.
Le rapport de 63 pages, intitulé « Opération Likofi : Meurtres et disparitions forcées aux mains de la police à Kinshasa », décrit comment des policiers en uniforme, portant souvent des cagoules, ont traîné des membres présumés de gangs connus sous le nom de « kulunas » hors de leurs demeures pendant la nuit et les ont exécutés. Les policiers ont ouvert le feu et tué des jeunes hommes et garçons non armés devant leurs maisons, dans les marchés ouverts où ils dormaient ou travaillaient, ainsi que dans des terrains à proximité ou dans des espaces isolés. Un grand nombre d'autres ont été emmenés - sans que les policiers ne présentent un mandat d’arrêt - vers des destinations inconnues, et soumis à des disparitions forcées.

« L’Opération Likofi a été une campagne brutale de la police congolaise qui a laissé une trainée de meurtres commis de sang-froid dans la capitale », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Lutter contre la criminalité en commettant des crimes ne renforce pas l’État de droit, mais ne fait qu’aggraver un climat d’angoisse. Les autorités congolaises devraient enquêter sur les meurtres, en commençant par le rôle du commandant en charge de l'opération, et traduire les responsables en justice. »
Human Rights Watch a mené des entretiens à Kinshasa auprès de 107 personnes, dont des témoins, des membres des familles des victimes, des policiers qui ont participé à l'Opération Likofi, des représentants du gouvernement, et d’autres personnes. Human Rights Watch a également diffusé une vidéo et des photographies, notamment de kulunas présumés qui ont été tués lors de l'Opération Likofi, ainsi que des entretiens avec les membres de leurs familles.
Le gouvernement congolais a lancé l'Opération Likofi le 15 novembre 2013, à la suite d’un engagement public du président Joseph Kabila de mettre fin à la criminalité des gangs à Kinshasa. Les kulunas avaient été responsables d'une vague de vols à main armée et d’autres crimes graves dans divers quartiers de la capitale depuis 2006.
Au cours des trois mois qu’a duré l'opération, la police a conduit de nombreux raids, prenant pour cible plusieurs personnes qui n'avaient rien à voir avec les kuluna. Certaines étaient des enfants de la rue, tandis que d'autres étaient des jeunes accusés à tort par leurs voisins dans des conflits non apparentés. Certains ont simplement eu la malchance de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Dans tous les cas examinés par Human Rights Watch, les personnes qui ont été tuées ne représentaient aucune menace imminente à la vie qui aurait justifié l’utilisation de la force létale par la police.
Initialement, les policiers semblaient utiliser leurs tactiques brutales comme un avertissement pour les autres. De nombreuses victimes ont été battues et humiliées par la police devant une foule avant d'être tuées, et les policiers ont parfois appelé les gens à venir regarder le corps après l'exécution d'un suspect. Dans un grand nombre de cas, ils ont laissé le corps dans la rue, peut-être pour effrayer les autres, et ne l’ont récupéré que plus tard pour le transporter dans l’une des morgues de la capitale.
Après que les Nations Unies et des organisations locales de défense des droits humains aient exprimé publiquement leurs inquiétudes, les policiers ont changé leur tactique : au lieu d'exécuter les suspects publiquement, ils ont emmené les personnes arrêtées dans un camp de la police ou dans un lieu inconnu. Selon des policiers qui ont participé à l'Opération Likofi, et selon un rapport confidentiel rédigé par un gouvernement étranger, certains des kuluna présumés enlevés par la police ont fini par être secrètement tués.
La police a averti les membres des familles des victimes ainsi que des témoins qu’ils ne devaient pas parler de ce qui était arrivé, leur a refusé l'accès aux corps et les a empêchés d’organiser des funérailles. Des journalistes congolais ont été menacés lorsqu'ils ont tenté de documenter ou de diffuser des informations sur les meurtres commis lors de l'Opération Likofi. La police a dit aux médecins de ne pas soigner les kuluna présumés qui avaient été blessés au cours de l'opération, et des agents du gouvernement ont ordonné aux employés des morgues de ne parler à personne des corps qui s’y accumulaient, sous prétexte qu’il s’agissait d’une « affaire gouvernementale confidentielle ».
Un magistrat militaire qui souhaitait ouvrir une enquête judiciaire sur un colonel de la police qui aurait abattu un kuluna présumé détenu lors de l'Opération Likofi a reçu des instructions orales de la part d'un responsable du gouvernement de « fermer les yeux » et de ne pas donner suite à l'affaire.
« Les éléments de preuve recueillis impliquent des officiers congolais de haut rang dans les meurtres et les disparitions, ainsi que dans les dissimulations qui ont suivi », a indiqué Daniel Bekele. « Les membres des familles méritent de savoir ce qu'il est advenu de leurs proches qui ont été enlevés ou tués par la police. Les autorités congolaises devraient immédiatement rendre ces informations disponibles, et veiller à ce que les familles des victimes soient en mesure d’obtenir justice et d’organiser des enterrements sans crainte de représailles. »
Le commandement de l'Opération Likofi a alterné officiellement entre le Général Célestin Kanyama et le Général Ngoy Sengelwa. Des policiers ayant participé à l'opération ainsi qu’un officier de police de haut rang interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que, dans la pratique, Kanyama était le principal commandant de l'Opération Likofi qui donnait les ordres sur la façon dont l'opération devait être menée. Des policiers ont affirmé que Kanyama a donné l'ordre de tuer certains kuluna présumés et qu’il était présent lors de certaines de ces attaques.

Kanyama, lors d'une rencontre avec Human Rights Watch en août dernier, a rejeté ces allégations et a qualifié de « rumeurs » les informations faisant état d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées.
D'autres autorités gouvernementales et officiers de police de haut rang ont cependant reconnu auprès de Human Rights Watch qu'il y a eu des cas d'exactions commises par des policiers lors de l'Opération Likofi, notamment des homicides. Toutefois, les magistrats affectés à l'opération ont affirmé qu'aucun des policiers ayant participé à l'Opération Likofi n’a été arrêté ou condamné pour des meurtres ou des enlèvements, bien que certains aient été condamnés pour extorsion et d'autres délits mineurs.
Human Rights Watch a appelé les autorités congolaises à suspendre immédiatement le Général Kanyama de ses fonctions, et à ouvrir une enquête judiciaire sur son rôle présumé dans les exactions commises au cours de l'Opération Likofi. Le 13 novembre, des membres des familles de 25 victimes qui ont été tuées ou qui ont fait l’objet de disparitions forcées lors de l'Opération Likofi ont demandé justice dans une lettre adressée au procureur général de la RD Congo. Ils ont exhorté le gouvernement à « nous informer dans les meilleurs délais sur le sort de nos enfants portés disparus et de nous indiquer le lieu d’enterrement de ceux qui ont été abattus, afin de nous permettre d’organiser des funérailles en toute dignité et conformément à nos coutumes ». Ils ont également appelé à des enquêtes, et demandé que « les plus hauts responsables civils et policiers ayant intervenu dans ladite opération soient traduits en justice ... et que des réparations puissent être faites à l’issue de ces procès. »
Le 15 octobre, l'ONU a publié un rapport de 22 pages documentant les exécutions sommaires et les disparitions forcées commises par les forces de police ayant participé à l'Opération Likofi à Kinshasa. Deux jours plus tard, le gouvernement congolais a demandé au Directeur du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) en RD Congo, Scott Campbell, de quitter le pays.
« L'expulsion d'un haut responsable des Nations Unies pour avoir révélé les exactions de la police lors de l'Opération Likofi laisse craindre que les autorités congolaises ne prennent pas au sérieux la nécessité de mettre fin aux crimes commis par la police », a conclu Daniel Bekele. « Le gouvernement devrait se focaliser sur les enquêtes et les poursuites contre les personnes responsables de ces crimes, au lieu de continuer à les couvrir. »

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