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vendredi 1 août 2025

La CNDH, une institution en quête de crédibilité

Créée pour protéger les droits humains en RDC, la CNDH peine à remplir son mandat surtout avant, pendant et après les élections. Entre crises internes, politisation et sous-financement, elle voit sa légitimité contestée, au point que certains acteurs politiques envisagent sa suppression dans le cadre de la réforme institutionnelle. Cette quatrième et dernière note de la série analyse ses blocages structurels et explore des pistes pour restaurer son rôle.

Avant la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), un Observatoire des droits de l’homme avait été mis en place durant la transition de 2003 à 2006. Cependant, à l’adoption de la Constitution de 2006, seules la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) avaient été maintenus comme institutions d’appui à la démocratie. La possibilité de créer d’autres institutions était laissée au législateur. Ce n’est qu’en 2013 que la CNDH a vu le jour, grâce à la loi organique n°13/001 du 21 mars 2013. Sa mission est de « promouvoir et protéger les droits de l’homme en RDC, tout en affirmant son indépendance juridique face aux ingérences tant nationales qu' internationales ».

Outre la réception des plaintes pour violations des droits humains, la CNDH mène des enquêtes, visite des centres de détention et s’implique dans le suivi du processus électoral en qualité d’observatrice. Son rôle reste toutefois affaibli par des lacunes structurelles et des tensions internes;

Une gouvernance fragilisée par des tensions internes

La CNDH compte neuf commissaires, désignés par l’Assemblée nationale sur proposition de groupes sociaux et professionnels, puis investis par le président de la République. Si ces nominations, encadrées par la loi, sont censées garantir compétence et intégrité, elles font régulièrement l’objet de critiques pour leur manque de transparence et leur forte politisation.

Malgré la participation théorique de divers groupes sociaux à la désignation des commissaires, la procédure de nomination reste critiquée par son manque de transparence et sa politisation. Pour garantir une indépendance réelle, il est nécessaire d’aller au-delà du multipartisme formel en instaurant une procédure véritablement transparente, pluraliste et ouverte à la société civile.

Paul Nsapu, président de la CNDH, met en avant la composition citoyenne de l’institution :

« La CNDH est essentiellement constituée des civils et pas des politiques ». Pourtant, dès l’installation de la commission en 2015, des conflits internes au sein de la société civile ont retardé les nominations, ce qui a nourri les accusations de cooptation politique. Cette situation a d’emblée fragilisé la crédibilité de l’institution.

Le renouvellement des commissaires, qui n’a eu lieu qu’en 2022, aurait dû intervenir deux ans plus tôt, en 2020, conformément au mandat légal de cinq ans. Mais les tensions internes et les retards administratifs ont prolongé cette transition, alimentant des critiques sur la gestion de la CNDH. À peine installée, la nouvelle équipe s’est retrouvée confrontée à une crise de leadership. En septembre 2023, une plénière élective a destitué Paul Nsapu de la présidence de la CNDH en son absence, élisant Gisèle Kapinga pour le remplacer.

Véronique Ngongo, rapporteur-adjoint, a alors affirmé que plusieurs accusations pesaient sur Nsapu, notamment des malversations financières et des atteintes au droit à la dignité humaine. Toutefois, le Conseil d'État a annulé cette décision en novembre 2023, réhabilitant Paul Nsapu dans ses fonctions. Cette réhabilitation n’a cependant pas permis d’apaiser immédiatement les tensions : moins de deux semaines plus tard, une nouvelle tentative de destitution a ravivé la crise interne.

Ces querelles persistantes, survenues en pleine période pré-électorale, ont non seulement terni l’image de la CNDH, mais aussi paralysé ses activités essentielles. En conséquence, la commission n’a pas pu remplir pleinement son rôle de gardienne des droits de l'homme. Paul Nsapu lui-même le reconnaît : « À cause de cette crise, nous avons raté de transmettre notre budget au gouvernement à ce moment-là ».

Faute de prévisions budgétaires claires, la CNDH a vu ses ressources financières, déjà limitées, encore plus compromises, ce qui a affecté directement son efficacité sur le terrain.

Une institution sous perfusion budgétaire

Le financement de la CNDH dépend exclusivement de la dotation budgétaire de l’État, conformément à l'article 26 de la loi organique. Or, ce financement est non seulement insuffisant, mais aussi décaissé de manière irrégulière, limitant considérablement les capacités de l'institution. Paul Nsapu l’admet : « Les moyens ne sont pas suffisants. En général, les institutions d'appui à la démocratie sont souvent délaissées. Nous devons nous battre pour faire en sorte que les administrations soient en mesure de décaisser régulièrement le budget et avoir un gouvernement plus stable ».

Pour l'année 2024, le budget de la CNDH a été fixé à 17 milliards de francs congolais, soit quelque 6 millions de dollars. Cependant, les taux d'exécution des budgets illustrent une tendance préoccupante : par exemple, en 2022, seuls 65 % des crédits votés ont été exécutés, et ce taux est tombé à 43 % à la fin octobre 2023.

Le sous-financement chronique a forcé la CNDH à réduire drastiquement ses activités. En avril 2023, 75 % des effectifs provinciaux ont été gelés, ne maintenant en poste que les coordonnateurs provinciaux. Sur 400 agents, environ 200 sont restés en poste, la rémunération n’atteignant que 50 dollars américains par mois. Bien que la Monusco ait apporté un soutien ponctuel, notamment en finançant un bâtiment pour la CNDH en Ituri, ces appuis extérieurs demeurent marginaux et ne compensent pas les faiblesses structurelles de financement.

Cette précarité budgétaire limite particulièrement la capacité d’action de la CNDH dans les provinces, là où les violations des droits humains sont souvent les plus graves. Paul Nsapu insiste sur les conséquences de cette situation : « Quand les moyens manquent, les activités prévues ne peuvent être exécutées, et l’impact sur le terrain devient invisible ».

Ce paradoxe est frappant : une institution censée être un pilier de la démocratie se retrouve elle-même fragilisée par une gouvernance défaillante et un manque de ressources. En conséquence, ces tensions budgétaires ont non seulement limité les activités régulières de la CNDH, elles ont aussi affaibli sa capacité à agir lors des crises majeures, comme le cycle électoral de 2023. L’institution a donné l’impression d’être dépassée.

Un rôle marginal dans le processus électoral Le processus électoral de 2023 a été marqué par des atteintes graves et systématiques aux droits humains ainsi qu’à une restriction notable de l’espace politique. Des opposants politiques ont été empêchés de manifester, de se réunir, et parfois même de se déplacer à travers le pays, illustrant des entraves aux libertés fondamentales.

Après la répression brutale de la marche de l’opposition du 20 mai 2023, les autorités ont interdit d’autres manifestations, notamment sur le boulevard du 30 juin à Kinshasa. La tentative de l’opposant Moïse Katumbi de relancer son parti dans le Kongo central s’est heurtée à une interdiction d’entrée par le gouverneur de cette province. Dans la foulée de la marche du 20 mai, l’ex-député Mike Mukebayi a été arrêté et détenu près de deux ans avant de bénéficier d’une libération conditionnelle le 1er mars 2025. Le point le plus culminant de ces répressions a été atteint, le 13 juillet 2023, avec l’assassinat du député Chérubin Okende, ancien ministre et porte-parole du parti politique d’opposition Ensemble pour la République.

Au cours de la campagne électorale et des scrutins, l'intolérance politique a exposé certains partisans de l’opposition à des violences de la part de milices et partisans du pouvoir. Franck Diongo, candidat à la présidentielle, en a été victime. Par ailleurs, le jour du scrutin, des personnes soupçonnées d’avoir voté pour l’opposition dans la région du Kasaï ont été tabassées, dénudées et blessées. D’autres cas de violence des droits humains ont également impliqué des partisans de l’opposition à travers le pays. Face à ces atteintes, la CNDH n’a pas été perçue comme jouant un rôle pleinement actif.

L’institution défend néanmoins son action : « Nous avons déployé 1.500 observateurs dans toutes les provinces, assistés par des partenaires de la société civile. Notre objectif était d’observer et documenter les violations des droits humains liées au processus électoral ». La CNDH affirme avoir documenté des « cas emblématiques » et avoir soumis, le 4 janvier 2024, un rapport relevant une trentaine de cas de violations graves auprès du procureur près la Cour de cassation. Cependant, ce document n’a pas été rendu public. « Nous avons des obligations légales qui limitent la divulgation de certains contenus sensibles, mais nous avons partagé ces conclusions avec d’autres missions d’observation pour maximiser leur impact », justifie Paul Nsapu.

L’absence de publication de ce rapport de la CNDH et le manque de suites judiciaires concrètes ont nourri la défiance de la société civile et du public. Cette opacité rend difficile toute mobilisation citoyenne et interroge sur la capacité de l’institution à protéger réellement les droits humains : tant que seuls les autorités et quelques dénonciateurs ont accès aux informations sur les abus commis durant la période électorale, il est illusoire de croire à une réelle protection des droits fondamentaux. À ce jour, aucune sanction n’a été prononcée contre les auteurs de ces violations documentées.

L’impact de la CNDH a été ainsi affaibli par des obstacles structurels et contextuels :

● Sous financement chronique, limitant la capacité de l’institution à déployer des ressources suffisantes, notamment dans les provinces les plus touchées ;

●Manque de suivi sur les recommandations, réduisant l’efficacité et l’impact des actions menées ;

● Absence de mécanisme de transparence et de communication régulière avec la société civile, accentuant la perception d’inefficacité.

En définitive, l’évaluation de l’action de la CNDH lors du processus électoral de 2023 repose sur un double constat :

D’une part, la CNDH affirme avoir contribué à documenter et dénoncer certaines violations, ce qui est essentiel dans les efforts de transparence et d’intégrité des scrutins ;

●D’autre part, son incapacité à traduire ces efforts en résultats concrets – poursuites judiciaires, propositions de réformes institutionnelles – a fragilisé sa crédibilité et renforcé la défiance.

La CNDH reste ainsi confrontée à des attentes élevées qu’elle ne parvient pas encore à satisfaire pleinement. Pour nombre d’observateurs, elle est devenue une structure inefficace, incapable de peser sur les décisions en matière de droits humains. Cette remise en question s’inscrit dans un contexte plus large de réformes institutionnelles : au moment de la relance fin 2024 du débat sur une révision constitutionnelle, certaines voix au sein du cercle présidentiel plaidaient déjà pour une rationalisation des institutions d’appui à la démocratie.

Comme l’a confirmé un vice-Premier ministre lors d’un entretien avec Ebuteli, la suppression ou la fusion de la CNDH avec d’autres structures figure parmi les options de réforme institutionnelle actuellement envisagées, en raison de son efficacité jugée limitée et de son poids budgétaire. Une telle mesure, qui ne nécessiterait pas de modification constitutionnelle mais simplement une réforme législative, est défendue par certains détracteurs qui estiment que la CNDH, dans sa configuration actuelle, représente une charge injustifiée pour l’État.

Cette remise en question institutionnelle s’explique aussi, en grande partie, par les doutes persistants sur l’indépendance réelle de la CNDH. Au-delà des critiques sur son efficacité, c’est la capacité de la commission à fonctionner sans ingérence politique qui alimente le débat sur sa légitimité et son avenir.

Une indépendance en trompe-l’œil ?

Dès son renouvellement en 2022, la CNDH a été rapidement confrontée à des querelles internes et à des accusations de politisation, mettant sérieusement en doute son indépendance réelle. Paul Nsapu, son président, s’est retrouvé, en août 2023, au centre d’un conflit ouvert avec cinq de ses commissaires généraux, accusé de trafic d’influence, de gestion opaque et d’absence de vision stratégique pour la CNDH. Ce climat de défiance a paralysé l’institution et renforcé les soupçons d’ingérence politique dans son fonctionnement.

La politisation de la CNDH ne se limite pas aux luttes internes : la capacité de la commission à s’affirmer comme contre-pouvoir a été soulignée à plusieurs reprises dans les débats publics, notamment en raison de son alignement perçu sur les intérêts du pouvoir en place. Si Paul Nsapu rejette fermement ces accusations, il admet entretenir des contacts avec des responsables politiques, qu’il justifie par la nécessité de traiter en urgence certains dossiers relatifs aux droits humains, et non par opportunisme partisan. « Je ne mettrai jamais en péril la souveraineté de mon pays », affirme-t-il.

Conformément à l’article 14 de la loi organique, la CNDH est censée fonctionner de manière indépendante, sans influence extérieure. Dans la pratique, elle évolue dans un environnement où les marges de manœuvre des institutions d’appui à la démocratie sont extrêmement restreintes. Comme le rappelle le président de la CNDH, « nous sommes une institution publique de l'État ; nous devons donc agir avec prudence ».

Il insiste sur le fait que la CNDH ne peut pas communiquer aussi librement qu’une ONG et que certaines informations doivent rester confidentielles pour ne pas « exacerber les tensions ». La prudence revendiquée par la direction de la CNDH, loin d’être une simple précaution, traduit une dépendance structurelle vis-à-vis de l’exécutif et une autocensure institutionnelle. Cette position assumée de réserve et de confidentialité limite la capacité de la CNDH à remplir pleinement sa mission de vigile des droits humains, notamment en matière de dénonciation publique et de transparence. Il en résulte une institution qui, de son propre aveu, agit dans un cadre contraint et ne peut exercer qu’un rôle partiellement effectif de protection des droits fondamentaux.

En période électorale, cette dépendance aux dynamiques politiques s’est encore accentuée. Plusieurs rapports dénonçant des violations des droits humains, y compris ceux produits par la CNDH, sont restés confidentiels ou n’ont jamais été rendus publics.

Face à ces contraintes, la CNDH se heurte à un véritable dilemme : vouloir remplir pleinement sa mission de contre-pouvoir expose l’institution à des risques de représailles budgétaires, tandis que la prudence limite sa portée. Un ancien commissaire résume ainsi cette tension : « L’enjeu n’est pas seulement le manque de moyens, c’est aussi une question de courage institutionnel. Une CNDH qui dénonce trop risque de se voir couper les vivres ».

C’est pourquoi, au-delà des querelles de personnes, c’est la conception même de la CNDH qui interroge. Peut-on garantir l’indépendance d’une institution dont les responsables sont désignés ou cooptés par des acteurs politiques avant d’être investis par le chef de l’État ? À force de compromis et de pressions, la CNDH semble s’être enfermée dans une position d’équilibriste.

Conclusion et recommandations : refonder la CNDH

Aujourd’hui, la CNDH se trouve à un carrefour décisif : son avenir ne dépend plus seulement de sa survie institutionnelle, mais de sa capacité à se transformer en une véritable autorité indépendante et efficace dans la défense des droits humains en RDC. Les constats de sous-financement, de politisation et d’inefficacité ne sont pas une fatalité : ils appellent à un choix politique assumé et à des réformes structurelles ambitieuses.

Le statu quo n’est plus tenable :

● Maintenir la CNDH dans son état actuel, sans moyens ni indépendance, reviendrait à entériner son inutilité et à priver la société congolaise d’un outil essentiel de

protection des droits fondamentaux.

● Sa suppression pure et simple, désormais évoquée dans certains cercles politiques, ne ferait que renforcer le déficit de surveillance et de recours en matière de droits humains, sans répondre aux besoins de transparence et de justice. L’expérience internationale, notamment celle du Ghana avec la Commission nationale des droits de l’homme du Ghana (CHRAJ), montre qu’une institution nationale des droits humains peut jouer un rôle déterminant à trois conditions :

● Un mode de nomination pluraliste et transparent, associant société civile, Parlement, experts indépendants, pour garantir l’impartialité et limiter l’influence de l’exécutif.

● Un financement sécurisé et protégé par la loi, afin d’éviter toute pression politique par le biais du budget et de permettre à l’institution d’agir sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones les plus sensibles.

Pour que la CNDH devienne une actrice crédible et utile :

● Il est urgent de renforcer son indépendance statutaire et opérationnelle : cela implique de revoir le processus de nomination (voir encadré ci-haut), de garantir la stabilité des mandats, de protéger les membres contre la révocation arbitraire et d’ouvrir la gouvernance à la société civile.

● Le financement doit être pérennisé par la loi, avec des décaissements automatiques et une autonomie de gestion.

● La transparence doit devenir la règle : tous les rapports et recommandations de la CNDH doivent être publiés, et la société civile associée à leur suivi.

● Un mécanisme contraignant d’évaluation et de réponse aux recommandations doit être instauré, obligeant les autorités à rendre compte publiquement de la mise en œuvre des mesures proposées.

En définitive, seule une réforme structurelle, inspirée des meilleures pratiques internationales et adaptée au contexte congolais, permettra à la CNDH de remplir sa mission. Faute de quoi, elle risque de demeurer marginalisée, voire de disparaître, laissant un vide dangereux dans l’architecture de protection des droits humains en RDC.