Tout au long de sa carrière politique, Etienne
Tshisekedi n’a jamais redouté de se faire beaucoup d’ennemis. Mais le
pire d’entre eux, celui dont il ne s’est jamais méfié, c’est lui-même. Narcissique,
orgueilleux, imprévisible… Ces défauts ont pu, alors qu’il défiait
Mobutu, lui servir de cuirasse, le rendre insensible aux menaces ou aux
pressions. Mais à l’heure actuelle, alors que, pour l’emporter face à un Kabila
qui jouit de la rente du pouvoir, l’alliance des principaux candidats de
l’opposition est indispensable, ces traits de caractère risquent de lui faire
gâcher sa dernière chance.
Lorsqu’il avance à petits pas, coiffé d’une
casquette et soutenu par son fils Félix, Tshisekedi croit encore que l’avenir
est devant lui ; le Poulidor de la politique congolaise est persuadé qu’il
atteindra bientôt le sommet, coiffant tous ses rivaux. En réalité, cet
homme obstiné, courageux, appartient déjà à l’histoire de son pays. En province
comme à Kinshasa, si les foules se pressent lors de ses meetings, c’est
aussi pour apercevoir, une première et une dernière fois peut-être, un
personnage qui s’est statufié de son vivant.
En 1960, année de l’indépendance, Etienne
Tshisekedi wa Mulumba est déjà là : alors qu’il ne terminera ses études de
droit qu’un an plus tard, il fait partie de ces jeunes intellectuels auxquels
Mobutu fait appel pour composer le Collège des Commissaires généraux, un
gouvernement provisoire qui est mis en place après la mise à l’écart de
Patrice Lumumba. Commissaire adjoint à la justice, Tshisekedi sera accusé
d’avoir signé le document envoyant le Premier Ministre au Katanga, où la mort
l’attend.
Au cours des années 60, Tshisekedi est membre
éminent du groupe de Binza, qui rassemble les premiers intellectuels congolais.
Il est ministre de l’Intérieur en 1969 lorsque les « Pendus de la
pentecôte » Kimba, Anany et Bamba sont exécutés, il rédige le
Manifeste de la N’Sele, qui jette les bases du parti unique, le Mouvement populaire
de la révolution. Lorsqu’il est au pouvoir, ce Kasaïen, premier diplômé en
droit de l’histoire du Congo, ouvrira largement les portes de la magistrature
aux ressortissants de sa province.
En 1980, un massacre de mineurs, à Katekalay dans
le Kasaï oriental, provoque la rupture : 13 parlementaires, issus du parti
unique, adressent une lettre ouverte au chef de l’Etat, plaidant pour une
libéralisation de la vie politique. La réponse de Mobutu est
immédiate : les impertinents sont battus, emprisonnés. Deux ans plus
tard, l’Udps - Union nationale pour la démocratie et le progrès social - voit
le jour et « la fille aînée de l’opposition », revendique son droit à
exister à côté du parti unique.
Peines de prison, déportation, bastonnades :
les années 80 sont celles de l’héroïsme face à un Mobutu qui n’admet guère la
contestation tandis que l’Europe détourne le regard. Lorsqu’en 1990,
désireux de devancer les exigences démocratiques de l’Occident, Mobutu met fin
au parti unique, Tshisekedi revendique haut et fort son droit d’accéder au
poste de Premier Ministre tandis que la population exige une conférence
nationale.
La danse avec le Léopard
La danse avec le Léopard commence : en 1991,
Tshisekedi accepte d’être nommé Premier Ministre par Mobutu mais sabote aussitôt
les choses en biffant le terme « garant de la nation » à propos du
chef de l’Etat et il sera limogé sans délai. En août 1992 vient l’heure de
gloire : les délégués à la conférence nationale l’élisent à la Primature,
une légitimité dont il se prévaudra longtemps.
Alors déjà, son leitmotiv, c’est l’Etat de droit et
le contrôle des finances. Lorsque Mobutu tente de s’accrocher à ses
prérogatives présidentielles, et, entre autres, fait tourner la planche à
billets, Tshisekedi, lance une sorte de « fatwa » sur la nouvelle
coupure de cinq millions de zaïres (sic…) qui porte l’effigie du maréchal et
sur les marchés, les mamans récusent cette monnaie de singe.
Alors qu’en décembre 92-janvier 93, les
militaires se lancent dans les pillages et que le pouvoir de Mobutu vacille,
tous les regards se tournent vers le Premier ministre, dont la légitimité est
incontestable et qui a le soutien de l’opinion. Les Occidentaux sont alors
prêts à pousser Mobutu vers la sortie et comptent sur Tshisekedi pour avaliser
le coup de force. Mais ce dernier, durant plusieurs jours, refuse tout contact,
faisant savoir qu’il « fait la sieste »…
A l’époque déjà, Gauthier de Villers souligne
« le malaise causé dans l’opposition par le caractère à la fois
autoritaire et erratique de Tshisekedi »…Finalement démis de ses fonctions
par Mobutu, Tshisekedi, durant des mois, demeure convaincu de sa légitimité et,
sous les arbres de son jardin de Limete, il réunit ses ministres pour des
palabres sans lendemain.
Lorsqu’en 1996-97 l’histoire s’accélère, et que la
guerre éclate au Kivu, sur la frontière du Rwanda, Tshisekedi voit resurgir un
autre revenant, Laurent-Désiré Kabila, compagnon de Patrice Lumumba dans
les années 60. Dès que ce dernier, porté par les armées du Rwanda et de
l’Ouganda, entre dans Kinshasa en mai 1997, il envoie des émissaires à
Tshisekedi, qu’il considère comme un « résistant de l’intérieur ».
Mais les conseillers rwandais empêchent une rencontre directe entre les deux
hommes et Tshisekedi refuse toute collaboration, exhortant Kabila de
« faire d’abord partir les étrangers qui l’accompagnent ».
Pire encore : apprenant que ses «amis »
rwandais auraient le projet d’assassiner l’opposant, - un crime qui lui aurait
été imputé ! - Kabila décide, en catastrophe, de reléguer Tshisekedi dans
son village d’origine au Kasaï. Gaëtan Kakudji, ministre de l’Intérieur,
dote même l’irréductible opposant d’un motoculteur en précisant
qu’« ainsi, il apprendra à travailler »…
Quelques années plus tard cependant, nous
retrouvons Tshisekedi à Goma, gardé par des soldats rwandais. Il revient de
Kisangani où, peu après le bombardement de la ville par les armées rwandaise et
ougandaise, il a assisté à un défilé des troupes ennemies. Les
populations de l’Est mettront du temps à lui pardonner cette collaboration avec
l’envahisseur.
Lorsqu’il participe aux négociations de paix de Sun
City, en 2002, Tshisekedi estime toujours, imperturbable, que le poste de
président ou de vice-président lui revient, sans qu’il ait à poser sa
candidature et à se lancer dans la compétition. Il sera donc écarté de la
formule de « un plus quatre » - un président, quatre vice présidents,
le poste de représentant de la classe politique ayant été confié à Zahidi N’Goma,
beaucoup plus malléable -. C’est en 2006 qu’il commet une erreur dont il paie,
aujourd’hui encore, les conséquences : il déconseille à ses partisans de
s’enregistrer comme électeurs, il ne présente ni listes ni candidatures. Par
conséquent, l’Udps, qui n’est pas représentée à l’Assemblée, ne bénéficiera d’aucune
dotation et ne sera pas associée à la préparation des élections de novembre
2011.
Cette année cependant, Tshisekedi, 79 ans, relevant
d’une longue année de soins médicaux en Belgique, estime que son heure a
sonné : l’Udps est rentrée dans le jeu et présente des listes dans tout le
pays ; dans le Kasaï l’enrôlement des électeurs a dépassé toutes les
prévisions et lors de ses meetings, à Kinshasa, au Katanga, Tshisekedi, le
« Sphinx de Limete » remplit les stades, mais son parti a toujours
refusé de signer le « code de bonne conduite ».
Quant « Moïse », qui ne doute pas de sa
popularité, il a vieilli, mais sans changer pour autant : son parti
se compose toujours de zélotes qui n’osent guère le contredire ; malgré
leur non violence affichée, ses partisans affrontent volontiers les forces de
l’ordre et offrent des « martyrs » à la cause. Comme en 1990, en
1991, en 1993, Tshisekedi répète qu’il incarne l’Etat de droit, la bonne
gouvernance, mais les finances de son parti sont opaques, la gestion des hommes
est calamiteuse, les fidélités relèvent de l’allégeance et son épouse, Maman
Marthe ainsi que son fils Félix ont pris du galon. Lorsqu’ils voteront pour
Tshisekedi en novembre prochain, les Congolais ne voteront pas pour un
inconnu : ils récompenseront le passé et tireront sur l’avenir un chèque
en blanc…
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