Les
services de sécurité devraient cesser leurs attaques contre les candidats
politiques et les manifestants
(Kinshasa,
le 28 octobre 2011) – Les candidats politiques et leurs partisans en République
démocratique du Congo ne devraient pas inciter à la violence et devraient
s’abstenir d’employer des discours haineux durant la prochaine campagne
électorale, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des élections
présidentielles et législatives sont prévues en RD Congo le 28 novembre 2011.
Depuis
le mois de mars, Human Rights Watch a relevé des dizaines de cas de discours
haineux manifestement basés sur des critères ethniques, ainsi que d’incitation
à la violence, de la part de candidats politiques et de leurs partisans. La
police a par ailleurs employé une force inutile et excessive contre des
manifestants politiques. Les agressions verbales et physiques, principalement
contre des candidats de l’opposition et leurs partisans, ont créé un climat de
peur dans certaines régions et soulevé des préoccupations relatives à la
crédibilité des élections.
« Les
candidats qui incitent à la violence risquent de provoquer une campagne
électorale sanglante, et les autorités judiciaires doivent intervenir pour
arrêter ce genre de comportement », a déclaré Anneke Van Woudenberg,
chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Toute personne
aspirant à une fonction gouvernementale devrait également reconnaître les
graves dangers du recours à des discours haineux. »
La
campagne officielle a commencé le 28 octobre pour ce qui seront seulement les
deuxièmes élections démocratiques depuis l’accession de la RD Congo à
l’indépendance en 1960. Le Président Joseph Kabila brigue un second mandat
contre 10 autres candidats à la fonction présidentielle. Près de 19 000
candidats se disputent 500 sièges parlementaires.
Incitation
à la violence et discours haineux
Human
Rights Watch et des groupes congolais de défense des droits humains ont relevé
des cas à travers le pays où des candidats ont employé un discours haineux
ethnique manifeste ou incitaient des gangs, des jeunes, des personnes sans
emploi ou des membres de groupes armés à user de la violence et d’intimidation
contre leurs adversaires.
Dans
la province du Katanga, le président de l’assemblée provinciale, Gabriel
Kyungu, ainsi que d’autres partisans de Kabila, ont fréquemment employé un
langage agressif et provocateur contre des personnes des provinces voisines du
Kasaï, terre natale du candidat présidentiel de l’opposition Etienne
Tshisekedi, leader du parti Union pour la démocratie et le progrès social - Udps
-. Kyungu est le leader du parti Union nationale des fédéralistes du Congo - Unafec
-, membre de l’alliance électorale de Kabila.
Au début de la période
d’inscription électorale au Katanga le 31 avril, Kyungu semble avoir employé
des termes lors d’un discours public à Likasi, dans le nord du Katanga, dont
les habitants savaient qu’ils désignaient les personnes des provinces du Kasaï
vivant au Katanga. Des personnes présentes lors de ce discours ont rapporté ces
propos à Human Rights Watch : « Il y a maintenant trop de moustiques au
salon. Il faut maintenant mettre de l’insecticide. »
Le 1er
août, un groupe de jeunes a attaqué le bureau de l’Udps ainsi que des véhicules
stationnés à l’extérieur dans la capitale du Katanga, Lubumbashi, au cours
d’une visite de Tshisekedi dans cette province. Des témoins ont indiqué à Human
Rights Watch que plus de 20 autobus pleins de jeunes partisans de l’Unafec,
alors qu’ils retournaient à Lubumbashi après avoir participé à un congrès du
parti de l’Unafec à Likasi, ont attaqué le bureau de l’Udps. À leur entrée dans
la ville, les partisans de l’Unafec criaient par les fenêtres : « Nous
sommes venus pour balayer la ville de Lubumbashi ; nous sentons l’odeur des
originaires du Kasaï », tout en faisant le geste avec leurs
mains de se trancher la gorge. Quand les partisans de l’Unafec sont arrivés au
bureau de l’Udps, ils ont déchiré les drapeaux de l’Udps et jeté des pierres
sur le bâtiment et les véhicules stationnés à l’extérieur.
Kyungu a
déjà été impliqué par le passé dans l’incitation à la violence contre les
personnes des provinces du Kasaï. Au début des années 90, alors qu’il était
gouverneur de la province du Katanga - alors appelée Shaba -, il a utilisé à
maintes reprises des discours haineux contre les habitants du Kasaï. Pendant
qu’il était en fonction, les autorités locales ont expulsé de la province par
la force des centaines de milliers de personnes originaire du Kasaï et des
milliers d’entre elles sont mortes. Cette période de violence résonne encore
dans la mémoire de nombreuses personnes de cette région.
Des
discours haineux ethniques similaires ont été employés dans la province du
Nord-Kivu dans l’est de la RD Congo, selon Human Rights Watch. Dans le
territoire de Masisi, une région dévastée depuis longtemps par les conflits et
les tensions ethniques, certains candidats congolais d’origine ethnique hutu et
tutsi qui parlent kinyarwanda, souvent appelés Rwandophones, et leurs
partisans, semblent avoir incité à la violence contre d’autres groupes
ethniques.
Des
témoins ont déclaré à Human Rights Watch que Sylvain Seninga Ntamukunzi, un
député national candidat à sa réélection, lors d’un discours public à Rubaya le
25 mars a appelé la population rwandophone à « se libérer de cette
domination, cet esclavage », par « un petit peuple qui
ne connaît même pas les origines de ses ancêtres », faisant allusion
aux groupes ethniques non rwandophones de Masisi. Nombre de personnes ont alors
fui la région, déclarant être menacés par des membres de la population hutu
proclamant qu’ils allaient « prendre leurs machetes et prendre leur
revanche contre ceux qui leur avaient fait du tort. »
En
septembre, le leader de milice hutu et chef autoproclamé appelé Munyamariba,
qui soutient publiquement les candidats politiques rwandophones, a déclaré à une foule
rassemblée au marché de Lushebere, territoire de Masisi : « Celui qui
ne vote pas pour les Rwandophones, il faut l’éliminer. »
Les
autorités ont parfois exclu des Rwandophones de fonctions élues en raison de
disputes concernant leur droit à la citoyenneté congolaise. Des leaders
rwandophones ont affirmé qu’ils espèrent que nombre de candidats rwandophones
remporteraient des sièges parlementaires lors des prochaines élections.
Dans
d’autres régions de la RD Congo, des politiciens et leurs partisans ont fait
des commentaires désobligeants sur l’ethnicité de leurs adversaires ou des
parents de leurs adversaires, prétendant qu’ils n’étaient pas de vrais
Congolais. Dans la province de l’Équateur, une station de radio soutenue par
des partisans de l’opposition liés au Mouvement de libération du Congo - Mlc -
diffuse régulièrement une chanson célébrant les « fils de la terre »
– les personnes originaires de la région. Cette chanson était très connue lors
des élections de 2006 et était souvent liée à des insultes ethniques adressées
à Kabila ainsi qu’à d’autres candidats dont on disait qu’ils étaient de
descendance douteuse. Lors des élections de 2006, ces types d’insultes ont
contribué indubitablement aux tensions ethniques et ont mené semble-t-il à des
violences dans certaines régions.
Tous les
principaux partis politiques à l’exception de l’Udps ont signé le code de conduite
de la RD Congo pour les élections. Ce code engage spécifiquement les parties à
faire preuve de retenue dans leurs propos,
à s’abstenir de toute forme de violence et à éviter tout
vocabulaire d’intimidation, discours
haineux ou incitation à la violence.
Human Rights Watch a appelé l’Udps à signer le code sans délai.
« Les
insultes à caractère ethnique pouvant entraîner des violences ne devraient pas
avoir leur place dans la campagne électorale en République démocratique du
Congo », a déclaré Anneke Van Woudenberg. « Les candidats
devraient débattre des moyens de réduire les nombreux problèmes de ce pays en
matière de droits humains, et non les aggraver. »
Exactions
contre des manifestations
Antérieurement
à la période de campagne, les forces de sécurité gouvernementales ont usé d’une
force injustifiée ou excessive contre de nombreuses manifestations politiques à
Kinshasa et ailleurs. Par exemple, le 6 octobre, la police a fait feu,
ostensiblement en l’air, pour disperser une manifestation de l’Udps à Kinshasa.
Une personne a été tuée par une balle perdue et 10 autres au moins ont été
blessées.
Le 1er
septembre, à Mbuji Mayi, province du Kasaï Oriental, des soldats et policiers
congolais ont dispersé une manifestation pacifique de l’Udps en tirant des gaz
lacrymogènes et des munitions à balles réelles, et en frappant des
manifestants. Par la suite, la police a arrêté au moins 32 membres de l’Udps,
dont certains ont été frappés pendant leur détention et gardés pendant 48
heures avant d’être relâchés.
Dans
certains cas, des autorités locales ou des partisans du parti au pouvoir
auraient pris des mesures pour empêcher des rassemblements politiques et des
manifestations. Près de Tshela, province de Bas-Congo, par exemple, des
autorités auraient payé des jeunes locaux pour abattre un arbre afin de bloquer
la route et d’empêcher l’arrivée de Vital Kamerhe, le candidat présidentiel de
l’Union pour la nation congolaise - Unc -.
En mars,
des autorités locales et la police ont tenté d’empêcher un candidat de l’Unc de
rencontrer ses partisans à Shabunda, province du Sud-Kivu, en usant
d’intimidation et de violence physique. La police s’est déployée autour du
petit aéroport et a empêché les partisans de l’Unc d’accueillir le candidat à
son arrivée à la ville. Lorsqu’il a tenté de marcher jusqu’au bureau de l’Unc,
la police lui a bloqué le passage, l’agressant physiquement à coups de pieds et
de poings, et a frappé d’autres partisans de l’Unc dont l’un a été grièvement
blessé. Selon le candidat et d’autres témoins, le commandant de police a
déclaré au candidat : « Rentrez. Vous ne pouvez pas entrer dans la
ville ici. Si vous êtes ici, on va vous arrêter. Vous êtes venu dans un avion
et vous allez rentrer dans un cercueil. » Le candidat de l’Unc a
signalé l’agression et le commandant de police a été convoqué pour
interrogatoire. Il a été ultérieurement réaffecté dans une autre ville.
Des
membres de partis d’opposition ont expliqué à Human Rights Watch que leur
matériel de campagne, notamment des t-shirts, des drapeaux et des affiches, ont
été bloqués pendant des mois par des fonctionnaires des bureaux de douanes,
empêchant les préparatifs de leurs campagnes.
Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et
l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois
autorisent les forces de sécurité à n’utiliser que le degré de force nécessaire
et proportionné pour protéger les personnes et les biens, et à ne recourir à
une force létale intentionnelle que si cela est absolument inévitable pour
protéger des vies humaines.
« Les
élections ne peuvent pas être crédibles si les candidats et leurs partisans ne
peuvent pas tenir des manifestations exemptes d’attaques et d’intimidation »,
a conclu Anneke Van Woudenberg. « Le gouvernement devrait s’assurer que
les méthodes illégales soient immédiatement stoppées, que les candidats
puissent faire campagne librement et que la force ne soit utilisée pour
contrôler les manifestations seulement lorsque c’est absolument nécessaire. »
Dans une lettre adressée aujourd’hui à tous les candidats présidentiels,
une coalition de 73 organisations congolaises et internationales, dont Human
Rights Watch, a appelé les candidats et leurs partisans à s’abstenir de
recourir à des discours haineux et d’incitation à la violence, et à veiller à
respecter le droit congolais ainsi que le code de conduite pendant toute la
durée de la campagne électorale.
Pour de
plus amples informations, veuillez contacter :
À
Londres, Anneke Van Woudenberg (anglais, français): +44-207-713-2786 ;
+44-77-11-66-4960 ; ou woudena@hrw.org
À
Kinshasa, Ida Sawyer (anglais, français) : +243-99-86-755-65 ; ou sawyeri@hrw.org
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