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dimanche 23 octobre 2011

L’histoire de notre actuelle domination et le procès fait aux « élites intellectuelles Congolaises »


« La tâche d’un intellectuel n’est pas de séduire, mais d’armer »
Gérer notre histoire sans amnésie et aider par « des intellectuels subversifs », cela peut être porteur d’un autre avenir pour notre pays. D’où la nécessité qu’il y a à questionner constamment chez nous le mot « intellectuel » et son apport à notre envol anthropologique.
Depuis le refus de la main  tendue  de l’amitié  aux colonialistes et aux impérialistes  par Lumumba, le Congo, notre pays, peine à prendre son envol anthropologique. C’est-à-dire un envol à la fois spirituel, économique, religieux, culturel et politique. Lumumba assassiné, les colonialistes, les néocolonialistes et les impérialistes ont jeté leur dévolu sur des hommes et de femmes de paille pour servir leurs intérêts. Et les quelques fois que ces « nègres de service » ont eu leurs heures de lucidité, ils ont osé décrier le système qui en faisaient des marionnettes avant qu’ils ne soient rappeler à l’ordre. L’un des cas pouvant être cité est celui de Mobutu. Son discours à l’Assemblée générale de l’Onu le 4 octobre 1973 et celui de N’Sele le 30 novembre 1973  sont des exemples parlants de l’adhésion (ne fût-ce que verbal) de Mobutu à la cause africaine à la suite de Lumumba. En  choisissant son « frère Egyptien », en toute indépendance, dans le conflit qui l’opposait à Israël, il s’engageait, pour ses quelques moments de lucidité, sur la voie des grands panafricanistes Africains. « Le Zaïre, qui se trouve à l’heure du choix, doit dissiper l’équivoque et lever une sorte d’ambiguïté à cause de sa vocation africaine. Par conséquent, disait Mobutu, le Zaïre doit choisir entre un ami et un frère, le choix est clair. Et nos décisions sont prises en toute indépendance et en dehors de toute pression. C’est pourquoi, en vertu des prérogatives que me confère l’article 24 de la Constitution du Zaïre, j’annonce, à la face du monde, la rupture des relations diplomatiques avec Israël, et ce jusqu’à la récupération par l’Egypte et d’autres pays arabes concernés de leurs territoires actuellement occupés. » (p. 24) Mobutu, en bon autodidacte proche de Lumumba, entouré par des têtes bien pensantes, avait voulu, douze ans après l’assassinat du Premier Ministre Congolais, avancer sur la voie du panafricanisme en écoutant la voix de la vérité. « Car, disait-il, pour nous Zaïrois, nous comprenons difficilement que les Juifs, qui ont été humiliés injustement dans toute  l’histoire, soient justement ceux qui s’acharnent à humilier le peuple arabe. A quelque chose malheur est bon, dit-on. Cette dernière crise du Moyen-Orient a permis non seulement de retrouver sa véritable unité politique, mais en plus de faire peser sa diplomatie sur l’échiquier international. » (p.27)
Oui. Pendant ses moments de lucidité, Mobutu avait su aborder des thèmes de la politique africaine et internationale mettant mal à l’aise ses « créateurs ». Son ouverture au courant démocratique vers  les années 90 par l’organisation des consultations populaires sera un acte politique comptant parmi ceux qui le discréditeront à jamais aux yeux de ses « maîtres » et de ses flatteurs. (Ils parlent toujours de la démocratie sans y croire !)
Malheureusement, toute cette histoire n’est étudiée presque pas chez nous. Dès qu’une allusion est faite à Mobutu, tout le monde reproduit l’image du dictateur répandue par « ses créateurs ». Les questions qu’il a abordées pendant ses heures de lucidité et qui ont contribué certainement à son discrédit sont vite oubliées.

A qui la faute ? A l’hégémonie culturelle occidentale dans laquelle baignent plusieurs d’entre nous et à leur propre paresse intellectuelle. Souvent, nous reconduisons le discours dominant et convenu de l’Occident, sans un minimum d’esprit critique. « Gramsci, à propos de l’hégémonie culturelle, disait que si vous occupez la tête des personnes, leurs cœurs et leurs mains suivront. Le système dominant n’a pas oublié cette leçon et a créé une nouvelle narration de l’histoire pour raconter et légitimer sa domination et ce qui est en train de se passer dans le monde. » (p.21)
« Les têtes occupées par le discours dominant » reproduisent les clichés des « maîtres ». Ceux-ci peuvent adouber Mobutu - et Kadhafi - aujourd’hui et demain le vomir. Et les têtes se vautrant dans l’hégémonie culturelle occidentale (dominante) suivent. Elles ne tirent aucune leçon du paradoxe et/ou de l’ambiguïté du discours dominant. Elles oublient vite les faits historiques. Après, elles accusent  « les élites intellectuelles » d’être à la base de tous leurs malheurs.
 Au sujet des élites intellectuelles congolaises (et africaines), ne devrions-nous pas apprendre à les questionner  sur ce qu’elles disent d’elles-mêmes et du sens qu’elles donnent au mot intellectuel ?
Dans notre pays, l’un des responsables du journal "Le Potentiel", Freddy Mulumba Kabuayi wa Bondo, ne passe pas par quatre chemins pour décrier « la responsabilité des intellectuels - Congolais - dans la crise en R.D. Congo » hier et aujourd’hui. 
- Depuis qu’il a publié ses réflexions sur cette question en 2007, il ne cesse d’y revenir à travers les interviews qu’il accorde pour le compte de son journal-. En effet, chez nous, tous les détenteurs de diplômes se classifient parmi «  les élites intellectuelles » du pays. Tous les détenteurs des diplômes d’université, à quelques exceptions près, passent pour « des professeurs docteurs ». Malheureusement, « tous ces professeurs docteurs » évoluant aux côtés de nos gouvernants - et/ou gouvernant eux-mêmes -  et les autres « intellectuels » dont regorgent notre pays n’ont pas pu ni changer le discours dominant ni tirer notre pays de la misère anthropologique où il est plongé depuis l’assassinat de Lumumba jusqu’à ce jour. Toutes ces « élites intellectuelles » ont confectionné leur propre discours/histoire qui se laisse difficilement questionner par les faits.
 A une question  posée à Noam Chomsky sur ce qu’il entend par « intellectuels », il répond : « Il s'agit moins d'une catégorie de personnes que d'une attitude : celle qui consiste à s'informer, à réfléchir sérieusement sur les affaires humaines, et à bien articuler sa compréhension et sa perspicacité. Je connais des gens qui n'ont aucune instruction scolaire mais qui sont, à mes yeux tout au moins, de remarquables intellectuels. Et je connais des universitaires respectés et des écrivains qui sont très loin de correspondre à cet idéal. » Et il fait la différence entre « les intellectuels reconnus » et les « intellectuels subversifs ». Il dit : « Pour ce qui est des «intellectuels reconnus», c'est une question différente. Par ce terme, j'entends ceux qui, dans leur propre système de pouvoir, sont honorés du titre d'«intellectuels responsables» - et c'est d'ailleurs bien ainsi qu'ils se qualifient eux-mêmes en Occident. Parfois, on les appelle des «intellectuels technocrates», pour les distinguer des «intellectuels subversifs» qui sèment le trouble et sont «irresponsables». Plusieurs de nos « intellectuels » sont ceux dont les têtes ont été formatées par le discours dominant, « ces technocrates » reconnus par l’Occident, agents - ou amis - du Fmi, de la Banque mondiale ou d’autres grandes institutions dites internationales.
Noam Chomsky nous enseigne que « ces distinctions remontent à la plus haute Antiquité. Dans la Bible, par exemple, il y a un mot hébreu passablement obscur : nabi. En Occident, on l'a traduit par «prophète». En fait, il désigne l'intellectuel. Ceux qu'on appelait des prophètes se livraient à des analyses politiques et prononçaient des jugements moraux. À l'époque de la Bible, ils étaient haïs et méprisés. On les jetait en prison ou on les envoyait dans le désert, parce qu'ils étaient dissidents. Des siècles plus tard, on a reconnu leurs mérites et on en a fait des prophètes. » Et il ajoute : « Ceux qu'on honorait à l'époque étaient les flatteurs et les courtisans, et non ceux qu'on honorerait beaucoup plus tard comme de vrais prophètes. Au XXème siècle, c'est le genre d'intellectuels qu'on a emprisonnés dans la sphère d'influence soviétique et qu'on a assassinés dans la sphère d'influence américaine. Ce fut par exemple le cas de ces six jésuites du Salvador qu'en Europe personne ne connaît, parce qu'ils ont été abattus par des commandos entraînés par les Américains - ce qui, donc, n'est pas un crime. Cela fait juste dix ans que ça s'est passé, et vous trouverez à peine quelques mots dans la presse sur ces assassinats. C'est un scandale. Mais il en a toujours été ainsi dans l'histoire. » (Ces extraits de l’interview de Noam Chomsky sont tirés de son livre intitulé Deux heures de lucidité Entretiens de Noam Chomsky avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz , Paris, Editions des Arènes, 28 octobre 2001Nous soulignons)
 « Les têtes occupées par l’hégémonie culturelle dominante », « les technocrates », « les flatteurs » et « les courtisans » ont  maîtrisé les règles de l’évangile du marché qu’ils reproduisent par action et/ou par omission. Ils l’enseignent aux membres de leurs familles, tribus et ethnies qu’ils veulent  instrumentaliser. Ils estiment par exemple que «  nous sommes tous –individus, entreprises, collectivités- engagés dans une « guerre » économique sans  pitié le poste, le revenu, l’accès aux ressources. Selon cet évangile, la vie est une lutte personnelle pour la survie, spécialement à une époque, comme maintenant, de profonds changements technologiques. (p.33) Cet évangile fait de la compétitivité l’une de ses règles de base avec son lot de suicides (au Nord) et de guerres (au Sud). Il enseigne la foi en un « dieu-argent ».
Quand, relisant notre histoire, nous nous en prenons aux « intellectuels », posons-nous toujours la question de savoir de quels intellectuels il s’agit ? « Des intellectuels technocrates », « flatteurs », « courtisans » ou des « des intellectuels subversifs » capables des remises en questions profondes de  notre société dans ses règles de fonctionnement, même au prix de leur vie.
Quand cette dernière catégorie d’intellectuels prendra le dessus sur les autres, qu’elle investira les masses populaires et les institutions du pays, le système de notre domination pourra être renversé.  Il y a un mariage permanent à conclure entre « les intellectuels subversifs » et les masses populaires. Kadhafi, Hugo Chavez, Nelson Mandela (dans une certaine mesure), etc. ont plus ou moins réussi ce mariage. Kadhafi, « le lion du désert », l’a payé de son sang. Hugo Chavez est dans le collimateur des pouvoirs néocolonialistes et impérialistes. A la suite de Papa Kimbangu et de Lumumba, Mzee Kabila, le soldat du peuple, s’est essayé sur cette voie et la mort l’a stoppé net le 16 janvier 2001. Sur cette voie, l’amnésie est un poison mortel. Le courage, la persévérance et l’abnégation, des alliés de taille.
 J.-P. Mbelu

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