Quand nous poser la question de
l’appauvrissement anthropologique, nous faisons allusion à tous ces mécanismes
contribuant à l’appauvrissement spirituel et religieux, à l’appauvrissement
culturel et politique et à l’appauvrissement socio-économique. L’hégémonie
culturelle occidentale entretenue par l’école est un mécanisme
d’appauvrissement culturel et spirituel. « Les intellectuels
subversifs » occidentaux et africains en témoignent. (L’aventure ambiguë de
Cheik Amidou Kane (1961), L’autre face du royaume etL’odeur
du père de Mudimbe ou La remise en question de Mabika
Kalanda, etc. sont assez éloquents sur ce sujet. Susan George (dans La pensée
enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de
l’Amérique) et Noam Chomsky (dans Deux heures de lucidité et
Les doctrines des bonnes intentions) critiquent cette hégémonie culturelle de
l’intérieur. Jack Goody parle même du vol de l’histoire (en
expliquant Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du
monde (Paris, Gallimard, 2006)).
Un discours religieux répété à une
masse importante de nos populations lui fait croire que Dieu
lui-même descendra des cieux pour la tirer de la misère où la gestion irresponsable
de la res publica l’a enfoncée. Le matraquage
psychologique auquel recourent les pasteurs, toutes tendances confondues, pour
faire passer ce message finit par atteindre son objectif chez plusieurs de nos
compatriotes. Ils finissent par se convaincre que « Nzambe ye moko
akosala » (Dieu, seul, pourvoira !) Les lettres pastorales
de Paul, rappelant aux chrétiens et chrétiennes qu’ils sont les collaborateurs
de Dieu, ne sont pas évoquées au cours de ce travail de matraquage
psychologico-religieux. L’objectif de ce dernier est le
désengagement des chrétiens et des chrétiennes vis-à-vis de leurs
responsabilités citoyennes. Manipulés à souhait par des pasteurs véreux- toutes
tendances confondues-, ils arrivent à croire que les choix de ces pasteurs
sont ceux de Dieu. Quand, corrompus pour des raisons électoralistes,
ils en viennent à soutenir que leurs choix font partie des dons de Dieu et que
ces dons sont irrévocables, les chrétiens et les chrétiennes répondent à
l’unisson : « Amen » ! Et quand, après une prédication de
ce genre, vient le moment de la collecte, « des
mabonza », les chrétiens et les chrétiennes leur offre de leur
essentiel au point de manquer, chez eux à la maison, le minimum
requis pour une vie digne. Ils se laissent acheter psychologiquement pour être
mieux vendus politiquement.
Dans ce mécanisme
psychologico-religieux d’appauvrissement spirituel, il y a un lavage de cerveau
déresponsabilisant matériellement.
L’adhésion au discours et aux
choix des pasteurs (et autres gourous) rend incompréhensible la
nécessité –indispensable en démocratie- du contrôle des gouvernants. S’ils sont
choisis par Dieu et si les choix de ce dernier sont irrévocables, ils peuvent
ou ne pas rendre des comptes de leur gestion de la res publica, ce
n’est pas un problème : « Nzambe ye moko akosala » !
Interrogé par « Code
243 » sur son départ du gouvernement Muzito, Nzanga Mobutu explique entres
autres ceci : ce gouvernement n’avait pas de conseils des ministres
réguliers, le premier ministre l’est symboliquement (c’est-à-dire qu’il n’a
aucune effectivité du pouvoir), il y avait manque de concertation sur les
décisions engageant la res publica et un manque de vision
commune sur les questions essentielles du pays, un gouvernement perpendiculaire tirait
les choses dans la direction contraire du gouvernement prétendument
responsable ; bref, pour lui, ce gouvernement était, pendant cinq ans,
irresponsable. (Les critiques personnelles à l’endroit du fils de Mobutu ne
changent rien à cette remise en question du gouvernement au sein
duquel il a travaillé.)
Malheureusement, certains ténors
de ce gouvernement irresponsable vont bientôt battre campagne afin qu’ils
soient reconduits à la tête du pays pour un autre mandat de cinq
ans.
Et comment procèdent-ils ?
Après s’être enrichis sur le dos du peuple et cela sans cause, ils sont en
train d’acheter les numéros des cartes électorales. Avec 50 ou 30
dollars, ils achètent les numéros des cartes de nos populations auxquelles ils
n’ont pu offrir ni l’eau, ni le logement, ni le courant électrique, ni les
soins de santé, ni l’éducation pour nos enfants. Ils achètent les numéros des
cartes de ceux et celles à qui ils ont refusé, pendant cinq ans, le droit à la
vie. Ils iront, eux, voter à la place de ceux et celles qu’ils ont
achetés. Comble de cynisme ! Et même quand ils tombent dans le gouffre de
ce cynisme sans fond, ils trouvent toujours des pasteurs-toutes tendances
confondues- pour soutenir leur élection première « par Dieu » !
Disons qu’il y a, chez nous, un
abus de la crédulité de nos populations par ceux et celles qui ont fait de leur
ventre, de l’or et de l’argent, « leurs dieux » ! Cet abus
enraciné dans l’égoïsme et la cupidité collective participe de l’expansion d’un
système néolibéral ayant élevé l’argent au niveau de la valeur suprême après
avoir dénié le droit de tous et de toutes à la vie. Ce système aux abois
véhicule une conception de l’autre, du différent, assimilé à un adversaire à
combattre et/ou à éliminer.
Ravir à nos populations le droit à
la vie pour mieux les acheter au nom du pouvoir pour le pouvoir et de la
promotion des intérêts étrangers, tel est le drame qui se joue chez nous à un
mois des élections probables du 28 novembres 2011.
L’appauvrissement
anthropologique des masses importantes de nos populations risque les
conduire à reconduire, comme des moutons, « leurs
bourreaux » aux postes de responsabilité politique vitaux pour
notre devenir commun. Plusieurs d’entre eux reconduisent les idéologies (de
gauche, de droite, du centre) ayant fait de l’Occident un quémandeur d’aide à
la Chine. Incapables de déconstruire « la théologie universelle du
capitalisme » pour « réinventer la démocratie » chez nous, (A ce
sujet, nous recommandons la lecture de la conférence tenue par Jean-Pierre
Badidike à Rome le 21 octobre 2011 et intitulée Crise financière et
démocratie. Réinventer l’Afrique) ils veulent acheter nos populations
avec l’argent qu’ils lui ont volé pour « faire de la
démocratie » ! Dans l’entretemps, ils concluent des
marchés avec « les agents du capitalisme du désastre »
sans aucune consultation de ces populations auxquelles ils veulent apporter la
démocratie sur un plateau doré ! Au nom de Dieu !
L’illétrisme, analphabétisme
politique, la faim et les autres formes de misère imposées à nos populations
ont fini par en faire les proies faciles entre les mains des
« nègres de service » de tout bord. Les élections probables du 28
novembre 2011 ne changeront pas grand-chose à cette violence faite au droit de
nos populations à la vie. Quel qu’en soit le vainqueur.
J.-P. Mbelu
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