Un mandat d’arrêt congolais pour viols
de masse émis contre Sheka le 6 janvier 2011 n’a toujours pas été exécuté. « Les
autorités congolaises devraient procéder à l’arrestation de Sheka pour viols de
masse, qu’il soit candidat à un mandat ou pas », a déclaré Anneke Van
Woudenberg, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights
Watch. « Ne pas arrêter un homme qui est tranquillement en train de
faire campagne pour gagner des voix envoie le message que même les crimes les
plus insignes ne seront pas punis. »
Sheka est le leader d’une milice
connue sous le nom de Maï Maï Sheka, qui opère dans le territoire reculé de
Walikale, dans la province du Nord-Kivu, à l’est du Congo. En
juillet 2011, les Nations Unies ont publié un rapport détaillé décrivant
les viols d’au moins 387 civils – 300 femmes, 23 hommes, 55 filles et 9 garçons
– perpétrés entre le 30 juillet et le 2 août 2010, dans 13 villages situés le
long de la route reliant Kibua à Mpofi en territoire de Walikale. Le rapport de
l’Onu indiquait que la milice Maï Maï Sheka faisait partie d’une coalition de
trois groupes armés responsables de ces viols en masse et désignait nommément
Sheka comme l’un des leaders qui portaient la responsabilité du commandement.
Les enquêteurs de l’Onu ont conclu que
Sheka et deux autres leaders de groupes armés avaient « une bonne connaissance de la
planification et de l’organisation de cette opération [militaire], lancée contre toute une
population civile et se sont répartis le butin des pillages au terme desdites
attaques.» Il s’agit d’un des cas de viols massifs les plus
importants documentés dans l’est du Congo au cours des dernières années.
Le rapport de l’Onu mentionnait aussi le
Capitaine Sérafin Lionso, des Forces démocratiques de libération du Rwanda -
Fdlr -, une milice essentiellement composée de Hutus rwandais, et le Lieutenant
Colonel Emmanuel Nsengiyumva, commandant d’une petite unité de déserteurs de
l’armée congolaise, comme portant la responsabilité du commandement.
Suite à une vaste levée de
bouclier dans les médias contre les viols massifs, Sheka a remis l’un de ses
commandants, Sadoke Kikunda Mayele, aux autorités de l’Onu et de l’armée
congolaise le 6 octobre 2010, peut-être dans une tentative de se mettre
lui-même à l’abri des poursuites.
Les procureurs militaires congolais,
avec l’assistance de l’Onu, ont ouvert une enquête judiciaire peu après les
attaques. Par la suite, les autorités militaires ont émis huit mandats d’arrêt
pour crimes contre l’humanité, notamment pour violences sexuelles, entre autres
crimes graves, contre Sheka, Mayele, deux commandants rebelles des Fdlr, dont
le Capitaine Lionso, et quatre déserteurs de l’armée congolaise. Nsengiyumva,
l’un des organisateurs présumés de l’opération, a été tué lors d’un incident
distinct avant qu’un mandat d’arrêt n’ait pu être lancé à son encontre. En
dehors de Mayele, aucun n’a été arrêté à ce jour.
En juillet, Sheka s’est rendu à Goma, au
Nord Kivu, apparemment pour des raisons médicales. Les autorités judiciaires
congolaises, avec l’appui de la mission de maintien de la paix de l’Onu, la Monusco,
ont tenté de l’arrêter à la résidence privée d’un officier de l’armée
congolaise où Sheka passait la nuit. Mais Sheka a réussi à s’échapper, averti
semble-t-il par un membre de l’armée congolaise qui avait une relation étroite
de travail avec lui. Human Rights Watch n’a connaissance d’aucune autre tentative
pour arrêter Sheka ou ses co-accusés.
À la fin du mois d’octobre, les
autorités congolaises ont décidé d’ouvrir le procès, même si un seul des huit
accusés se trouve en détention. Human Rights Watch considère que les procès in
absentia violent les droits de l’accusé à présenter une véritable défense,
comme le prévoit le droit international.
Human Rights Watch a appelé les
autorités congolaises, ainsi que la mission de maintien de la paix de l’Onu et
d’autres entités internationales, à garantir une protection suffisante pour les
victimes et les témoins dans cette affaire. Le rapport de l’Onu du mois de
juillet indiquait que des victimes qui avaient parlé aux autorités judiciaires
avaient fait l’objet de menaces et tentatives d’intimidation de la part de
membres de milices suspectés d’avoir participé à l’attaque.
« Si le gouvernement congolais
veut réellement mettre fin aux violences sexuelles, il doit faire preuve de
volonté politique et arrêter les personnes impliquées dans des viols massifs »,
a ajouté Anneke Van Woudenberg. « C’est une parodie de justice que
d’ouvrir un procès avant même que les principaux suspects ne soient en
détention et alors que l’un des accusés fait ouvertement campagne pour un
mandat électif. »
En septembre, Sheka s’est inscrit comme
candidat indépendant aux élections législatives dans la circonscription du
Walikale. Lorsque la liste officielle des candidats a été publiée en octobre,
son nom est apparu comme le candidat numéro 18 sur la liste des 65 candidats
briguant les deux sièges parlementaires du Walikale.
La loi électorale au Congo n’interdit
pas à une personne accusée d’un crime de briguer une fonction élective ;
elle ne disqualifie un candidat que s’il a été reconnu coupable à l’issue d’un
jugement irrévocable de crimes graves, notamment de crimes de guerre, crimes
contre l’humanité, génocide, viol, torture ou assassinat. Toutefois, les
membres de l’Assemblée nationale bénéficient de l’immunité contre les
poursuites pénales, à moins que cette immunité ne soit levée par un comité
parlementaire spécial.
Le gouvernement congolais a fait
quelques tentatives pour arrêter et poursuivre des combattants recherchés pour
viol et autres atrocités, mais peu d’entre eux étaient des officiers supérieurs
ou des leaders de groupes armés. De même, Bosco Ntaganda, un général de l’armée
congolaise recherché pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale,
demeure en fuite et a continué d’ordonner des attaques contre des civils et de
commettre d’autres graves exactions. Ntaganda vit sans se cacher à Goma et joue
un rôle important dans les opérations militaires dans l’est du Congo.
« La campagne de Sheka
pour les élections, en dépit du mandat d’arrêt lancé contre lui, montre
l’inaction du gouvernement congolais contre ceux qui portent le plus de
responsabilités dans les violences sexuelles et autres atrocités massives »,
a conclu Anneke Van Woudenberg. « Les candidats aux prochaines
élections devraient prendre l’engagement ferme de mettre un terme à la culture
d’impunité au Congo. »
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