Dans son arrêt avant-dire droit, la
Cour rouvre les débats ce samedi
Consécutivement aux évènements de
Goma du 2 février dernier, Dieudonné Bakungu Mithondeke est poursuivi devant la
Cour suprême de justice, CSJ, avec 18 autres prévenus. L’homme, député
sortant de Goma où il était sorti maillot jaune aux scrutins de 2006, était,
cette fois-ci, candidat à Masisi, creuset des drames et tragédies du Congo, et
où les élections ont été annulées. Déjà, sur ces terres à problèmes, le
gouvernement du maréchal Mobutu avait privé ce territoire d’élections en 1987.
Difficile de ne pas voir derrière ce procès l’ombre des conflits qui ont
toujours sévi ici, tel un magma qui bout, toujours prêt à exploser, à l’image
du Nyiragongo si proche. Mais le procès renferme des faiblesses telles qu’il
est permis de se demander si, dans ces conditions, condamner Bakungu ne
relèverait pas d’une action politique visant l’élimination d’un adversaire
politique, voire l’écrasement total de toute une communauté – les Hunde –
autochtone devenu minoritaire sur ses propres terres.
La Communauté Hunde soutenant le député Bakungu |
Poursuivi pour 7 chefs d’accusation –
dont rébellion, incitation des policiers à commettre des actes contraires à
leur devoir, détention illégale d’armes à feu, atteinte à la sureté intérieure
de l’Etat, meurtre, – Dieudonné Bakungu a comparu sur le fond du dossier
le samedi 18 février 2012. Son interrogatoire a révélé à la cour, ainsi qu’à la
nombreuse assistance, deux choses capitales : la faiblesse de
l’accusation, et le contexte politique dans lequel se place la trame, qui fait
du Nord-Kivu une province aux réalités à nulle autre pareille. Dans sa
présentation des faits, le ministère public n’y est pas allé de main morte. Il
a ainsi, défini, les faits tels qu’ils se présentent selon lui. D’abord :
«il circulait, dans Goma, des rumeurs faisant état d’une attaque imminente visant
à expulser de la ville tous les Rwandophones (NDR : les citoyens congolais
parlant le kinyarwanda, c’est-à-dire les Hutu et les Tutsi, aussi appelés dans
ce procès «Banyarwanda»). Les autorités auraient alors décidé le bouclage de
certains quartiers». Et puis : «les OPJ des FARDC (eh oui, vous avez bien
lu : OPJ des FARDC, donc dans l’armée congolaise il y a des officiers de
police judiciaire !) et de la PNC (Police nationale congolaise) ont été
mis à contribution. Ils ont obtenu des mandats de perquisition auprès du
procureur général de Goma». Et enfin : «ils ont perquisitionné partout,
notamment chez monsieur Bahuma, cadre à la SONAS, et chez la concubine
(sic !) de monsieur Bakungu Mithondeke, sans aucun problème. Arrivé chez
monsieur Bakungu Mithondeke lui-même, les problèmes commencent avec son refus
d’ouvrir aux militaires. Ces derniers reçoivent alors l’autorisation de leur
chef d’escalader le mur, et c’est alors que monsieur Bakungu ordonne à ses
hommes de tirer sur les militaires, d’où la réplique de ceux-ci. S’ensuit un
violent échange des tirs entre les deux camps. On a trouvé un féticheur nommé
Nzi au plafond de la résidence de Bakungu. C’est lui qui avait tatoué les
combattants pour les rendre invulnérables. On a également ces documents compromettants
qui démontrent que monsieur Bakungu avait mis en place un mouvement
insurrectionnel».
Des cadres de l'Unc à la CSJ |
Le décor du drame
Dans l’interrogatoire qui va suivre,
l’accusé va répondre à une pluie de questions qui lui permettent de planter le
décor du drame qu’il a vécu. D’abord : «ce 2 février, j’étais chez moi à
la maison. Je regardais un match de la coupe d’Afrique des nations à la
télévision lorsque j’ai reçu l’appel d’un correspondant anonyme,
m’informant avoir été convié une réunion au cours de laquelle il a été décidé
de m’abattre, au motif que j’étais un frein à un projet de balkanisation de la
RDC. Il m’a informé m’avoir même envoyé un texto dans ce sens. Après
vérification, j’ai effectivement vu trouvé ce texto dans mon téléphone, et il y
est toujours. Paniqué, j’en ai informé mes proches, ainsi qu’une cadre de la
MONUSCO/Goma. Après, je suis allé me coucher. J’ai pris ce message au sérieux,
car, lorsque j’étais vice-gouverneur du Nord-Kivu pendant la Transition 1+4,
j’avais été attaqué le 12 février 2005».
Ensuite : «tard la nuit, j’ai
été réveillé par ma nièce, me disant que la maison était encerclée par des
militaires qui essaient de forcer l’entrée. Là, je me suis dit que ça y est.
M’étant approché, j’ai échangé avec eux, ils m’ont dit qu’ils voulaient entrer.
Me rappelant ce qui m’était arrivé en 2005, et le texto que j’avais reçu la
veille, je ne pouvais me permettre de faire entrer des militaires à cette heure
indue, c’était vers 4 heures du matin et mes gardes m’ont poussé à rentrer dans
la maison. C’est là que je vais entendre des fortes détonations, on a tiré
comme je n’ai jamais vu, ma maison bougeait. Vers 4 heures, le général
Vainqueur Mayala est arrivé dans le quartier, il m’a appelé au téléphone, et
m’a demandé d’ouvrir. Je lui ai indiqué la petite porte par laquelle il est
finalement entré. Arrivé dans la véranda, il s’est écrié : «pourquoi tout
ça, et je ne suis même pas au courant ?» J’ai alors expliqué la situation
au général, et je lui ai même transféré le message texto».
Ensuite : «c’est alors qu’un
inspecteur du parquet est arrivé, disant qu’il devait perquisitionner, et me
tendant un document à signer. J’ai refusé, ne pouvant signer un document que je
n’avais pas lu. Il m’a alors demandé s’il pouvait faire la perquisition, j’ai
accepté, et il est entré, suivi par un nombre important de militaires, qui ont
commencé à tabasser mes enfants, et tous ceux qui étaient dans ma maison et ont
saccagé la résidence. Par la suite, le général m’a amené, et j’ai pu me rendre
compte que c’était les militaires du 802ème régiment FARDC, qui sont
commandés par le colonel Padiri».
Le ministère public revient à la
charge, demandant si Bakungu n’avait pas vu toutes ces douilles qui pavaient
littéralement le parquet de sa maison. Ce à quoi le prévenu a répondu par la
négative, informant, par la même occasion que ce sont les militaires qui ont
tiré à l’intérieur de sa maison, criblant tout le plafond des balles. «Et
maintenant on veut présenter leurs propres douilles comme provenant des
combattants que je n’ai jamais eu», s’est-t-il défendu. Mais l’organe de la loi
n’en démord pas : «vous avez échoué aux élections, et vous avez alors créé
un mouvement rebelle pour agresser votre pays», soutient-il. Cette question
permet à Dieudonné-Jacques Bakungu Mithondeke de parler de lui, d’étaler sa vérité des
événements. Comme Mandela en 1964, il fait du procès une tribune pour dénoncer
des réalités politiques abjectes. «J’ai une longue vie politique. J’ai été élu
à Masisi pour la première fois en 1987, le maréchal Mobutu était encore au
pouvoir. J’ai été nommé vice-gouverneur en charge des questions politiques du
Nord-Kivu, et j’ai été élu premier de la ville de Goma aux élections de 2006.
Je n’ai jamais touché aux armes. Aujourd’hui, je suis candidat à Masisi, et je
n’ai jamais échoué : les élections ont été annulées dans ma
circonscription. Pourquoi ? Notamment à cause de moi. En effet, il y a eu
une forte implication des militaires issus du CNDP (NDR : Congrès national
pour la défense du peuple, l’ancien mouvement rebelle du brigadier général
Laurent Nkunda) lors des opérations électorales. Pour ceux qui ne le savent
pas, notre territoire de Masisi comprend 4 communautés : les autochtones
Hunde et Tembo, et les immigrés Tutsi et Hutu. Imaginez qu’une rumeur fait état
de ce qu’on fomente un mouvement rebelle visant à chasser les Rwandophones de
Goma, et qu’on m’envoie un des leurs, le colonel Padiri, perquisitionner chez
moi, vous voyez dans quel état d’esprit il viendrait ? En 2005, le même
colonel Padiri était là lors de l’attaque de ma résidence quand j’étais
vice-gouverneur. Il y a des réalités à l’Est : ceux qui parlent de plan de
balkanisation du Congo ne blaguent pas. Nous sommes la seule province où il
existe une catégorie d’officiers et de soldats qui ne peuvent jamais servir
ailleurs qu’au Nord-Kivu. Toutes les tentatives de les muter ailleurs ont
toujours échoué. Est-ce normal ? Aujourd’hui, on arrête des gens parce
qu’ils sont de Masisi, parce qu’ils sont Hunde, et on les amène ici. Quand vous
regardez ces jeunes gens, ce cuisinier, ce guérisseur traditionnel, cette
nièce, ce lavandier, voyez-vous en eux des rebelles ? J’ai toujours servi
loyalement la nation sans faire de rébellion. Les anciens rebelles, ce sont
ceux qui dirigent la province aujourd’hui. L’armée est tenue par les anciens
rebelles du CNDP, et les autorités politiques sont des anciens rebelles du
RCD/K-ML».
Accusations extrêmement faibles
Le discours fait effet. Dans la
grande salle de la CSJ, c’est un silence de cimetière, on entendrait voler une
mouche. Le président de la composition soupire. Mais, après avoir encaissé un
coup, le ministère public sort ses dernières cartouches. Qui vont se révéler
des flops d’anthologie. D’abord : «je détiens ici une photo montrant
monsieur Bakungu Mithondeke passant en revue des militaires. C’est la preuve
qu’il entretient une force armée». Manque de chance, après avoir regardé la
photo, on se rend vite à l’évidence : l’homme sur le cliché n’est pas
Bakungu Mithondeke. Ensuite : «on a perquisitionné chez d’autres
personnes, dont M. Bahuma de la SONAS, ainsi que chez votre concubine, sans que
cela ne pose problème. Etiez-vous au courant ?» Emu, Bakungu répond par la
négative pour ce qui est du supposé M. Bahuma, et, en ce qui concerne sa
prétendue concubine : «depuis que j’ai épousé ma femme, je n’ai jamais eu
de concubine, ni hier, ni aujourd’hui, et je n’en aurais jamais. Je vous mets
au défi de me donner l’identité de cette concubine qui n’a jamais existé. Si on
a perquisitionné chez elle, on doit avoir dressé un PV de perquisition dont le
premier élément est l’identification de la personne.
Montrez-moi ce PV». Encore une fois,
l’accusé fait mouche. Et le ministère public doit battre en retraite. Mais la
reculade est à ce point désastreuse qu’il se perd dans des questions pour le
moins incongrue, comme celle demandant au prévenu, civil de son état, s’il
pouvait identifier et donner la marque de trois fusils d’assaut de ses
gardes !
Mais il se fait tard – 18h passées – et si le président de la composition
renvoi la séance à lundi, c’est en réalité à un massacre qu’il met fin. Le
lundi 20 février, à l’heure convenue, le président doit encore renvoyer la
séance au mardi 21 février. Et pour cause : le ministère public a
oublié( !) le dossier, et ne peut donc requérir ! Ainsi dit ainsi
fait, à l’audience du mardi 21 février, le procureur fait son réquisitoire,
dans lequel il s’accroche, visiblement avec l’énergie du désespoir, à des PV d’audition
dont les avocats de la défense avaient pourtant démontré l’irrégularité – non
datés, et «aveux» obtenus sous la torture – pour réclamer la peine de mort pour
6 prévenus, dont l’Honorable Bakungu Mithondeke, et la servitude pénale à
perpétuité pour les 13 autres. C’est le mercredi 22 février que les avocats de
la défense ont pris la parole pour leur plaidoirie. Exercice facilité par le
caractère loufoque des accusations qui avaient été portées contre leurs
clients. Ainsi en est-il de ce «témoignage» du soldat Ramazani qui a soutenu,
depuis Goma, qu’après avoir escaladé le mur de la résidence de Bakungu, il est
entré dans la maison du député en tirant (sur qui ?) au point d’épuiser
ses munitions, et d’aller se cacher dans la cuisine. L’honorable l’aurait alors
poursuivi, révolver en mains, mais un autre soldat a surgi derrière et Bakungu
lui aurait flanqué trois balles en pleine poitrine, et, par la suite, a vidé
son chargeur dans la jambe du soldat Ramazani. On se croirait dans le scénario
d’un mauvais film de série B. comment, en effet, un homme qui ajuste ses tirs
dans la poitrine d’un ennemi, baisse subitement son arme pour viser cette
fois-ci, la jambe, et laisser vivant un témoin gênant ? Bien plus, le
certificat médical établi à Goma fait état d’ «une plaie», sans plus, à la
jambe de Ramazani, ce qui n’est pas la marque d’un chargeur que l’on y aurait
vidé. De même, le ministère public avait affirmé que les prévenus Nsi Muhindo
et Kimbe, ce dernier candidat UNC à Masisi comme Bakungu, étaient des soldats
déserteurs, sans pour autant donner, ni leur numéro mécano, ni leur lieu
d’affection, ni leur unité de service. Tout aussi surprenant, le PV établi à
Goma par le capitaine Mario Lukama indique seuls les corps des deux gardes de
Bakungu ont été trouvés dans la parcelle, alors que deux corps des soldats
étaient plutôt dans une Jeep du 802ème régiment FARDC du Nord-Kivu.
Après avoir pris l’affaire en délibéré vers 20h, la cour, sans doute troublé
par autant d’incohérence dans l’accusation, a décidé, à 22h30, dans un arrêt
avant-dire droit, de rouvrir les débats le samedi 25 février en vue
d’approfondir certains points demeurés flous.
Plus que jamais, la cour sait qu’elle
joue la crédibilité de la justice congolaise. Dans cette région agitée du Kivu,
son verdict aura un retentissement particulier aux réalités, à nul autre
pareil, pour l’avenir de cette partie du territoire national.
Mercredi 22 février 2012
Aristote Kajibwami
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