Un des anciens étudiants de l’Université Lovanium, l’actuelle
Université de Kinshasa – Unikin - parle de la marche pacifique des étudiants ce
jour-là, qui a connu une répression musclée et sanglante de la part des
militaires du régime du Maréchal Joseph-Désiré Mobutu, quatre ans après son
accession au pouvoir par un coup d’Etat militaire.
Les étudiants avaient marché à la suite du non respect des
conclusions du colloque de Goma. Ce colloque qui s’était tenu au premier
trimestre de l’année 1969, avait rassemblé tous les étudiants des universités
et instituts supérieurs de la République Démocratique du Congo avec l’Etat
congolais pour discuter des problèmes en relation avec les problèmes
académiques. Les programmes que les étudiants suivaient dans les instituts
et universités du pays étaient exactement calqués sur le programme belge.
Alors que les réalités que les futurs cadres du pays
rencontraient sur le terrain étaient tout à fait différentes. Les étudiants de
manière tout à fait pertinente, estimaient que les programmes devraient plutôt
s’atteler à essayer de résoudre le problème réel qu’ils rencontraient au Congo.
Ils voulaient ainsi un réajustement ou une adaptation des programmes au lieu de
les calquer sur le modèle belge. L’Etat congolais était d’accord à la
proposition des étudiants de l’ensemble du pays. Tout un colloque avait été
organisé pour essayer de revoir, non seulement les programmes et même le
rapport entre les dirigeants des instituts supérieurs et des universités et les
étudiants. Mais surtout quelle devrait être la contribution des étudiants sur
la manière de conduire l’université au Congo.
Subsidiairement à ces problèmes, il avait été posé le
problème de l’amélioration générale des conditions de vie des étudiants,
notamment la bourse, le problème de transport des étudiants... L’Etat
congolais était parfaitement d’accord avec les conclusions qui sont sorties du
colloque de Goma. Les étudiants attendaient que les décisions qui avaient été
prises soient d’application. Dans un premier temps, ils attendaient
l’amélioration ne fût-ce que des conditions matérielles.
Les étudiants congolais étaient conscients que le changement
des programmes était un processus qui devrait prendre du temps. Pour eux, ce
débat devrait perdurer pendant un long moment. Ils espéraient que
l’amélioration des conditions matérielles pouvait prendre cours durant l’année
académique 1969. En constatant qu’ils s’approchaient vers la fin de l’année
académique et qu’il n’y pas rien comme solution qui pontait à l’horizon, tous
les étudiants éparpillés sur l’ensemble du pays s’étaient convenus à organiser
une manifestation pacifique pour protester contre cette attitude du
gouvernement.
Or, le gouvernement congolais ne s’intéressait plus à
appliquer les conclusions du colloque de Goma. « Nous en tant que
étudiants, nous étions en partenariat avec l’Etat. Nous étions les délégués des
étudiants, des professeurs et de ce fait, nous étions des partenaires par
rapport à l’Etat congolais. La responsabilité de la mise en œuvre d’un
programme national était de la compétence de l’Etat congolais. C’est lui qui
aurait dû prendre des mesures pour voir la manière de réajuster le programme et
de remodeler le fonctionnement de l’université ».
En ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie des
étudiants, il n’y avait que l’Etat congolais qui devrait régler cette question.
Dr Sondji a déclaré ignorer la décision des autorités de l’époque de vouloir
réprimer la marche pacifique des étudiants. Il a estimé que le pouvoir de
Mobutu voulait s’imposer parce qu’à l’époque le président Mobutu avait maîtrisé
toute la classe politique en pendant les gens comme Kimba, Anani… Il était
parvenu à maîtriser tout ce monde. Le seul groupe qui n’arrivait pas à
maîtriser, c’étaient des étudiants. Dr Sondji est d’avis que la répression de
la marche s’inscrivait dans cette logique du pouvoir. Fondamentalement, a
reconnu cet ex-meneur de Lovanium, le problème que les étudiants posaient
n’étaient pas en opposition au régime de Mobutu.
Les étudiants pensaient que c’était un problème de l’Etat
d’une manière générale et que ça n’entrait pas contre lui. « Du fait qu’il
se soit moquer un peu de nous et que nous nous voulions protester à le
contraindre à respecter ne fût-ce que le problème de l’amélioration des conditions
de vie des étudiants. Curieusement et à notre grande étonnement, nous avons
assisté à une réaction assez brutale ayant entraîné un grand nombre de morts
parmi les étudiants ».
Peu de Congolais et même des étudiants ne se souviennent pas
de cette date du 4 juin. En 1969, il aurait eu une cinquantaine de morts, mais
le chiffre exact n’a jamais été connu. En 1970, il n’y avait eu de morts pour
la très simple raison que la manifestation s’était déroulée à l’intérieur du
campus universitaire. Il en avait été de même en 1971. Cette année-là les
étudiants avaient organisé d’une manière plus grandiose qu’en 1970 une marche
mais à l’intérieur du campus universitaire. Ainsi, feu le président Mobutu
prendra la décision de fermer l’université et d’enrôler les étudiants dans
l’armée.
Les 12 meneurs parmi lesquels se retrouvaient Me Kinkela, Dr
Sondji, le Professeur Kabuya… avaient été condamnés à une prison à perpétuité.
Ils avaient été envoyés à la prison centrale de Luzumu. Ainsi est née
l’association de Luzains. La plupart des étudiants sont restés dans l’armée
pendant trois mois. C’est en cette année-là que le pouvoir prendra la décision
de nationaliser l’université Luvonium pour la création de l’Unaza, Université
nationale du Zaïre.
Plus de trente ans après, Dr Sondji a affirmé que les
programmes ont changé et l’université est morte. Le président Mobutu, à travers
la création de l’Unaza, en réalité, il voulait détruire l’Université Lovanium
qui était l’une des premières universités où il y avait une certaine élite. Du
fait que cette réaction est venue beaucoup plus comme une réponse pour mettre
fin à ce que le régime considérait comme la perturbation, le désordre ou
l’anarchie créée par les étudiants. Ca ne s’était pas inscrit dans une
perspective de la réflexion de ce que devrait devenir l’université congolaise.
Dans la pratique, cela s’est traduit par la destruction progressive du système
d’enseignement universitaire.
« Et aujourd’hui, nous avons plutôt assisté à une
dégradation continue de l’enseignement supérieur et universitaire comme
d’ailleurs dans d’autres secteurs de la vie nationale. De ce point de vue,
c’est le déclic à partir duquel a sonné le glas de la dégradation de tout le
système d’enseignement supérieur et universitaire de notre pays », a regretté
Dr Jean-Baptiste Sondji. Les étudiants en tant que les intellectuels ont été le
fer de lance dans la réflexion par rapport aux problèmes généraux du pays. Si
l’Etat congolais était réceptif à l’époque aux revendications des étudiants, il
aurait dû prendre en compte à ce qu’ils voulaient.
Malheureusement, le pouvoir a pris ces revendications comme
une opposition frontale. Et que cette situation a conduit à la ruine de
l’université. « Le 4 juin, on n’en parle pas beaucoup effectivement alors
que c’est une journée très importante pour une conscience des étudiants ».
Dr Sondji regrette du fait que les étudiants d’aujourd’hui vivent dans des
conditions difficiles. Finalement, ils ont très peu de temps pour réfléchir
parce qu’ils sont tellement concentrés à survivre et que la réflexion a quelque
peu diminuer. Cet ancien luzain pense que - c’est plus l’Etat qui doit prendre
ce problème en mains que les étudiants eux-mêmes - l’avenir ce pays dépendra de
ce que vaudra son système éducatif et universitaire qui est aujourd’hui par
terre. « Nous sommes encore cette génération qui a bénéficié d’une
formation relativement importante, mais nous sommes en train de disparaître un
à un. A mon avis, le moment est venu de reconstituer le redressement du pays
pour qu’à la tête de l’Etat que cette génération prenne le pouvoir de manière à
ce qu’on relance l’université ».
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