Il est rare que j’exerce ma plume dans
les affaires pour lesquelles je suis consulté, sauf quand mon silence pourrait
apparaitre comme une conspiration contre la vérité et contre la dignité que
doit revêtir l’exercice d’une fonction
fondamentale comme la justice et la bonne gouvernance, car personne n’est
propriétaire de ce pays pour obliger les autres, dont moi, à taire les incongruités
de comportements de certains citoyens.
La Cour Suprême de la R.D.C. qui a vu le
jour en 1968 par l’Ordonnance-loi 68-248 du 10/07/1968, installée en 1969 sous
la direction de deux Eminents Juristes : Feu le Premier Président Marcel Lihau
Ebua, Brillant Lauréat de l’Université de Louvain avec la plus grande
distinction et le Parquet Général de la République sous la main de fer d’un
autre juriste issu de l’Université Libre de Bruxelles, Docteur en Droit, le
Procureur Général de la République Kengo Wa Dondo, ajouta à ce grade une
Licence spéciale en droit Maritime et Aérien.
Il a été mis fin à leur carrière de
manière cavalière, victimes, tous les deux des décisions politiciennes ;
mais aujourd’hui qui ne regrette pas la hauteur qu’ils ont donnée à leurs
fonctions et la discipline qui a régné lors de l’exercice de leur fonction, au
moment où l’instabilité s’est installée au sommet de cette haute institution, en
effet, les Premiers Présidents et les
Procureurs Généraux de la République se sont succédés parfois en l’espace d’un
an.
A notre avis, le fait pour un Premier
Président de la Cour Suprême ou un Procureur Général de la République de
n’avoir exercé au minimum pendant 3 ans, démontre que le choix qu’on a fait de
celui-là n’a pas été judicieux. Que les magistrats de la Cour d’Appel accèdent
à la Présidence d’une section de la Cour Suprême ou directement Premier Avocat
Général de la République relèvent simplement du népotisme, nul ne contestera
que pour la Cour Suprême et le Parquet Général de la République il faut non
seulement une formation solide, une intelligence éprouvée, l’expérience d’une
carrière sans faille, mais encore une haute moralité, un sens de dignité qui ne
leur permet pas d’être à la solde des justiciables, ni encore moins agir
sur injonction de certaines autorités par personne interposée.
Toute promotion doit faire l’objet de
publicité pour que les magistrats mal cotés n’obtiennent pas une promotion.
Dans les administrations qui se respectent, toute sélection à un grade élevé
doit être le résultat d’un concours, qui ne sert de promontoire qu’aux
meilleurs ; ce qui encourage ceux qui n’ont pas réussi à doubler
d’effort pour accéder au grade supérieur. C’est, je crois, la seule
manière de créer un sentiment d’égalité, face au népotisme ennemi de
l’indépendance des magistrats.
Que l’on retrouve à ce haut niveau de la
justice, des magistrats repris de justice et même anciens condamnés de
droit commun ou de la prise à partie, est une insulte au peuple au nom de
qui la justice doit être rendue. C’est souvent ces magistrats-là qui
introduisent à la Cour Suprême les méthodes pratiquées pendant leur carrière
dans les Cours et Tribunaux.
La conséquence de ce mépris des règles
de l’éthique dans les nominations est que personne ne reconnaît plus à la Cour
Suprême la rigueur du grand juge dont les décisions devaient faire autorité :
· Les audiences commencent et se terminent
à n’importe quelle heure de la journée, sauf celle légale de 9 heures indiquée
sur les exploits adressées aux parties ;
· A une certaine époque il nous est arrivé
de plaider à la Cour Suprême vers 20 heures et même plus tard ;
· A force d’avoir ouvert le prétoire à
l’indiscipline des avocats non rattachés à la Cour Suprême, les audiences
deviennent une foire d’empoigne avec porte ouverte aux « négociations »,
aux « motivations », aux « reports » et aux « gels
sans délai » des dossiers pris en délibéré, même pour les donnés acte de
demandes de renvoi de juridiction, qui étaient prononcés sur le banc après
plaidoiries des avocats ; et ce qui est étonnant, c’est de constater que
devant cette dégradation, les institutions chargées de contrôle et de gestion de
l’Etat restent indifférentes à cette descente aux enfers d’une des institutions
la plus sensible en démocratie, puisque jugeant au nom du peuple.
Des juges de la Cour suprême de justice |
Puisque la justice, même mauvaise, est
rendue au nom du peuple Congolais, elle enlève toute crédibilité à l’Etat,
avilit son peuple et crée une insécurité juridique, qui risque de nous ramener
à la vengeance privée, pour permettre au préjudicié de retrouver son compte
contre son adversaire.
Le
cas d’Eric Kikunda a interpellé ma conscience, dans la
mesure où ce fils d’un Général, Pilote Emérite, formé aux Etats-Unis pour
piloter le C.130 de l’Armée de la RDC à l’époque, cette armée avait un nom et
du personnel jusqu’à la dérive et la désorganisation vers la fin du règne du
Feu le Maréchal Mobutu. Ce jeune homme embastillé à Makala se trouve être
prisonnier non pas par le fait de la justice, mais d’un militaire de Haut rang,
qui a pris en otage non seulement les magistrats militaires qui ont indûment
jugés cet enfant au point qu’ils ont refusé de rendre des décisions sur les
exceptions d’ordre public, qui les ont amené à exécuter les ordres illégaux, en
violation de l’article 28 de la Constitution, pour condamner et maintenir en
détention les citoyens qui n’ont commis aucune infraction.Ce qui a amené les avocats d’Eric Kikunda
à se pourvoir en cassation.
Au niveau de cassation, le dossier
traine, fait l’objet de plusieurs remises, le
dossier a même été retiré de la circulation, il ne fut restitué au greffe que
moyennant menaces des avocats, la remise
en remise témoigne de cette tentative de déni de justice. Tout cela pour le
plaisir de ce haut gradé, car pour ce fils du Général Kikunda, l’indépendance
du Magistrat sous l’empire de la loi, c’est de la rigolade, parce que Magistrats
militaires ou civils, même au niveau de la Cour Suprême, tout le monde s’est
mis « au garde-à-vous ».
Le
spectacle continue
Le spectacle du plus mauvais goût est
celui que nous avons vécu le 19 avril, qui nous a inspiré le fameux titre de
feuilleton, à la une des télévisions européennes, « accusé levez-vous » ; M. Eric Kikunda n’a pas eu le
privilège de cette célèbre interpellation, parce qu’à la date fixée pour son
audience, il n’avait pas été extrait,
pour venir comparaître devant la Cour Suprême de Justice ; et s’il
avait comparu, nous aurions assisté à cette triste interpellation, accusé Eric Kikunda, levez-vous ! la Cour Suprême de la RDC va
vous juger sous les manguiers, dans
son nouveau décor, avec les habits au
séchoir.
Aux regards de la photo prise sur le
vif, il apparait qu’en RDC le ridicule
ne tue plus ; comment 45 ans après sa création, la Cour Suprême peut-elle,
même s’il y a pénurie de locaux, ceux de la Cour d’Appel ne pouvaient-ils pas être réquisitionnés ? plutôt qu’elle siège
sous les manguiers, ceux de la cour des locaux du Conseil Supérieur de la
Magistrature. Pour une cause qui a déjà son histoire et une répercussion hors
de la RDC, aucun greffier n’a pu rendre à cette curieuse salle d’audition un
aspect moins insolite.
Kikunda
Eric,
victime collatérale de l’un de ses collègues
d’infortune, que l’on veut noyer comme pour se venger. L’implication d’Eric n’a
pas donné aux juges, tant au premier qu’au second degré, l’occasion de le juger
en toute indépendance des magistrats, selon les règles d’une instruction
préjuridictionnelle légale, les procès-verbaux
des OPJ et des magistrats instructeurs ayant été déclarés nuls, pour cause
d’aveu sous tortures des infractions imaginaires des armes, que personne n’a
vues et dont l’une porterait le même numéro que l’arme trouvé et qui se serait
trouvé dans le procès Chebeya ; nullité des PV constatée, avant et pendant
les auditions, mieux encore, les magistrats de juridiction de jugement ont
pu avoir et même constaté que celui qui a instruit le dossier n’avait pas
renouvelé son serment de magistrat, pour exercer les nouvelles fonctions par
rapport à son grade et fonctions actuels.
Si l’irrégularité de cette instruction
avait été constatée lors des audiences du Conseil de guerre et de la Haute Cour
Militaire, les infractions réputées avoir été commises par le constat de
ce« magistrat » auraient dû être considérées comme inexistantes.
Eric Kikunda n’est rien d’autre qu’un
innocent tenu en esclavage dans un Etat
de non droit ; quel aurait dû être le rôle d’une Cour Suprême en ce
cas extrême d’une détention arbitraire, sinon de l’aider à remettre Eric Kikunda en liberté, dès la
première audience. Cela aurait pu éviter à l’Etat congolais la mauvaise
réputation sur le plan international ; dans son état actuel, le peuple
congolaisne peut accepter de sa justice, ce comportement arbitraire, ni une
audience d’une haute Cour sous les manguiers, avec à l’avant plan des habits lavés
pendants à un fil.
La Cour Suprême sous les manguiers avec
ou sans la présence d’Eric Kikunda aurait dû simplement déclarer non pas
« prévenu levez-vous », mais « Eric Kikunda la Cour Suprême vous
déclare innocent et demande à la prison de Makala de mettre, lui et ses
compères d’infortune libre de leur mouvement. Policier laissez les partir »
C’eut
été très beau, un rêve impossible
Le temps mis pour terminer cet article a
rencontré la publication d’une longue liste des magistrats du siège et de
ministère public, et c’est après l’Assemblée Général Ordinaire du Conseil
Supérieur de la Magistrature ; le
parlement du pouvoir judiciaire ; le résultat n’est pas mieux que ce
que nous reproduit le Parlement à l’instar de la dernière interpellation du
Premier ministre, « une tempête dans un verre d’eau ».
Aligner la liste des Procureurs
Généraux, Premiers Présidents, Conseillers à la Cour Suprême ne rend pas à la
justice la qualité que le peuple, au nom de qui cette justice est rendue, vient
la qualité et les performances qui devaient être les éléments de l’amélioration
de ce maillon faible de la
semi-démocratie de notre République.
Notre justice n’inspire confiance à
personne, même pas aux membres du Gouvernement qui se plaignent de ce que fait
la justice du pouvoir lui reconnu par la Constitution et les lois de la
République constamment bafouées par ceux-là même qui devaient les protéger en
les appliquant correctement.
L’incompétence de certains magistrats
promus conduira ce pays dans le gouffre, parce que comme il a été si bien écrit
dans les principes de Peters, les
ordonnances de nominations de magistrats vont pousser beaucoup vers « le
seuil de leur incompétence ». En effet, quand au grade inférieur, ces
magistrats promus n’ont pu produire eux-mêmes une œuvre juridiquement correcte,
que feront-ils quand ils auront à diriger
les moins expérimentés qu’eux. La dure vérité est que cette promotion ne pouvait
se faire que par mérite professionnelle
au quotidien suivie d’un concours pour
primer les meilleurs. Ce ne fut hélas pas le cas.
Nous ne voulons pour preuve, que le
nouvel épisode du procès « Eric Kikunda et consorts » dont la
Cour Suprême évite la comparution, de peur que les avocats ne rappellent la
dure réalité d’une instruction nulle et la peur de magistrats de révéler cette
nullité par une décision, qui apporterait au grand jour que le
« magistrat » instructeur de ce dossier n’avait pas la qualité de
magistrat, puisqu’il n’avait pas encore renouvelé son serment, pour le nouveau
grade qu’il portait.
Le
procès Eric Kikunda et consorts est une parodie,
comme celui qui a opposé dans le temps MM. Desmet et Paul Mathy ; ce
procès a donné à la juridiction inférieure belge l’occasion d’humilier la Cour Suprême, qui avait accordé à M. Desmet
de million en zaïres, que le Tribunal de Première Instance Belge a estimé à la
somme d’un Euro symbolique, si ces dommages-intérêts avaient été mérités,
ce qui n’était pas le cas.
L’administration pénitentiaire sur
instructions d’on ne sait qui, a refusé à Eric Kikunda le droit de comparaitre,
et quand il a été décidé enfin de l’amener devant les magistrats de la Cour
Suprême, hélas cette audience venait d’être levée.
Ainsi le fils du Général Kikunda,
prisonnier d’un autre Général, restera encore en prison face à l’inertie d’une
haute institution qui n’est plus que l’ombre du nom qu’il a noblement porté à
l’époque de Marcel Lihau et de Kengo Wa Dondo.
Qui sauvera notre justice ?
Fait
à Kinshasa, le 13 juin 2013
Bâtonnier
National Honoraire MBU ne LETANG
Avocat
à la Cour Suprême
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