Goma, République démocratique du Congo (Reuters) - La déroute de l'armée
congolaise à Goma a laissé bien des observateurs perplexes. Certains évoquent
même, au-delà des facteurs structurels tels que la corruption ou le manque de
discipline, une possible collusion entre des membres de l'état-major et les
rebelles du M23.
Le
gouvernement a ouvert une enquête mais n'est pas encore parvenu à la moindre
conclusion. Le seul fait que des soupçons de trahison existent illustre
cependant l'absence de cohésion d'une armée contrainte d'absorber des vagues
successives de milliers de rebelles à chaque accord de paix conclu dans l'est
de la République démocratique du Congo (RDC).
Dans les
heures qui ont précédé la chute de Goma aux mains des rebelles le 20 novembre 2012,
des témoins ont pu voir des soldats congolais ivres et terrorisés errer dans
les rues ou se cacher derrière des portes.
Pendant onze
jours, le M23 a occupé la ville, infligeant l'un de leurs plus cuisants revers
aux Forces armées de la RDC (FARDC), pourtant l'une des plus fournies d'Afrique
en effectifs, avec 150.000 membres théoriquement soutenus par 17.000 casques
bleus de la Mission de l'Onu pour la stabilisation du Congo (Monusco).
S'exprimant
sous le sceau de l'anonymat, un officier des FARDC ayant participé aux combats
se dit persuadé que la chute de Goma est due à ce qu'il qualifie de sabotage.
"Tous
nos renseignements étaient transmis au M23", affirme-t-il, en assurant que
pendant toute la durée des combats, "il y a eu d'intenses communications
avec eux" en provenance des rangs gouvernementaux.
Cet officier
se dit certain que le général Gabriel Amisi, alors commandant des forces
terrestres, était en contact avec les rebelles. Cet officier a servi aux côtés
de ce général sur le champ de bataille.
Dans
l'entourage de Gabriel Amisi, on répond que le général "rejette
catégoriquement" ces accusations.
Vêtu d'un
boubou coloré et sandales aux pieds, Gabriel Amisi a reçu Reuters chez lui à
Kinshasa. Il a refusé d'évoquer ces soupçons. L'un de ses collaborateurs a dit
que le général avait reçu l'ordre du président Joseph Kabila de ne pas
s'exprimer.
Connu sous
le surnom de "Tango Four", son ancien code d'identification à la
radio, Gabriel Amisi a été suspendu le 22 novembre après la publication d'un
rapport d'experts de l'Onu l'accusant d'avoir vendu des armes à des groupes
responsables de la mort de civils.
Porte-parole
de l'armée, le colonel Olivier Hamuli considère que "plusieurs
facteurs" expliquent la débâcle à Goma. "Quant à savoir s'il y a eu
trahison de la part du général Amisi, je ne peux répondre ni oui ni non",
ajoute-t-il.
CONTRASTE
Le parcours
de ce général est symptomatique des difficultés de l'armée congolaise et de
l'absence de tout contrôle sur l'est de la RDC, dont les richesses du sous-sol
attisent les convoitises des puissances régionales sur fond de conflits
ethniques.
Durant la
guerre civile de 1998-2003, qui a fait des millions de morts et impliqué
plusieurs pays de la région des Grands Lacs, Gabriel Amisi était l'un des chefs
militaires du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), un groupe
rebelle soutenu par le Rwanda. A ce titre, il a alors combattu aux côtés de
nombreux hommes constituant désormais le M23.
Ce dernier
est en grande partie composé d'anciens rebelles, intégrés dans un premier temps
dans l'armée avant de reprendre les armes en accusant le gouvernement de ne pas
respecter un accord conclu le 23 mars 2009.
Pour le
colonel Olivier Hamuli, la défaite à Goma est "compréhensible"
puisque "nous combattions l'armée rwandaise".
Des experts
mandatés par l'Onu ont affirmé que le Rwanda avait créé, formé et équipé le M23
et avait directement appuyé son offensive sur Goma, ce que Kigali qualifie de
"fiction".
Les rebelles
du M23 se sont retirés de Goma le 1er décembre après une médiation des Etats
voisins. Mais personne ne semble douter, en RDC et à l'étranger, de la capacité
du M23 à reprendre la ville à sa guise.
Les
journalistes de Reuters qui ont couvert les combats ont été frappés par le
contraste entre la qualité des armements des rebelles, vêtus d'uniformes
impeccables, et l'apparence négligée des soldats gouvernementaux, dont certains
n'étaient chaussés que de sandales.
Les rebelles
ont montré aux journalistes les baraquements abandonnés par l'armée à Goma, des
bâtiments délabrés aux sols jonchés de détritus couverts de mouches, près
desquels des plants de marijuana poussent au milieu de cultures de maïs.
"Vous
voyez dans quelles conditions vit l'armée congolaise. Quelle genre d'armée
est-ce là ?", interroge Amani Kabasha, porte-parole adjoint du M23.
Il
n'empêche, tout cela n'explique pas la rapidité de l'effondrement de l'armée
aux yeux des observateurs.
Les FARDC
ayant pris la fuite, la Monusco a décidé de ne pas résister à l'avancée des
rebelles. Vivement critiquée, l'Onu a répliqué qu'elle pouvait difficilement
soutenir une armée soudainement envolée.
"Ils ont
formidablement combattu le premier jour puis, pour des raisons que nous ne
saisissons pas, ils ont tout simplement arrêté de combattre et sont
partis", s'étonne Hiroute Guebre Sellassie, responsable de l'antenne
locale de la Monusco.
"CINQUIÈME
COLONNE"
L'officier
accusant Gabriel Amisi de trahison dit se souvenir d'un exemple marquant au
début de la défense de Goma, lorsque le général a ordonné à ses hommes de
cesser les combats alors qu'ils venaient d'infliger de lourdes pertes au M23 à
Kibumba, à 30 km au nord de la ville.
"Tout à
coup, nous avons reçu l'ordre d'arrêter", dit-il. "Cela n'avait pas
de sens. Ça leur donnait seulement une chance de se regrouper et de former une
force qui est ensuite allée prendre Goma."
Rejetant ces
accusations, l'entourage de Gabriel Amisi à Kinshasa réplique qu'il était
difficile de combattre des rebelles bénéficiant, selon lui, d'un appui de
l'autre côté de la frontière, qui passe dans les faubourgs de Goma.
"Nous
n'avions pas l'ordre d'attaquer le Rwanda, même si on se faisait tirer dessus
de là-bas", a dit le collaborateur du général, en son nom. "Quand on
voyait le moral de nos hommes, tout le monde s'enfuyait dans tous les sens.
C'est alors que nous avons compris que nous ne pourrions pas tenir Goma."
Malgré les
démentis du Rwanda, un journaliste de Reuters présent à Goma durant
l'occupation rebelle a croisé plusieurs combattants ne parlant pas les
dialectes locaux. L'un d'eux a même déclaré : "Je suis rwandais, un
soldat, nous sommes là pour aider le M23. Nous sommes nombreux et beaucoup
arrivent chaque jour."
Expert du
Congo, Jason Stearns rappelle que "ce n'est pas la première fois qu'Amisi
est accusé de saper l'armée. Il y a de forts soupçons parmi les officiers qu'il
agit comme une cinquième colonne en faveur du Rwanda."
L'intégration
des rebelles dans l'armée congolaise favorise la création de chaînes de
commandement informelles fondées sur des fidélités passées.
Chefs
militaires du M23, Sultani Makenga et Bosco Ntaganda, recherché pour crimes de
guerre par la Cour pénale internationale (CPI), ont ainsi été promus à des
grades élevés de l'armée après la fin de la rébellion de Laurent Nkunda
(2004-2009). Ils ont maintenant entraîné leurs hommes dans une nouvelle
insurrection.
"Alors
que la désertion est considérée comme la plus grave forme d'indiscipline dans
les autres armées, au lieu de cela en RDC les unités et les commandants qui
désertent sont généralement accueillis à nouveau dans l'armée et sont même
souvent récompensés avec de meilleures places lors de leur réintégration",
déclare Maria Eriksson Baaz, chercheuse à l'Institut nordique sur l'Afrique,
basé en Suède.
C'est
"très démoralisant" pour les soldats, ajoute-t-elle.
En l'absence
d'une réforme de l'armée, les soldats congolais se comportent souvent plus
comme des prédateurs que comme des protecteurs.
Près de
Goma, les habitants de Minova affirment que pendant trois jours, des milliers
de soldats en retraite ont bu, tiré, pillé et violé.
Un habitant,
Mbogos Simwerayi, se souvient : "Tout le monde a souffert de l'armée
ici."
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