Réagissant
à une déclaration de la Société Civile
de sa juridiction, le Gouverneur du Nord-Kivu a émis le samedi 28 juillet le
souhait de voir un mécanisme international procéder à l’évaluation de l’accord
du 23 mars 2009 entre le Gouvernement de l’époque et l’ensemble des mouvements
armés opérant alors dans cette partie du pays ; un accord qui sert de
prétexte à l’agression en cours contre notre pays dans sa partie Est.
Avant
même que le Gouvernement de la République, principal destinataire de
cette requête, n’ait réagi, on a enregistré des interprétations en sens divers
à ce sujet. Une certaine opinion s’est émue de ce qu’elle considérait comme
l’abandon de l’option militaire dans la gestion par la RDC de cette guerre.
On
a vu par ailleurs la pseudo-mutinerie du M23 et ses initiateurs dans la région rouler
les mécaniques en affirmant que le Gouvernement avait opté pour négocier avec
ces faire-valoir d’une agression extérieure qualifiée.
Le
Gouvernement de la République a bien reçu la requête du Gouverneur Julien
Paluku. A l’examen, il ne ressort nulle part dans cette requête l’idée d’un
quelconque choix préférentiel d’un type de gestion de la sale guerre imposée au
peuple congolais qui exclurait le recours à une autre approche. Il nous faut à
cet égard réitérer d’emblée le maintien, du reste rappelé par M. le Président
de la République Démocratique du Congo dans son entretien de samedi avec la
presse nationale, d’une réponse en forme d’un tableau triptyque. Des actions
politique et diplomatique se déployant autour de la riposte militaire restent plus
que jamais à l’agenda du Gouvernement face à ce défi sécuritaire majeur.
On
a beau lire la requête du Gouverneur du Nord-Kivu dans tous les sens, on n’y
trouve nulle mention d’une négociation avec quelque force négative que ce soit.
Le Rwanda, que nous considérons comme la partie essentielle du problème de
l’insécurité récurrente à l’Est et de sa solution, vient de déclarer dans sa
réplique au rapport accablant des Nations-Unies à cet effet sa disponibilité à
s’impliquer dans le processus de recherche de solutions durables aux problèmes de
l’Est qu’il définit à tort comme des problèmes politiques, incluant le dialogue
et la réintégration des groupes armés, ainsi que la neutralisation et/ou le
rapatriement des forces négatives opérant actuellement dans la région. C’est le
lieu de préciser que le M23 fait partie à l’instar des FDLR des forces
identifiées comme forces négatives par la Conférence Internationale sur la
Région des Grands Lacs et l’Union Africaine et qu’en tant que telle, un dialogue
avec cette pseudo-mutinerie qui n’est qu’une astuce pour dissimuler une
agression extérieure, n’est pas envisageable.
Le
Gouvernement considère positivement la requête du Gouverneur du
Nord-Kivu pour une évaluation de l’accord de paix du 23 mars 2009 signé entre
le gouvernement et les groupes armés nationaux qui existaient au Kivu. Tant de
choses sont dites sur cette évaluation sur le mode de la rumeur qui reste
l’arme de prédilection des spécialistes de la déstabilisation.
L’agitation
des forces négatives du M23 autour de la perspective d’une évaluation par un
mécanisme international de l’accord de 2009 procède de cette guerre
psychologique que les ennemis de la paix n’ont cessé de mener contre le peuple
congolais. En réalité les propositions du Gouverneur Paluku entrent dans le
cadre de la mise en œuvre de la Déclaration d’Addis-Abeba du 15 Juillet 2012
signée par les 11 Chefs d’Etats Membres de la Conférence Internationale sur la
Région des Grands Lacs (CIRGL) qui s’étaient réunis en Sommet Extraordinaire
sur la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC.
On peut lire
au point 11 des décisions prises par le Sommet d’Addis-Abeba ce qui suit :
« (Décidons) L’établissement
immédiat d’un mécanisme de suivi à travers la réactivation de l’Equipe
d’Envoyés Spéciaux composée de Son Excellence Benjamin Mpaka et Son Excellence
le Général Olusegun Obasandjo pour trouver les causes profondes des conflits
dans l’Est de la RDC et ainsi proposer une solution durable. Le Secrétaire Général
des Nations-Unies est appelé à appuyer cette initiative ».
Cette
décision des Chefs d’Etats s’inscrit tout naturellement dans les dispositions
de l’article 15 alinéa 2 de l’accord de 2009 qui prévoit la constitution d’un
tel Comité international de suivi. Le Gouvernement de la
République Démocratique du Congo s’est procuré une copie de la réplique du Rwanda
à l’annexe au pré-rapport du Groupe d’Experts des Nations-Unies sur les
violations de l’embargo sur les armes à destination de la RDC.
Par
ce texte nos voisins rwandais tentent de persuader l’opinion et
particulièrement les Nations Unies que les accusations contre eux ne seraient
pas fondées, notamment le fait que des personnalités prééminentes dans l’appareil
militaire ont contribué à la création du M23 en facilitant le transport des
armes et le mouvement des combattants dudit mouvement par son territoire ;
en approvisionnant en armes et munitions le M23 ; en exerçant des
pressions sur des politiciens et des hommes d’affaires congolais au profit du
M23 ; en portant appui à plusieurs autres groupes armés à l’Est de la RDC
et en appuyant des personnes poursuivies par la justice internationale.
Le
Gouvernement de la RDC constate qu’un certain nombre de points évoqués dans la réplique
du gouvernement rwandais suscitent plus de nouvelles problématiques qu’elles
n’apportent de clarté aux questions soulevées par le rapport des experts
onusiens.
Ainsi
que nous avons pu le démontrer récemment, l’implication rwandaise dans la
guerre conduite par le M23 est avérée non seulement de par les preuves
apportées par le rapport des experts des Nations Unies, mais aussi conformément
à d’autres sources indépendantes les unes des autres que sont notamment les
populations locales, premières victimes de l’agression, les ONG tel que Human
Rights Wacht dont les difficiles relations avec le Gouvernement de la RDC sont
de notoriété publique. Il ne viendrait à l’idée de personne qu’il pourrait
exister une complicité quelconque entre cette ONG internationale et le
Gouvernement congolais. Les observations en question ont été en outre dûment
vérifiées par la Force onusienne de la Monusco ainsi que par les rapports des services d’intelligence du Gouvernement
congolais qui a parié ces 3 dernières années sur la bonne foi du partenaire
rwandais et n’avait aucun intérêt à noircir le tableau. Des vérifications ont
été aussi faites par la délégation du Premier Ministre congolais en visite au Kivu
en juin dernier. Ce ne sont pas des sources « anonymes
et compromises » comme l’affirme le Gouvernement Rwandais dans sa réplique.
Il ne suffit pas d’accoler ces adjectifs à une source dont la fiabilité ne fait
l’ombre d’aucun doute pour jeter le doute sur la véracité des faits établis par
le rapport d’experts de l’ONU. Prétendre que même la BBC aurait intérêt à
falsifier la vérité dans le cadre d’on ne sait quelle campagne de désinformation
orchestrée contre le Gouvernement rwandais qu’on considère généralement comme
en très bons termes avec les pays occidentaux dépasse les limites du
raisonnable.
Les
preuves apportées par le rapport d’experts des Nations Unies ne sont donc
nullement basées sur des témoignages biaisés. Un témoignage n’est pas à
qualifier de « biaisé » du simple
fait qu’il n’est pas confirmé par la personne physique ou morale mise en cause
dans le fait répréhensible dénoncé.
Ainsi
pour le Rwanda, le seul fait que le rapport des experts des Nations Unies ne
corresponde pas à la version qu’il souhaitait voir développée sur ces graves événements
pour dissimuler les vrais acteurs, rendrait celui-ci peu crédible. Ce type d’argumentation ne
tient pas la route, c’est le moins que l’on puisse dire, étant entendu qu’aux
faits on n’oppose pas des états d’âme ou des arguties. Les recrues de
nationalité rwandaise arrêtés dans les rangs du M23, les uniformes de l’armée
rwandaise, des armes sorties des arsenaux de DRF, etc. tout cela ne relèverait-t-il
que de témoignages biaisés ? L’insistance sur les conditions dans
lesquelles les témoignages ont été recueillis reviendrait-t-elle à dire que les
personnes interrogées par la Monusco auraient subies la torture avant d’émettre
leurs déclarations ? Ceci est une insinuation inacceptable pour la Force
des Nations-Unies.
Il
faut prendre le monde entier pour des demeurés pour croire que pareille
assertion emportera la conviction de qui que ce soit.
Les
réponses rwandaises taxent « d’évidences fabriquées » et « témoignages
téléguidés » les preuves apportées par le rapport des experts des Nations-Unies.
Il faut vouloir se défendre à tout prix pour nier par exemple l’évidence des
uniformes de la Rwanda Defence Force découverts sur des éléments attrapés sur
le front du M23 à proximité de Runyonyi. Contre ce fait, la réplique du Rwanda
allègue qu’il est possible que l’opération conjointe entre les FARDC et la RDF ait
été l’occasion pour l’une et l’autre force d’obtenir des tenues et des munitions
appartenant à l’une quelconque d’entre
elles. Mais là n’est pas la seule preuve qui accable nos voisins. On peut
rappeler que les jeunes gens issus des rangs du M23 et interrogés par la
Monusco ont donné toutes les précisions sur leurs villages d’origine au Rwanda et
les circonstances de leur recrutement. Ce fait sur lequel la réplique reste
muette ne relève certainement pas de l’affabulation. Prétendre qu’il faille
préciser dans l’addendum au rapport des experts les noms, unités et autres
détails identitaires des témoins pour rendre les témoignages fiables n’est pas défendable.
On sait ce qu’il est advenu des opposants et autres personnes en délicatesse
avec le régime en place dans ce pays.
Les
experts onusiens ne peuvent se permettre d’envoyer à une mort certaine des gens
qui n’auraient pour tort que d’avoir offert leur coopération au travail de
recherche de la vérité.
Il
est curieux de constater que la réplique du gouvernement rwandais au pré-rapport
impute aux services et forces armées de la RDC une formidable capacité que le
discours officiel au plus haut niveau du Rwanda n’a cessé de railler ces jours en présentant souvent notre pays comme un
véritable Etat failli.
La
prétention selon laquelle le Rwanda n’aurait pas été écouté sur les accusations
portées contre lui nous paraît sujette à caution.
En
effet, le Rwanda reconnaît lui-même, bien qu’il en minimise la portée, le fait
que son Ministre des affaires étrangères a pu répondre aux allégations le
mettant en cause à l’occasion de son séjour à New York. Dire tout à coup que
les réponses ainsi données ne peuvent pas être considérées comme du
Gouvernement rwandais qu’elle représentait pourtant en bonne et due forme ne
peut nous convaincre, puisqu’il est évident que Madame la Ministre était bel et
bien mandatée pour donner la version de son pays sur ces faits avant
publication du rapport, que le Gouvernement rwandais avait préalablement reçu.
La
publication dudit rapport ne peut donc être considérée comme précipitée
puisqu’elle s’est faite bien après la réplique de la Ministre rwandaise des
affaires étrangères.
A
propos des témoignages d’officiels rwandais cités et dont nos interlocuteurs
rwandais estiment qu’ils sont de nature à invalider ou à tout le moins
d’altérer le contenu de l’annexe au rapport des experts des Nations Unies, nous
constatons après en avoir pris connaissance qu’il ne s’agit que de déclarations
spécieuses et peu dignes de foi car ils sont de toute évidence destinés à
désorienter l’opinion publique et les enquêteurs sur des faits qui sont
évidents mais auxquels on se plaît à donner de multiples interprétations
plausibles.
Ainsi,
tout en reconnaissant les tractations entre un Général de RDF et les ténors du
M23, la réplique essaye de faire croire que c’était pour persuader ces derniers
de ne pas entrer en rébellion. De quel droit, sur base de quel principe ce général
rwandais se serait-il assigné la mission de ramener dans le droit chemin les
brebis galeuses d’une armée étrangère à l’insu des autorités congolaises ?
On conviendra que pareille attitude ne correspond à aucune règle dans les relations
entre Etats.
Mais
le plus grave pour nous est dans le point 17 de la réplique de nos collègues
rwandais évoquant la montée d’une rhétorique de haine ethnique observée dans
les médias congolais et les réseaux sociaux avec des conséquences dramatiques
pour les rwandophones congolais.
S’agissant
des réseaux sociaux (Internet), nous avons noté avec surprise que le
gouvernement rwandais rend le gouvernement et le peuple congolais responsable
d’un posting manifestement anonyme sur You
Tube d’un internaute surnommé « Evêque
Elizée » du nom d’un prophète de l’ancien testament qui appelle à la « guerre sainte contre les Tutsi »
et invite les congolais à « tuer
les Tutsi partout dans le monde». Qui est cet « évêque Elisée » ? Nous ne le connaissons pas plus
que les auteurs de la réplique.
S’agit-il
d’un congolais ? D’un rwandais ? En tout état de cause l’auteur de
cette ignominie est un provocateur anonyme dont le Gouvernement de la RD Congo
n’a pas à répondre des actes.
Il
est arrivé que des médias publics ou privés se soient laissés aller à diffuser des propos discriminatoires ou xénophobes
dans le traitement de l’actualité sur la guerre d’agression qui nous est
imposée. Les rwandais savent, bien qu’ils ne le disent pas dans leur réplique,
que chaque fois que cela a été signalé des sanctions promptes et sans
complaisance ont été prises.
C’est
le cas du journal « Le
Journal » qui est interdit de
paraître jusqu’à ce jour pour un article d’incitation à la haine ethnique, et
c’est le cas du Directeur Général de la RTNC, la chaîne publique, suspendu de ses
fonctions pour avoir laissé passer sur antenne
des propos jugés xénophobes.
Par
contre, le Gouvernement congolais est en droit de questionner l’attitude des auteurs
de la réplique du Rwanda qui se sont permis de recourir à un double mensonge
dans une tentative criminelle d’opposer les communautés ethniques congolaises
les unes contre les autres. En effet, le point 17 de la réplique présente
l’incendie d’une partie de la résidence de la famille Bachikanira, qui a coûté
la vie à six enfants de cette famille de Goma le 25 Juillet, comme faisant
partie des persécutions contre les rwandophones congolais. Le mensonge est
double car :
1) L’incendie
du 25 juillet a été accidentel (dû à l’imprudence) et non criminel ;
2) Les
Bachikanira dont les enfants sont décédés alors que les parents dormant sur une
partie de la résidence préservée des flammes grâce aux secours des voisins sont
en vie ; les Bachikanira donc ne sont pas Rwandophones. M. Bachikanira et
sa femme ne sont ni Tutsi, ni Hutu. Ils appartiennent à l’ethnie Havu de l’île
d’Idjwi au Sud-Kivu.
Un
tel double mensonge qui vise d’une part à justifier les ingérences récurrentes
du Rwanda dans les affaires de la RDC et à soulever des congolais contre des
congolais enlève toute crédibilité à la plupart des allégations contenues dans
la réplique du Rwanda.
Au
bout de cette lecture rapide de la réplique qui est présentée aujourd’hui même
au Conseil de Sécurité, nous continuons d’exiger simplement que nos voisins
rwandais cessent de susciter et d’appuyer, y compris par des arguties
spécieuses, les forces négatives destinées à rendre l’Est du Congo ingouvernable.
Nous
comprenons un peu mieux maintenant que l’instinct prédateur de certains acteurs
dans ce pays voisin est encore plus fort que la volonté déclarée de nos deux
gouvernements depuis ces trois dernières années d’œuvrer pour la paix dans notre région.
Je
vous remercie.
Fait à Kinshasa, le 30 juillet 2012
Lambert MENDE OMALANGA
Ministre des Médias, chargé des Relations avec le
Parlement et de l’Initiation à la Nouvelle Citoyenneté