Introduction
Avant
toutes choses, permettez-moi, Mesdames et Messieurs, de saluer
l’heureuse et opportune initiative de l’organisation des présentes
assises autour du thème : « L’opposition politique et le processus démocratique en RDC ».
Que les
organisateurs du présent séminaire trouvent ici l’expression de nos
encouragements et de notre appréciation pour ce programme, autant que
nos remerciements pour nous avoir associé à cet exercice d’évaluation et
de prospective en nous proposant de réfléchir sur « L’avenir de l’opposition en RDC ».
Je
m’éloignerais certainement des attentes des organisateurs et de cet
auguste auditoire si j’abordais la question dans une approche dogmatique
qui n’aurait aucun ancrage sur le contexte socio-historique et
politique propre de notre pays ; et surtout aucune prise sur le sens
réel et profond du combat de notre peuple pour la démocratie, la
liberté, le développement et l’avènement d’un Etat de droit.
Long, difficile, mais exaltant combat contre la servitude sous toutes ses formes, pour la
matérialisation de la grandiose destinée de notre pays. Combat pour
l’épanouissement et la dignité des citoyens congolais. Engagement pour
les valeurs républicaines et de gouvernance démocratique. Bref,
engagement pour une opposition constructive, basée naturellement sur la
critique sans failles de l’action du gouvernement ; mais aussi assortie
des propositions pour qu’ensemble dans une démarche dialectique nous
puissions améliorer les conditions de vie dans notre pays, sinon
l’Opposition ne servirait à rien si elle n’est pas porteuse d’une vision
et surtout d’un projet meilleur à celui du pouvoir dont elle
se constitue de façon légitime, l’alternative crédible,
susceptible de récréer l’espoir dans les cœurs de nos concitoyens et
d’engager résolument le peuple congolais dans la voie vers le
rendez-vous avec l’espérance et son histoire.
Aussi
voudrais-je vous proposer d’aborder la question de « l’avenir de
l’opposition en RDC » à partir des quatre interrogations suivantes :
1°) Pourquoi faut-il une opposition en démocratie dans le contexte spécifique de la RDC ?
2°) De quelle opposition la RDC a-t-elle besoin ?
3°) Quel est le profil actuel de l’opposition congolaise ?
4°) Face aux handicaps qui l’affectent, l’espoir est-il permis de construire enfin une opposition républicaine et responsable ?
Pourquoi faut-il une opposition en démocratie dans le contexte de la RDC ?
Il faut
ici prendre conscience et convenir de ce que la bonne santé de la
République et de la Démocratie se donne et se mesure notamment à la
qualité, la force, la solidité et le sens des responsabilités de
l’opposition politique dans le pays. D’elle en effet dépend une
perception qui puise sa pertinence dans la saine contradiction des idées
et des opinions, la critique constructive, la tolérance mutuelle entre
les acteurs socio-politiques. D’elle dépend aussi le respect et la
considération du peuple, électeur et souverain primaire, dans ses choix
et ses aspirations, ses besoins et ses attentes.
D’elle
dépend enfin la matérialisation de l’alternance politique, en tant que
l’un des principes-clé de la vie démocratique qui impose aux gouvernants
l’obligation de la redevabilité et reconnaît au peuple souverain le
droit au changement de ses choix politiques et de ses expériences de
gouvernance en fonction précisément de ses attentes et de ses
aspirations.
En
définitive, une opposition solide, responsable et républicaine, est gage
de ce que l’on appelle « une bonne respiration démocratique ». Elle est
garante de la bonne gouvernance dans le respect des droits humains et
des libertés fondamentales de la personne. Elle est l’antidote aux
dérives autocratiques et à l’accaparement patrimonialiste de l’Etat qui
sont la première tentation de tout pouvoir. Elle est, finalement,
caution de la légitimation du pouvoir politique institutionnel dévolu
aux dirigeants issus du suffrage majoritaire qui doivent gouverner au
mieux des intérêts de tous, c’est-à-dire au-delà des seules
préoccupations de celles et de ceux qui leur ont accordé leur vote, avec
le souci permanent de confédérer à leurs vision et projets l’autre
fraction de l’électorat dans le respect de la
diversité des opinions.
Quiconque ne comprend pas ceci, ne comprend ni la République, ni la Démocratie. Il feint ignorer que « la souveraineté appartient au peuple de
qui émane tout pouvoir qu’il exerce directement par voie de référendum
ou d’élections ou indirectement par ses représentants » et qu’ « aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».
Il considère le peuple des électeurs comme « sa base », en somme son
piédestal, sa propriété personnelle. Et, au besoin par défi, par le
recours à la violence ou par l’achat des consciences, il bâtira sa
gouvernance sur le cercle étroit de ses partisans, se coupant ainsi des
réalités du peuple profond et du pays, pour finalement se retrancher
dans le radicalisme et la gouvernance des
œillères.
Quelle opposition pour la RDC ?
C’est
précisément pour faire barrage à pareille perspective que le Constituant
de 2006 a mis en place une opposition républicaine. Dès les premières
lignes de ses dispositions, spécialement à l’article 8 de la
Constitution, dans la section consacrée à « la souveraineté », il
explique ce qu’il entend par là. Il s’agit en fait d’une opposition
« institutionnelle » à qui il est conféré des droits et avantages liés à
son existence, à son fonctionnement ainsi qu’à sa lutte pour la
conquête du pouvoir. Il dit ces droits « sacrés » ; ce qui signifie que
nul ne peut y toucher et nulles autres limites que celles imposées par
la Constitution à tous les partis politiques ne peuvent frapper ou
affecter ces droits.
Il faut
noter que les dispositions de l’article 8 précité de la Constitution du 5
février 2006 qui établissent ces droits, s’inscrivent dans la logique
des articles 6 et 7 précédents sur les partis politiques. Ces articles :
- indiquent la finalité des partis politiques qui est de concourir à l’expression du suffrage, au renforcement de la conscience nationale et à l’éducation civique ;
- posent la règle du respect des principes d’unité et de souveraineté nationale, de la démocratie pluraliste – le pluralisme politique ne pouvant par ailleurs, aux termes de l’article 220 de la Constitution, faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle précise ;
- donnent aux partis politiques la possibilité de recevoir des fonds publics destinés à financer leurs campagnes électorales ou leurs activités dans les conditions définies par la loi ;
- font interdiction à quiconque d’instituer, sous quelques formes que ce soit, un parti unique et érigent ce comportement en crime imprescriptible de haute trahison.
En conséquence, le Constituant appelle à l’intervention d’une loi organique sur le statut de l’opposition politique.
Cette loi a été votée et promulguée le 4 décembre 2007, parmi les tout
premiers actes législatifs de la première Assemblée nationale que j’ai
eu la charge de présider. Je peux vous assurer qu’à l’époque la
pertinence et le caractère prioritaire de cette loi étaient loin d’être
bien perçus par tout le monde, dans la majorité comme dans l’opposition.
Je suis cependant heureux d’avoir fait voter cette loi dont la
nécessité est aujourd’hui reconnue. Cette loi vient non seulement
renforcer le caractère républicain de l’opposition, mais définit le
cadre et les critères de son organisation et de son fonctionnement.
Retenons qu’elle :
- protège rigoureusement l’opposition comme rouage important de notre démocratie et condition de la bonne hygiène démocratique de notre système politique ;
- reconnaît l’opposition comme gage de stabilité politique dans le cadre du fonctionnement des institutions démocratiques issues des élections ;
- prescrit les conditions susceptibles de contribuer à l’avènement d’une démocratie faite de tolérance, d’acceptation de l’autre et de débat libre et constructif, sur fond du pacte républicain garantissant l’alternance démocratique.
Ainsi, le
Constituant et le législateur congolais, tout en
« institutionnalisant » l’opposition, n’entendent pas la réduire en une
caisse de résonance fonctionnant dans une idéologie et selon le mode de
la « pensée unique ». Ils veulent une opposition qui, dans la diversité
de ses convictions et de ses opinions, ne partage pas moins avec les
gouvernants la perception commune des valeurs républicaines essentielles
et adhère mêmement aux enjeux de « l’exception nationale » et de
l’intérêt national.
Une
opposition également qui, au-delà des visions et des convictions propres
à ses différentes composantes, sait se mettre ensemble en ordre de
bataille pour permettre les changements voulus par la population et
réaliser l’alternance démocratique.
Une
opposition responsable, c’est-à-dire au fait des dossiers de l’Etat dans
tous les secteurs de la vie publique et capable d’apprécier les actions
positives du gouvernement comme de critiquer celles qui lui paraissent
peu satisfaisantes en avançant des contre-propositions constructives.
Une
opposition qui ne soit pas seulement contestataire mais aussi capable,
le cas échéant, de proposer et de conduire des actions de gouvernement
dans le cadre d’un leadership différent.
On peut
se demander si ce profil d’une opposition républicaine,
institutionnelle, responsable, imprégnée des enjeux de l’intérêt
national, porteuse d’une vision et d’un leadership, correspond aux
réalités de l’opposition congolaise ?
Quel est le profil actuel de l’opposition congolaise ?
Fort
malheureusement, la réponse est négative. Pour peu que l’on observe
notre opposition, on se rend vite compte que là aussi, comme dans les
sphères du pouvoir, le combat républicain et démocratique n’est, dans
bien de cas, que de façade. Les opposants les plus farouches le jour
s’associent au pouvoir la nuit pour des intérêts personnels. La
duplicité, la tartuferie, le mensonge, la suspicion facile, etc. sont,
dans ces milieux aussi, règles de jeu politique.
Conscient
que l’on ne peut construire la gouvernance républicaine et démocratique
avec autant de handicaps, j’ai pensé concentrer mes efforts sur la
nécessité de favoriser un leadership responsable et constructif au
niveau de l’opposition. J’ai ainsi humblement approché, à plusieurs
reprises le président Tshisekedi pour faire, autour de lui, front commun
en vue de donner des chances d’alternance à notre gouvernance
politique. La démarche s’est soldée par l’échec de la tentative de
« Fatima ». L’expérience de « Sultani » ne connaîtra pas meilleure
fortune. Dans un cas comme dans l’autre, le combat politique s’est
longtemps focalisé sur la qualité vraie ou fausse de certains opposants,
oubliant l’essentiel, à savoir l’organisation de l’opposition autour de
stratégies et programmes
communs en vue de remporter les élections.
D’autres initiatives seront prises. Elles connaîtront pratiquement le même sort :
- refus,
faute de consensus, de procéder par les primaires au sein de
l’opposition pour la désignation du ou des candidats aux élections
présidentielle et législatives ;
- refus de se constituer en casting de candidats de l’opposition devant agir ensemble ;
- refus de s’inscrire dans la stratégie d’encerclement des candidats du pouvoir ;
- refus
de la proposition d’une plate-forme commune des témoins de l’opposition
aux élections présidentielle et législatives en vue d’une répartition
équitable et rationnelle des charges entre les différents partis de
l’opposition ;
- refus
de faire recours à la Cour suprême de justice alors que ceci aurait
permis de faire la démonstration de l’inféodation de cette haute
juridiction au pouvoir ; etc.
De même, les attitudes affichées par les uns et les autres laissent perplexes :
- dénonciation de la fraude électorale, vite oubliée pour saluer la victoire du candidat investi par la Cour Suprême de Justice ;
- adhésion sans condition à la majorité présidentielle en vue de briguer des postes ministériels et autres charges publiques ;
- prise de décision unilatérale à laquelle on entend associer et engager toute l’opposition ;
- retrait unilatéral et péremptoire d’un certain nombre de députés en vue de boycotter l’Assemblée nationale, se privant ainsi d’un espace libre d’expression.
Tout ceci
nous renvoie l’image d’une opposition dispersée, divisée et susceptible
d’aucun compromis, incapable par conséquent de saisir les opportunités qui s’offrent à elle, ni de déjouer les stratagèmes du pouvoir. Quelques exemples suffisent pour l’illustrer.
- Pendant toute la législature passée, l’opposition s’est en quelque sorte sabordée par des querelles interminables sur le choix de son Porte-parole. Il est indiscutable que Monsieur Jean Pierre Bemba, challenger du Président Kabila aux élections de 2006, leader du MLC, première force de l’opposition à l’époque, était bien positionné pour être de droit et légitimement investi « Porte-Parole » de l’Opposition. Mais son absence au pays a mis en difficulté l’Opposition qui a envisagé de désigner tantôt un porte-parole intérimaire, tantôt un porte-parole rotatif. Deux projets de règlement intérieur ont même été proposés par deux groupes, l’un majoritaire et l’autre minoritaire de l’opposition. Finalement la machine s’est bloquée.
- L’opposition a, d’une certaine manière, favorisé la crise politique post-électorale en laissant débattre, au niveau du Sénat, la modification de la Constitution alors que ce dernier avait légalement la possibilité de s’y opposer. Elle a participé à la mise en place d’une CENI et d’un CSAC aux ordres du pouvoir. Elle a loupé l’occasion d’obtenir de l’ONU, sinon la certification des élections à laquelle cette organisation est devenue allergique, du moins la désignation d’observateurs nommés par le Secrétaire général des Nations Unies à l’instar de ce qui s’est passé au Népal.
C’est
précisément cette division, cette dispersion et cette absence de culture
de compromis qui, hier aux temps de l’indépendance comme aujourd’hui,
créent les conditions de nos nombreuses crises politiques, lesquelles
sont fondamentalement des crises de légitimité du pouvoir et de la
gouvernance.
Ces
crises se nourrissent par ailleurs de la gestion personnalisée et
catastrophique des ambitions et des positionnements au niveau de
l’opposition ; le tout étant attisé par des pratiques éhontées et
récurrentes de débauchage systématique des acteurs de l’opposition au
moyen notamment de la corruption.
L’histoire
politique de la RDC renseigne que le désordre de l’opposition se fait,
tantôt sur fond de clivages et de sectarismes claniques, tribaux ou
régionaux ignorant les enjeux nationaux ; tantôt sur la base d’une
culture politique misant sur des hommes-seul, des hommes-fort ou des
hommes-lige, gourous de la pensée politique unique.
Cette
conception d’une opposition structurée autour d’un pôle monolithique,
campant de préférence dans le radicalisme à l’autre extrémité de
l’action politique, a comme conséquence la marginalisation, le rejet,
voire la diabolisation de tout agent ou parti politique qui se
réclamerait de l’opposition dans une posture de divergence. De sorte
que, l’opposition en RDC a systématiquement et régulièrement joué contre
le pluralisme démocratique, contre la saine diversité des opinions, et
donc finalement contre elle-même. Elle a œuvré contre l’alternance
démocratique au profit d’un pouvoir et d’une gouvernance monolithique,
autoritaire et dictatoriale.
Notre
histoire enseigne aussi que l’opposition radicale autant que
l’opposition timorée ou de façade produisent au bout du compte les mêmes
conséquences conflagratoires. Ainsi, même la majorité au pouvoir n’a
aucun intérêt à entretenir ce genre d’opposition.
Face à tous ces handicaps, l’espoir est-il permis de construire une opposition républicaine et responsable ?
Je crois
pouvoir répondre par l’affirmative à cette question. Les échecs du
passé, leur poids sur la situation générale du pays ne peuvent que
pousser vers un sursaut salutaire de notre classe politique. Les atouts
juridiques exposés ci-dessus sont à notre portée. Il faut s’en saisir et
les mettre en œuvre. L’opposition en RDC n’a de l’avenir que si elle
s’inscrit dans ce cadre constitutionnel et légal.
L’enjeu
n’est pas seulement de se choisir un porte-parole qui saura donner corps
à un leadership collectif alternatif, mais aussi de se doter d’une
organisation qui permette aux membres les plus influents ou les plus
écoutés de l’opposition de suivre tous les secteurs et dossiers de
l’action gouvernementale pour apporter aux gouvernants les critiques et
contre-propositions qui s’imposent et ainsi fédérer la majorité de
l’électorat aux visions et projets de l’opposition, de façon à gagner
les prochaines échéances électorales, à savoir celles des élections
provinciales et locales, puis celles de la désignation des membres du
Sénat, qui devraient être couplées avec les élections urbaines et
municipales. Ces échéances devraient être pour l’opposition un test
important de sa capacité à préparer
l’alternance. Il s’agir d’éviter que toutes les deux chambres du
Parlement ainsi que toutes les provinces et villes importantes du pays
ne tombent sous le contrôle unique de la majorité au gouvernement. Il
s’agit également de jauger, à partir des élections locales l’adhésion
des électeurs de base aux projets de l’opposition.
L’enjeu,
c’est aussi d’œuvrer en vue de la mise en place d’une Cour
constitutionnelle qui serait garante de la régularité des élections ;
d’une CENI restructurée de façon à y intégrer des représentants de la
société civile et à renforcer sa structure par une assemblée plénière ;
d’un CSAC qui se choisirait librement son bureau et fonctionnerait
conformément à la loi ; etc.
Enfin,
chacun doit comprendre qu’il est possible d’arriver à cet objectif
malgré le nombre des députés de l’opposition. Car, comme l’écrit
Monsieur Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP en France,
« (même) un (seul) député, c’est important ». Une minorité de grande
qualité est, dans bien de cas, plus performante qu’une majorité de
qualité mineure. Rappelons-nous les 13 parlementaires qui ont, à eux
tout seuls, donner du fil à retordre au Maréchal Mobutu jusqu’à ébranler
définitivement son régime. Là où 13 parlementaires se sont montrés
particulièrement virulents, pourquoi dix fois plus de députés ne
réussiraient-ils pas ! De même, l’exemple de l’opposante historique
birmane, Madame Aung San Suu Kyi nous conforte dans cette voie. Voilà
une opposante qui gagne 44
sièges sur les 48 mis en jeu et qui accepte de prendre part à un
parlement comprenant 800 députés. L’objectif pour elle étant de faire
entendre les cris de détresse du peuple, elle a choisi de le faire à
partir de la tribune des représentants en dehors de laquelle sa voix
serait vite étouffée. Je pense que ce cas n’est pas très éloigné de la
situation actuelle de l’opposition en RDC.
C’est
cela que j’appelle faire les choses autrement, pour ne pas dire « un
autre Congo est possible ». Ce n’est pas parce que l’opposition a perdue
la bataille de la présidentielle et des législatives dans les
conditions qui ne méritent pas d’être rappelées ici, qu’elle doit se
laisser aller et concéder sur un plateau d’argent à la majorité les
autres échéances électorales qui restent et qui sont aussi déterminantes
pour notre démocratie. Le changement, comme le disait le Président
français François Hollande, c’est maintenant ; aussi chacun de nous doit
s’engager dans cet esprit dans les batailles politiques à venir.
Je reste
convaincu que, bien organisée et structurée, animée par un Porte-parole
exerçant un leadership responsable et une équipe de personnalités ayant
une visibilité certaine au sein de l’opposition dans sa diversité,
celle-ci sera véritablement une instance institutionnelle qui apportera
une saine contradiction au gouvernement, au moyen de critiques
constructives et de contre-propositions positives, dans le respect des
valeurs et des principes républicains et démocratiques.
En
d’autres termes, le Porte-parole devrait travailler en synergie avec les
leaders de l’opposition qui ont un rayonnement certain dans leurs
partis politiques et dans le pays. Ils seront à la tête des
départements, regroupant différentes matières : sociales (santé,
éducation, travail, culture, transport), politiques, économiques et
financières, sécuritaires et défense nationale, infrastructurelles,
judiciaires, protections des droits humains, réformes institutionnelles,
exploitation des ressources (mines, hydrocarbures, eaux, électricité),
tourisme, protection et préservation de la nature, écoute citoyenne,
coopération et affaires étrangères, etc.
L’équipe devra naturellement intégrer des femmes et des jeunes auxquels des charges de responsabilité seraient confiées. Il est temps
que l’exemple du Sénégal interpelle la classe politique congolaise
quant à la place que les femmes et les jeunes peuvent assumer dans les
charges publiques aux niveaux les plus élevés.
Cette
équipe disposera de toutes les informations et données de la vie
nationale de façon à décortiquer utilement le programme du gouvernement,
à surveiller et évaluer régulièrement les actions du gouvernement et à y
apporter des contre-propositions républicaines et responsables,
conformes aux vision et projets de l’opposition ainsi qu’aux ambitions
et atouts de développement de la RDC, pour sa propre prospérité et pour
celle de la sous-région.
Cette
structure aura la responsabilité d’aborder et de débattre sans
complaisance de toutes les questions d’intérêt national. C’est dans ce
sens que j’invite d’ores et déjà l’opposition à tenir une grande
assemblée pour analyser et donner son point de vue sur la situation
préoccupante et instable à l’Est de la République ainsi que sur d’autres
questions telles que l’organisation des élections locales, socle de la
décentralisation à la base.
Ainsi, la
désignation du Porte-parole de l’opposition et de toute son équipe,
autant que l’organisation et le fonctionnement de cette instance
apparaissent, dans les circonstances du moment, comme l’ultime
opportunité pour que survive la démocratie en RDC. Tout doit donc être
mise en œuvre pour ce deal et cet enjeu. Il s’agit de ne pas rater cette
seule chance qui s’offre à la République. C’est pourquoi, toutes les
forces républicaines et démocratiques, acteurs politiques et de la
société civile, avec l’appui et l’accompagnement du peuple congolais et
de la Communauté internationale, devraient s’impliquer dans cette
démarche. Et pour être réellement fédérateur de toutes les
énergies, de toutes les forces, de toutes les intelligences, dont
regorge la classe politique de l’Opposition et les forces
vives de notre pays comme à l’extérieur, je plaide pour que la
désignation du Porte-Parole se fasse par consensus, même
si par ailleurs, la Constitution prévoit qu’à défaut du consensus,
celle-ci se fasse à l’issue d’un scrutin à deux tours.
Et pour que ce consensus soit obtenu, nous
devons, dans l’humilité et dans l’amour de l’autre, et uniquement mu
par la volonté d’être au service de notre peuple, nous parler. Nous
devons dialoguer, nous devons engager des concertations sincères en vue
de nous donner des garanties et de nous faire des concessions mutuelles.
Ce n’est pas un challenge où il y a d’un côté un vainqueur et de
l’autre un vaincu. C’est plutôt une occasion donnée aux différents
leaders de l’Opposition de communier à la même chapelle
pour que, en toute responsabilité, ils consacrent l’un d’entre eux,
capable de mettre l’église au milieu du village et de conduire le navire
de l’Opposition à bon port.
Il faut
cependant rester vigilant et se mettre à l’abri des manipulations de
tous ordres dans la désignation du Porte-parole. Il faut éviter que
l’histoire du blocage de la machine évoquée ci-avant à propos de
Monsieur Bemba comme Porte-parole de l’opposition ne se répète et que,
comme sous la législature passée, le jeu démocratique et le
fonctionnement efficace des institutions ne s’en trouvent grippés.
Il
importe que cette désignation tienne compte du suffrage universel direct
et des résultats de la présidentielle, dans la mesure où ces derniers
s’imposent, dans le contexte actuel, pour remettre le pays en mouvement.
Sauf désistement des personnalités concernées, l’ordre de classement
dans ces résultats sera un moyen objectif de désignation du
Porte-parole. Il faut cependant que celui-ci soit une personnalité
non-conflictuelle, susceptible de rassembler l’opposition dans son
pluralisme, connaissant les affaires publiques et les dossiers de
l’Etat, capable de vision et de projets alternatifs pour le pays.
Rassembler c’est-à-dire bannir les exclusions, diabolisations au sein de
l’opposition ; et mettre côte à côte l’opposition parlementaire et
extra-parlementaire ainsi que les forces vives de la société civile
acquises au changement.
Je
voudrais ici, sur ce point, m’adresser à la majorité au pouvoir pour
l’inviter à comprendre que l’existence d’une opposition républicaine et
responsable est aussi le gage de la réussite de l’action
gouvernementale. De la même façon, le souci d’une opposition
républicaine et responsable n’est pas d’exercer l’alternance en héritant
d’un pays qui se sera davantage enfoncé dans la misère et le désordre.
Nous
sommes prêts, dans l’opposition, à prendre notre part dans la
stabilisation de la situation générale du pays en apportant au
gouvernement notre contribution rigoureuse, critique et constructive. Il
n’est donc pas positif de la part de la majorité de continuer à croire
que pour mieux réussir dans son programme, l’opposition doit être sous
contrôle ou noyautée. Cette attitude ne peut qu’amener le désordre dans
le pays, distraire le premier ministre, chef du gouvernement dans des
futilités.
Il
importe également de relever que, le jeu et la culture démocratiques ne
font pas du Président de la République, chef de la majorité, étant donné
qu’en sa qualité de magistrat suprême et garant du fonctionnement
régulier des institutions, il se doit d’être au-dessus de la mêlée et
qu’il n’est pas, constitutionnellement, responsable devant le Parlement.
C’est le premier ministre, chef du gouvernement, responsable de la
conduite des affaires de l’Etat devant le Parlement qui est en réalité
le chef de la majorité. C’est donc lui qui est l’interface du
Porte-parole de l’opposition et non le Président de la République. Si
chacun des acteurs politiques, de la majorité et de l’opposition,
s’imprègne de cette logique de nos institutions, alors on aura donné une
chance à la République et à la démocratie en
instituant une opposition prête à participer au bon fonctionnement de
la gouvernance.
Que conclure ?
Au regard de tout ce qui précède, que conclure ? Y a-t-il un avenir pour l’opposition en RDC ?
Je me
demande si la question est bien posée. Car, l’avenir de l’opposition en
démocratie n’est certainement pas de demeurer dans cette position. Il
est dans l’exercice du pouvoir. Autrement, on fait de l’opposition pour
l’opposition ; de l’opposition pour la protestation et non pour
conquérir le pouvoir et assumer les responsabilités de gouvernement en
vue de mettre en œuvre une vision, des propositions et des actions
alternatives.
Ainsi, si
l’avenir de l’opposition est de gouverner, la question qui mérite
d’être posée est de savoir est-ce qu’elle a des atouts pour accéder au
pouvoir ? Est-ce qu’elle se prépare en conséquence pour ne pas verser
dans des atermoiements au moment effectivement de gouverner ? A-t-elle
des femmes, des jeunes et des hommes pour gouverner ? A-t-elle réfléchi
sur les premières mesures, décisions ou actions à prendre ? Finalement,
quelle est sa stratégie pour assumer l’alternance ? Peut-on envisager
l’avenir d’une opposition « infiltrée » et accessible à des
manipulations endogènes et exogènes de tout genre ? Une
opposition dont les membres se détestent majestueusement aux moments les
plus déterminants de l’action politique, et qui affichent une
solidarité
de façade quand il n’y a aucun enjeu politique en perspective ?
L’avenir
de l’opposition dépend de bien de facteurs. D’abord des députés et
sénateurs de l’opposition eux-mêmes qui doivent se rappeler à tout
moment qu’ils sont les représentants du peuple et que leur mandat est
national et non impératif. Ils doivent absolument repousser cette tare,
décriée sous la législature passée, où l’on a assisté à des
distributions d’argent pour adopter des mesures et des lois qui allaient
à l’encontre de l’intérêt général. C’est ainsi par exemple que, contre
leur propre conscience, dans une session extraordinaire, et ce endéans
48 heures, les parlementaires ont révisé la Constitution de la
République que le peuple souverain avait adopté au référendum, dont la
campagne a duré une année. D’après certains observateurs, toutes les
complications post-électorales que nous
avons connues proviennent de la modification constitutionnelle du mode
de scrutin. Ainsi, à certains égards, sans être parfaite, les élections de 2006 avec le scrutin à deux tours étaient meilleures que celles de 2012.
L’avenir
de l’opposition dépend aussi du comportement de la majorité au pouvoir
et du climat de sécurité juridique qu’offre un Etat de droit.
S’agissant
du comportement de la majorité, il convient ici de noter que, alors que
notre démocratie parlementaire avait connu des avancées significatives
en 2006 du fait notamment que la Commission PAJ a été confiée à
l’opposition, aujourd’hui on a fait machine arrière. A la suite d’âpres
discussions et conciliabules, la majorité a refusé non seulement de
confirmer cet acquis, mais aussi a écarté l’opposition de la grande
Commission de contrôle parlementaire. Bien d’observateurs se demandent
quel est l’objectif de cette démarche ? Certains disent que ceci laisse
planer un doute sur la volonté du pouvoir d’opérer d’autres
modifications importantes de la Constitution. Ce qui serait
catastrophique et une estocade pour la démocratie. S’agissant
de l’ECOFIN, d’aucuns pensent que la
majorité voudrait par là manifester son refus de voir le gouvernement
contrôlé. De sorte qu’on ne pourra jamais sanctionner dans ce pays des
ministres et autres mandataires publics indélicats qui confondent la
caisse de l’Etat à leurs propres poches.
De ce
point de vue, le rôle de la justice est particulièrement déterminant.
Mais, que dire de notre système judiciaire actuel où la Cour suprême de
justice s’érige en CENI pour attribuer, comme dans le cas de PUNIA, des
sièges alors que la CENI elle-même affirme qu’elle ne dispose pas des
résultats de cette circonscription. La CSJ a en quelque sorte organisé à
son niveau les élections en retirant à certains élus leur siège pour
les conférer à d’autres. Certains députés ont même été surpris de voir
leur cas examinés, alors qu’ils n’avaient été ni convoqués, ni entendus.
Que dire enfin de la violation par cette haute juridiction de sa propre
circulaire dans le cas de la requête en annulation que je lui avais
soumise pour contester les résultats de l’élection présidentielle !
Ces
questionnements et ces considérations, l’opposition devrait pouvoir les
prendre en charge pour faire son autocritique et son auto-évaluation de
façon à se positionner utilement par rapport à son avenir. Il s’agit, de
mon point de vue, d’un exercice d’intérêt national majeur car l’avenir
de notre démocratie, son développement ou sa dégradation en dépendent.
Bien plus, le destin de notre peuple en est tributaire.
Chacun
doit comprendre que le secret et la force de l’opposition demeurent dans
le rassemblement et non dans les querelles personnelles. L’opposition,
comme d’ailleurs la majorité, en somme toute la classe politique
congolaise, doit se guérir d’un mal profond et récurrent : son
nombrilisme qui fait systématiquement éclipser l’intérêt collectif au
profit des intérêts personnels et individuels. Nombrilisme qui lui fait
oublier que la politique, au gouvernement comme dans l’opposition, est
« service » au profit du citoyen et de la communauté nationale.
Nombrilisme qui explique que, depuis 1960, les politiciens congolais se
battent pour le partage équitable et équilibré du pouvoir, mettent en
avant leurs propres agendas au lieu d’être la voix des sans-voix. Il
faut dire que cette tare se retrouve dans
l’opposition comme dans la majorité. Ceux qui échouent dans ce jeu de
partage, basculent dans l’opposition ou entrent dans le maquis en
prenant des armes contre la République.
L’opposition
porte ainsi une grande responsabilité pour sortir la RDC de la zone de
misère. Il est scandaleux et honteux qu’un pays aux potentialités
énormes comme la RDC apparaisse à bien d’égards comme le dernier de la
planète. Que faisons-nous de notre faune si riche et diversifiée,
propice au développement de l’industrie touristique ? Que faisons-nous
de nos abondantes ressources naturelles ( 2ième Forêt
tropicale après le Brésil, soit 280 millions d’ha ; 53 % de toutes les
eaux douces d’Afrique ; 120 millions d’ha de terres arables ; un
potentiel en énergie propre non polluante et renouvelable de 100 mille
mégawatts, dont 44000 pour Inga, capable de fournir l’énergie électrique
sur l’ensemble de l’Afrique et l’Europe méditerranéenne ; plus de 110
substances
minérales) ? Pourquoi préférons-nous « l’enfer de la pauvreté » alors
qu’il nous a été donné un pays merveilleux, un scandale géologique
valant au moins 24.000 milliards de dollars, il ne s’agit que de 10
types des minerais sélectionnés, soit la somme des PIB des Etats-Unis et
de tous les pays de l’Union Européenne. C’est plus que le potentiel
pétrolier de la très riche Arabie Saoudite qui ne dépasse pas 18.000
milliards de dollars. Aujourd’hui, le paradoxe congolais fait que nous
vivions « l’enfer au paradis ». C’est inacceptable ! Nous devons nous
lever et changer cet état de choses. C’est possible ! Avec ce potentiel,
la RDC, bien gérée et bien gouvernée, peut accéder en l’espace de 5 ans
dans le cercle des pays émergents, et à l’horizon 2030 dans le club des
pays développés. Et son développement aura un effet d’entraînement
profitable à l’ensemble de la
sous-région et du continent, voire au-delà en Europe méditerranéenne et
chez nos voisins de la transtlantique.
Qu’est-ce
qui nous manque ? La réponse est évidente : un leadership responsable.
Si l’opposition peut assumer ce leadership, s’y prépare utilement dans
le cadre d’un programme commun bien réfléchi et en associant toutes les
ressources humaines dans le pays et de la diaspora, en particulier les
femmes et les jeunes, alors elle fera que le rêve et la foi dans un
autre Congo, stable, prospère et puissant, deviendront une réalité … ;
un Congo où l’Etat de droit serait la mesure de tout.
C’est sur
cet appel à la responsabilité de l’opposition et cette note d’espoir
pour la République et pour notre Démocratie que je voudrais terminer cet
exposé en remerciant une fois de plus les organisateurs de ce séminaire
pour m’avoir associé aux réflexions sur l’opposition et le processus
démocratique en RDC.
Je vous remercie.
Fait à Kinshasa, le 24 mai 2012
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