Message de la 53ème Assemblée Plénière des Evêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo
Préambule
1. Réunis en Assemblée Plénière
ordinaire à Kinshasa, du 20 au 24 juin 2016,
Nous, Cardinal, Archevêques et
Evêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), avons saisi
cette occasion pour réfléchir sur la situation critique que traverse notre pays,
suite au blocage du processus électoral. Cette situation inquiétante qui risque
de plonger le pays dans le chaos, interpelle tous les congolais et congolaises,
et engage en premier lieu, la
responsabilité des acteurs politiques. Solidaires du destin de notre peuple et
préoccupés par la tournure des événements, nous avons, dans la prière, tourné
nos regards vers le Seigneur, Maître des temps et de l’histoire, pour lui
confier notre pays. Mus par cette foi en Dieu, nous adressons cette exhortation à tous les fils
et filles de la RD Congo pour un sursaut patriotique en vue de sauver la Nation
en danger !
2 Nous rendons grâce au Seigneur
pour tous les pas déjà franchis par notre pays dans le processus de la démocratisation
qui doit se consolider et se poursuivre. En tant que pasteurs, notre rôle n’est
pas de promouvoir une quelconque idéologie ni de parrainer politiquement des
individus ou des groupes pour l’accès ou le maintien au pouvoir. Notre rôle est
d’accompagner les acteurs politiques, de toutes tendances, à s’acquitter
consciencieusement de leur mission d’être au service du bien commun.
3. Nous remercions tous ceux qui
ont pris l’initiative de nous partager leurs préoccupations et leurs attentes,
ainsi que ceux qui ont répondu à notre invitation pour échanger sur la crise
que traverse notre pays. Cela témoigne du capital de confiance placé en
l’Eglise catholique, et en même temps
nous interpelle comme pasteurs.
Visage de la crise
4. La crise actuelle ne
résulte-t-elle pas du blocage du processus électoral ? En effet, alors que les échéances électorales
prévues par la Constitution sont imminentes, on constate un retard accablant
dans l’organisation des scrutins. Le
peuple congolais s’interroge : ce retard serait-il dû à un déficit de bonne
gouvernance, à un cas de force majeure, ou à un manque de volonté politique
délibéré ? Le dialogue, voie royale en démocratie pour résoudre les problèmes, semble
lui aussi être dans l’impasse. Depuis
son annonce par le Président de la République et la nomination du facilitateur,
les acteurs politiques congolais peinent à s’accorder pour baliser de manière
consensuelle le chemin d’un processus électoral crédible et apaisé.
5. En outre, la réduction sensible
de l’espace démocratique, la multiplication inquiétante de violations des
droits humains, les massacres ignobles et l’insécurité croissante dans la
région Est du pays, la dépréciation de la monnaie nationale face aux devises
étrangères, le dédoublement des partis politiques, ne sont pas de nature à apaiser
les esprits. En même temps, la souffrance de la population ne fait qu’empirer.
Le peuple se voit sacrifié sur l’autel des intérêts des politiciens.
Pistes de solutions
6. Que devons-nous faire pour
sortir de la crise actuelle ? En
tant que pasteurs d’âmes, nous n’avons pas la prétention d’apporter une
solution technique et politique au problème. Cependant, réconfortés dans notre
ministère pastoral à être des veilleurs, « des hommes d’espérance pour
notre peuple » et à apporter notre contribution pour l’avenir heureux de
notre nation, nous voulons rappeler à notre Peuple et à nos Gouvernants des exigences fondamentales qui
doivent être honorées, afin de parvenir à une sortie de crise susceptible de
relancer le processus électoral dans un climat apaisé.
1° Respecter la Constitution
7. Il nous faut impérativement
revenir au respect de la Constitution, socle de notre Nation qui, dans ses
articles verrouillés, a coulé les options fondamentales concernant notamment le
nombre et la durée des mandats du Président de la République. Tirant les leçons
des expériences politiques malheureuses de la Première et de la Deuxième
République, ces options fondamentales préservent la cohésion nationale et donnent à
notre pays toutes les chances de se construire sur des bases solides. Elles
s’imposent à tous. Aussi, appelons-nous nos dirigeants au sens de la responsabilité
républicaine et patriotique en vue d’accepter l’alternance au pouvoir comme
fondement d’une vie démocratique. Vouloir agir autrement, c’est non seulement aggraver la crise
actuelle mais plus encore marcher contre
la volonté du Peuple, souverain primaire qui a fait son choix : ce serait
donc une haute trahison à la Nation (Cf. Art. 220).
2° Aller au dialogue
8. A l’heure actuelle, le
dialogue politique des forces vives de la Nation dans le respect des
fondamentaux de la Constitution, choix du Peuple, s’avère la voie
incontournable pour éviter le chaos. Aussi, exhortons-nous les acteurs
politiques à mettre fin aux manœuvres dilatoires et à se mettre autour d’une
table avec le Facilitateur nommé pour se parler en face, en vue de dégager un
consensus pour l’organisation des élections libres, démocratiques et
transparentes dans le respect de la Constitution. La responsabilité des acteurs
politiques de toutes tendances est engagée. Ils en répondront devant
l’histoire, si, à cause de leurs intérêts partisans, ils sacrifient la paix de
la Nation.
3° Répondre au cri de détresse du
Peuple
9. La crise qui déchire les
politiciens a des répercussions néfastes sur le vécu quotidien des citoyens
congolais. La situation socio-économique et sécuritaire des populations se
dégrade et personne ne semble considérer sa détresse comme une priorité. Les besoins
sociaux de base, notamment la santé, l’éducation, l’eau, l’électricité ne sont pas assurés convenablement. Les salaires, déjà
modiques, ne sont plus réguliers. Pendant que des conflits sociaux agitent la
fonction publique, le budget national
est revu à la baisse. Le Peuple lance un cri de détresse à ses Gouvernants. Nous
n’ignorons pas les répercussions, pour notre pays, de la crise actuelle due à
la chute des cours de matières premières. Mais la crise actuelle ne pourra être
résolue si l’on reste sourd au cri de détresse du Peuple.
4° Garantir le respect des droits
humains
10. La situation actuelle est
exacerbée par la montée des violations des libertés et le mépris des droits
humains les plus élémentaires, les arrestations
arbitraires et les jugements hâtifs ainsi que la réduction de l’espace
médiatique. De telles pratiques compromettent la démocratisation effective de
notre pays. Il est temps de promouvoir les valeurs démocratiques dans la
gestion de l’Etat et de restaurer un Etat de droit en République Démocratique
du Congo. C’est une exigence de la paix sociale et de la confiance mutuelle
indispensables pour un dialogue sincère.
11. En rappelant ces exigences,
nous sommes convaincus que notre avenir commun n’est pas voué à la fatalité de
la violence ni de l’affrontement meurtrier. L’espérance chrétienne est un
antidote à toute fatalité. Elle nous apprend que Dieu est à l’œuvre dans notre
monde meurtri. Elle nous apprend aussi que dans ce monde, des hommes et des
femmes de bonne volonté sont à l’œuvre pour entreprendre des actions
convergentes de justice et de paix. Nous lançons un appel pressant à l’endroit
des acteurs politiques congolais ainsi que de ceux de la société civile, à se
mettre du côté de ces hommes et femmes de bonne volonté pour privilégier
l’intérêt supérieur de la Nation et s’engager résolument à trouver une issue
heureuse à la crise actuelle.
Recommandations
12. Forts de cet appel, nous
recommandons :
Au Gouvernement de la République
de garantir le respect de
l’éthique et des règles démocratiques dans la gestion de l’Etat ;
d’assurer aux parties prenantes
au processus électoral un environnement
serein et harmonieux ;
de redoubler d’efforts dans la
mobilisation des ressources matérielles et financières afin de garantir la
tenue, dans les délais constitutionnels des élections ;
de mettre fin à toute répression
et actes d’intimidation contre ceux qui expriment une opinion contraire ou
différente.
Aux acteurs politiques congolais
de cesser de se servir du peuple
pour l’inciter à la haine et à la violence, au tribalisme et au rejet des
compatriotes considérés comme non originaires ;
de débattre publiquement et
sérieusement des priorités et des valeurs sur lesquelles ils entendent bâtir
l’avenir de notre pays ;
de dépersonnaliser le débat sur
la Constitution et de rechercher de manière consensuelle le chemin d’un
processus électoral crédible et apaisé ;
de refuser les positions extrémistes
dans leur discours comme dans leur comportement et de faire des concessions nécessaires
en vue de donner une chance à un dialogue national sincère et prometteur d’un
avenir meilleur pour tout le peuple.
A la CENI
d’entreprendre sans délai la
préparation des prochains scrutins en privilégiant les opérations techniquement
et financièrement les plus appropriées pour
que nous puissions respecter les normes de la Constitution ;
de jouer en toute indépendance
son rôle d’Institution d’accompagnement de la démocratie en évitant d’être à la
solde d’une quelconque tendance politique.
A la Communauté Internationale
d’intensifier ses engagements en
appuyant avec des moyens financiers et logistiques conséquents le processus
électoral en cours en République Démocratique du Congo ;
d’appuyer davantage le Facilitateur
nommé par l’Union africaine et d’autres initiatives susceptibles de favoriser
dans un bref délai la tenue du dialogue entre congolais ;
d’accompagner les organisations
de la Société civile dans leur combat pour le respect des droits humains et
dans la formation civique des populations.
A la jeunesse
de ne pas se laisser
instrumentaliser, ni manipuler par les acteurs politiques de quelque tendance
que se soit ;
de refuser toute forme de
violence.
Au peuple Congolais
de se mettre debout et de faire
preuve de vigilance et de maturité pour s’opposer par tous les moyens légaux et
pacifiques à toute tentative de mettre à mal l’alternance au pouvoir ;
de participer activement à la
campagne d’éducation civique et électorale.
Conclusion
13. Pour notre part, nous
organiserons des moments de prière pour un processus électoral apaisé dans tous
les diocèses de notre pays et veillerons à sauvegarder la liberté et la
neutralité de l’Eglise contre toute forme de récupération. En outre, fidèles à
notre mission, nous entendons prendre des initiatives pour susciter une plus
grande conscience citoyenne afin d’obtenir, dans le respect de la Constitution,
un consensus politique pour des élections libres et démocratiques en République
Démocratique du Congo.
14. A ce sujet, nous avons lancé
la campagne d’Education Civique et Electorale qui consiste à susciter la
réflexion des citoyennes et citoyens sur leur engagement actif, non-violent,
responsable et généreux, pour améliorer la situation du pays et le développer. Cette
campagne devra contribuer à former la conscience du peuple pour qu’il contribue
à édifier un Etat de droit et qu’il s’implique dans le processus politique en
cours avec une conscience chrétienne bien avisée.
15. Au regard du dialogue qui
tarde à se concrétiser, nous proposons
notre sollicitude pastorale, en appui au facilitateur nommé, pour favoriser le
rapprochement entre acteurs politiques congolais et obtenir ainsi la tenue de
ce dialogue attendu.
16. Nous confions la réussite du
processus électoral et l’avenir de notre pays à l’intercession de la Vierge
Marie, Mère de Dieu, Reine de la paix. Nous prions pour que Dieu prenne en
grâce notre peuple et bénisse notre beau pays !
Fait à Kinshasa, le 24 juin 2016
En la Solennité de la Nativité de
Saint Jean-Baptiste
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