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lundi 4 mars 2013

Mémorandum du Comité permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo au Président de la République sur l’état actuel de la Nation

Préambule
Excellence Monsieur le Président de la République,
Dans votre discours du 15 décembre 2012 sur l’état de la Nation, vous avez annoncé une initiative noble et louable en vue de renforcer la cohésion nationale. Nous, Archevêques et Evêques, membres du Comité permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), réunis en session ordinaire à Kinshasa du 18 au 22 février 2013, saisissons cette occasion pour joindre notre voix à celle d’autres Congolais en vue d’apporter la contribution de l’Eglise catholique pour sa concrétisation.
Votre promesse a suscité plusieurs attentes au sein de toutes les couches de la population congolaise en général et de la classe politique en particulier. L’idée d’un dialogue a émergé et elle est accueillie par d’aucuns comme voie de sortie de la crise qui secoue notre pays depuis la publication des résultats des élections de novembre 2011. Cette crise s’est aggravée à travers les violences dans l’Est de notre pays. Ces violences ont conduit à des situations tragiques liées à la prise et à l’occupation de la ville de Goma par le M23.
Nous estimons, comme déjà affirmé dans nos précédents messages et déclarations, que le dialogue est une voie royale et pacifique de sortie de crise. Il est un élément constitutif de tout système démocratique. Dans le contexte actuel de crise, il convient de bien l’appréhender pour qu’il contribue effectivement à la solution des problèmes qui entravent la bonne marche de notre pays.
Les signes de cette crise sont multiples. Nous en épinglons les plus saillants qui nous préoccupent le plus  et aggravent les frustrations de la population congolaise.
 
I. Nos préoccupations
Au plan politique

Nous reconnaissons et apprécions à leur juste valeur la volonté et les efforts déployés par le Gouvernement de la République en vue de démocratiser le pays. Nous relevons cependant, un malaise lié au manque de consensus national au lendemain des élections de novembre 2011, dû aux irrégularités dénoncées, aux contestations des résultats et à la manière expéditive dont la Justice s’est employée à résoudre les contentieux électoraux. Jusqu’à ce jour, le processus électoral demeure inachevé. Les élections locales qui devraient aider à construire la démocratie à la base et à rapprocher ainsi le peuple de ses gouvernants sont de nouveau hypothéquées. La responsabilité du pouvoir organisateur est lourdement engagée. La décentralisation prescrite dans la Constitution tarde à se concrétiser.
De nombreux partis politiques, facilement agréés, évoluent sans projet de société fiable, car ce qui semble les intéresser, c’est la conquête du pouvoir pour le pouvoir. Ceci constitue une entrave sérieuse à notre jeune démocratie.
Certaines organisations de la Société civile, au lieu de remplir leur mission de défendre les intérêts du peuple, se laissent récupérer par les partis politiques pour des ambitions politiques et des profits matériels.
Au plan socio-économique
Nous constatons des efforts réels pour la maîtrise de l’inflation et la stabilisation du cadre macro-économique. Mais, la création des industries de transformation de nos matières premières fait défaut et l’investissement dans le domaine agricole n’est pas encore à la hauteur des besoins du pays. Par conséquent, le degré de pauvreté de notre population a atteint des proportions qui nous inquiètent et nous préoccupent comme Pasteurs. Pendant ce temps, nous continuons d’assister à une économie prédatrice et extravertie.
L’élaboration d’une politique nationale de gestion des ressources naturelles pour le bien-être du peuple congolais et le développement du pays, ainsi que la connaissance de la valeur précise de ces ressources, demeurent une préoccupation permanente. Cela donne l’impression que le pays navigue à vue, sans repères pour une gestion durable de ses richesses. Ceci l’expose à toute forme de pressions des multinationales et de certaines puissances avides d’accéder aux ressources minières, pétrolières ainsi que forestières et de les contrôler.
En même temps, la mise en œuvre du plan de développement des infrastructures peine à se concrétiser. Des populations ont le sentiment d’être abandonnées par l’Etat, surtout dans les zones frontalières où la tentation de céder aux cris des sirènes qui promettent la libération, est considérable.
Les besoins de base, notamment l’alimentation, la santé, le logement et l’éducation ne sont pas suffisamment pris en compte par le programme du Gouvernement.
La rétrocession et la péréquation qui devraient garantir le développement des provinces et la solidarité nationale ne sont pas respectées. Cela ne fait qu’aggraver les frustrations dans les provinces.
Au plan sécuritaire
Il y a plus de dix ans que le Gouvernement travaille à mettre sur pied une armée républicaine. Des avancées sont perceptibles mais des efforts doivent être poursuivis pour atteindre les résultats escomptés. Car, avec une armée forte et dissuasive l’on neutraliserait les groupes armés qui prolifèrent et sèment la mort et le désarroi, surtout en des endroits économiquement dotés des richesses naturelles. La présence de ces groupes armés dans des zones d’exploitation des ressources naturelles déstabilise et insécurise la population riveraine. Tous les conflits se déroulent dans les couloirs économiques et autour des puits miniers.
Le souci de moderniser notre Police nationale est réel. Mais il convient de renforcer sa formation et son équipement pour lui permettre de lutter plus efficacement contre la violence urbaine
La Justice, l’un des piliers d’un Etat de droit, ne rassure pas le peuple en RD Congo faute d’indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs. De nombreux observateurs avertis notent que le système judiciaire congolais est marqué par une corruption éhontée et l’impunité. Alors que la Constitution prévoit l’éclatement de l’actuelle Cour Suprême de Justice en trois juridictions (Cour constitutionnelle, Cour de cassation et Conseil d’Etat), aucune de ces juridictions n’est encore installée.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Ces préoccupations majeures sont à la base de la fragilisation de la cohésion nationale, du retard dans la consolidation de la démocratie et du développement tant attendus par tous les Congolais.
 
II. Nos propositions
Malgré ces signes de crise, nous restons persuadés qu’un lendemain meilleur est toujours possible et à la portée de la RD Congo. Cet espoir ne deviendra réalité que par l’engagement sincère de tous et de chaque Congolais dans l’édification de notre pays. Toutes les forces vives de la Nation appelées au dialogue, ont à apporter leur concours dans la construction d’un Congo réellement démocratique. Mais, elles doivent s’engager sincèrement, de prime abord, dans le respect de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale et de l’ordre constitutionnel.
Dans le domaine politique
Le respect de l’ordre constitutionnel doit être observé par tous. C’est le gage de la cohésion et de l’unité nationales. La CENCO est fermement opposée à toute tentative de modification de l’article 220, article verrouillé dans notre Constitution qui stipule : « La forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». A cet effet, nous nous engageons à sensibiliser la population congolaise pour qu’elle comprenne l’importance de cet article pour la stabilité du pays.
La cohésion nationale doit être fondée sur les valeurs républicaines, notamment l’amour de la patrie, la justice, la paix et le travail qui doivent être partagées et défendues par tous les Congolais. C’est pour cette raison que l’esprit de division et d’ethnicisation des problèmes sociopolitiques ne rime pas avec ces valeurs.
Que le Gouvernement nomme à des responsabilités dans la gestion de la chose publique des personnes capables et honnêtes. Car, il n’est pas acceptable que ceux qui exercent les pouvoirs publics se plaignent avec le peuple de ce qui ne va pas dans leur juridiction. Qu’ils prennent au contraire leurs responsabilités, qu’ils punissent les coupables et qu’ils récompensent les bons et loyaux citoyens.
Il faut également souligner que le renforcement de l’autorité de l’Etat est encore à promouvoir de manière à rassurer toute la population congolaise et à la sécuriser. Car, l’Etat n’est pas un concept creux. Il implique tout un ensemble de droits et d’obligations vis-à-vis du peuple. De son côté, le peuple, tout en exigeant le respect de ses droits, est dans l’obligation de reconnaître et de remplir ses propres devoirs vis-à-vis de l’Etat.
Le processus de décentralisation doit se poursuivre. Cependant, il doit être bien planifié, profondément étudié pour ne pas servir de prétexte à la balkanisation et à des velléités sécessionnistes. A cet effet, les textes juridiques prévus par la Loi fondamentale appellent des précautions nécessaires pour éviter tous ces pièges et la mise sur pied des structures inefficaces, improductives et inutilement coûteuses.
La loi révisée de la CENI ne donne pas de garanties suffisantes de son indépendance et de son impartialité. Il renferme des germes de conflictualité dans le fonctionnement du bureau de la CENI. Il importe de dépolitiser cette instance pour crédibiliser les futures élections dans notre pays.
Dans le domaine socio-économique
L’avenir harmonieux de notre pays exige une économie de développement au grand profit de l’homme congolais. Cela requiert que l’on investisse dans l’alimentation, la santé, l’habitat et l’éducation.
Un plan d’industrialisation des secteurs minier, forestier et des hydrocarbures doit être promu. Il permettra la création d’emplois, le développement des infrastructures et l’augmentation de la richesse. Et grâce à une bonne gestion, le Gouvernement sera en mesure d’assurer un salaire juste et digne ainsi qu’une sortie de retraite honorable à tous ses fonctionnaires notamment, les enseignants, le personnel médical, les militaires et les policiers.
La lutte contre la corruption, la fraude et l’évasion fiscale doit être menée efficacement, impartialement et sans complaisance. L’exemple doit venir d’en haut. C’est pourquoi il revient au Gouvernement et au Parlement de donner en premier l’exemple de respect du principe de reddition des comptes.
Dans le domaine sécuritaire
En vue de la réforme de nos Forces armées, un état des lieux est tout indiqué comme prioritaire pour lever des orientations fondamentales à la mise sur pied d’une armée républicaine. Pour atteindre ce résultat, des primes de guerre ou des privilèges à un groupe, quel qu’il soit, devraient être évités.
L’équipement et la formation de la Police méritent une attention particulière du Gouvernement en vue d’assurer la sécurité des populations victimes des violences dans les cités et les villes. 
Les trois juridictions prévues dans notre Constitution, à savoir la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, devraient être instituées.
 
Conclusion
Excellence Monsieur le Président de la République,
La Nation se trouve à un tournant décisif : elle peut réussir un avenir meilleur si toutes ses forces vives s’engagent à respecter les règles de la démocratie et à observer scrupuleusement l’ordre constitutionnel. C’est pourquoi, dans le contexte qui est le nôtre, nous réaffirmons que notre Constitution, qui a fait l’objet d’un consensus national par un referendum et qui est le socle de notre démocratie, ne doit pas être modifiée en son article 220. Nous en appelons vivement à la sagesse et à la responsabilité de tous les élus.
Notre vœu est que le dialogue envisagé affronte avec courage et sincérité les préoccupations vitales de la Nation. Dans le respect des opinions des uns et des autres, que l’on promeuve le bien suprême de la Nation. La refondation morale de notre société doit demeurer au centre des préoccupations de tous, car sans éthique dans l’agir politique, il est difficile à la RD Congo de progresser et de se développer.
Avec foi et espérance en Dieu dont l’amour absolu nous est révélé de manière éminente dans la croix de son Fils Jésus-Christ, nous lui confions par l’intercession de la Vierge Marie, Notre Dame du Congo, le peuple congolais et tous ses gouvernants.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération et de nos sentiments dévoués en Notre Seigneur Jésus-Christ.
Fait à Kinshasa, le 22 février 2013

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