(Par
Maitre Armand Ciamala Kanyinda, Avocat près la Cour d’Appel de la Gombe)
Dans son célèbre ouvrage écrit sur les bambous
vers le 5ème siècle avant Jésus Christ et intitulé « l’Art de la Guerre”, le
général chinois Sun Tzu, considéré aujourd’hui comme le père de la stratégie
affirme que la guerre est un sujet de la plus haute importance car l’action
militaire est une question de vie ou de mort, un chemin vers la destruction ou
la survie d’une nation (Sun Tzu, The Art of War, translated by Thomas Cleary,
Shambala 2000, p.40). Cette description de la guerre s’applique très bien au
procès en général et au procès pénal en particulier.
En effet, le procès pénal
est une guerre au bout de laquelle on peut perdre sa vie (peine de mort), sa
liberté, ses biens etc…, bref le procès pénal est un chemin vers la survie ou
la destruction de l’accusé. Dans le cas du procès de 100 jours, VK risque de
perdre jusqu’à 20 ans de liberté, des biens qui seront confisqués ou saisis, inéligibilité
pour 10 ans, droit de vote, bref la destruction d’un homme politique. On peut
donc parler du procès VK ou de la guerre de VK. La stratégie militaire, et plus
particulièrement l’art de la guerre du général Sun Tzu, est aujourd’hui
largement utilisée dans la vie civile : politique, diplomatie, monde des
affaires, gestion des conflits, relations interpersonnelles, mais aussi au
prétoire, dans le procès civil lorsque les avocats échangent les pièces et
conclusions et lorsqu’ils plaident, mais plus particulièrement encore dans le
procès pénal qui se déroule devant un juge actif.
L’art de plaider, ou au sens
large l’art de défendre une cause en justice, n’est pas diffèrent de l’art de
la guerre, les deux font appel à des techniques ou tactiques et à la stratégie.
La justice militaire américaine fournit une abondante littérature sur
l’application d la science militaire pour gagner un procès pénal. Quelques
semaines avant le procès VK, les médias ont reporté que la Prison centrale de Makala était devenue un
quartier général où les hauts cadres de l’UNC, les collaborateurs, amis et
avocats se réunissaient pour préparer sa défense. Quatre audiences
d’instruction et une audience de réquisitoire et des plaidoiries après, il y a
lieu de se demander si la défense de VK avait une véritable stratégie, en
d’autres termes, si VK avait réellement une stratégie de défense ; sans
chercher à spéculer sur le verdict qui sera rendu.
LE TERRAIN ET LE TEMPS
(CLIMAT)
Dès la première audience, on se rend compte que VK a fait une mauvaise
appréciation du terrain, il ne réalise pas qu’il est dans un procès pénal
portant sur des faits très graves ; il se croit dans un procès politique
fomenté par Félix Tshisekedi (si ce n’est pas lui ce sont ses frères) pour
l’empêcher de briguer la magistrature suprême en 2023 au nom de l’accord de
Nairobi. Il se place sur un autre terrain au lieu de rester dans le procès et
s’y consacrer. Concernant le temps, Sun Tzu recommande de scruter les saisons
avant de lancer une campagne militaire. L’histoire des guerres européennes est
riche en batailles perdues pas parce que l’armée était faible mais tout
simplement parce que la campagne militaire a été lancée en mauvaise saison,
notamment en hiver. Bien sûr, VK n’avait pas la possibilité de choisir le bon
temps pour son procès, mais il devait néanmoins scruter la saison pour adapter
son armement et son attitude. Il a tout simplement failli à cette règle d’or ;
il n’a pas compris que c’était la saison de l’État de droit, au cours de
laquelle le people tout entier attend voir si Félix Tshisekedi est sérieux
quand il parle de la lutte contre les antivaleurs et l’égalité de tous devant
la loi, Il n’a pas réalisé que le climat était mauvais pour lui, pollué par les
frasques de son neveu Massaro largement relayés par la presse et les réseaux
sociaux.
Pour avoir fait une mauvaise appréciation sur le terrain et le temps,
VK prenait désormais un mauvais départ qui allait mettre à mal sa défense.
Comme c’est un procès politique, ce n’est pas les avocats qui vont le défendre
mais c’est plutôt VK lui-même, un stratège politique, les avocats ne viendront
que pour l’accompagner. Malheureusement, les avocats le suivent dans cette
logique et ils s’auto-annihilent. Ainsi certains acceptent de défendre la cause
alors qu’ils se trouvaient en situation de conflit d’intérêts, la défense de VK
a été démoralisée dès l’ouverture du procès lorsque les avocats en situation de
conflit d’intérêts ont dû se retirer. Décidément c’était un mauvais départ.
FAUX PERSONNAGE
Le « voir dire » est une vielle technique introductive de la
défense en droit français. Ici la défense prend toutes les précautions pour
impressionner le jury en présentant l’accusé sous un jour favorable, donner une
bonne image de la personne qu’on juge. Malgré le fait que cette technique est plus
utilisée dans le système des jurés, elle ne doit pas être négligée dans notre
système car, après que tout soit dit, le juge va interroger son intime
conviction pour rendre son verdict. La défense de VK a présenté au tribunal un
faux personnage et donc peu crédible.
Alors qu’il est connu pour sa vie de
vedette et ses frasques (mariage bling bling sur une ile, agrémenté par une des
meilleures vedette du pays, bijoux de très grande valeur offerts à sa femme
avec fracas et devant les caméras..), VK se présente en un homme pieux portant
un chapelet au cou; alors qu’il se fait passer pour la pauvre victime d’un
complot politique, VK brille par son arrogance et la déclinaison de son
intelligence, il ne s’empêche pas de chercher à corriger les questions du Tribunal.
ETUDE – PREPARATION DU DOSSIER Dès la première audience, on voit que la défense
de VK n’a pas étudié le dossier de plus de 2000 pièces, elle sollicite une
remise pour prendre connaissance du dossier, c’est évident qu’il n’y a pas eu
de préparation. VK lui-même donne l’impression d’avoir bien étudié le dossier,
il a la maitrise des faits et on voit entre ses mains un dossier bien fourni et
bien relié sur base duquel il veut se défendre « pièces contre pièces ».
On a
cependant l’impression que les avocats n’ont pas une copie du dossier préparé
par leur client, ils semblent ne pas maîtriser les faits et leur chronologie.
Si il a bien préparé son dossier, VK n’a cependant pas eu l’intelligence exacte
des faits pour orienter les bonnes décisions et prendre les armes et munitions
appropriées pour sa défense. Au lieu de préparer les arguments pour se défendre
en justice, il a préparé les arguments de sa campagne présidentielle pour 2023;
au lieu de suivre minutieusement l’instruction du dossier en répondant aux
questions du Tribunal, il étale son intelligence et sa riche expérience dans la
gestion de la chose publique, au lieu de s’adresser au Tribunal, VK s’adresse
au public qui le suit à la télévision, son dossier des pièces n’est pas préparé
à l’intention du Tribunal mais plutôt à l’intention de l’opinion publique, il
commande son show et invite régulièrement le cameraman à zoomer les pièces
qu’il présente pourtant au Tribunal.
RUSE ET RAPIDITÉ
Sun Tzu était un général
pacifiste et n’aimait pas la guerre, c’est pourquoi il a donné ses
enseignements pour permettre de gagner des victoires sans trop fatiguer ses
troupes ni épuiser ses ressources. Pour lui le meilleur général c’est celui qui
gagne sans combattre. Ainsi il enseigne que le meilleur général agit par la
ruse ; quand il va livrer bataille à une longue distance, il fait comme si il
allait tout près, et quand il va tout près, il fait comme si il allait à une
longue distance. Dès que toutes les préparations sont faites, l’action
militaire doit être rapide pour épargner l’énergie des troupes et les
ressources. La guerre longue et pénible n’a jamais de vainqueur. VK a violé la
règle de la rapidité, au lieu de répondre aux questions de manière précise et
concise, il choisit de s’étaler dans des longues explications qui très souvent
n’ont rien à voir avec le procès.
Pire encore, en se lançant dans des longs
propos, VK n’a pas fait preuve de ruse, il a dévoilé tout son arsenal avant la
grande bataille. Et quand la grande bataille est arrivée, celle du réquisitoire
et des plaidoiries, VK n’a plus rien, son arsenal est vide, il a déjà épuisé
tous ses arguments, il est fatigué et sans ressources. On comprend pourquoi il
implore pratiquement le Tribunal de lui accorder une remise, précisant qu’il
était même prêt à rester encore deux mois en détention préventive pourvu qu’on
lui laisse le temps de préparer sa défense. OODA LOOP OODA
(Observe-Orient-Decide-Act) Loop, en français le cycle OODA est une stratégie
développée par la science militaire américaine, inspirée de la théorie de
manœuvre. Elle est utilisée avec succès devant les cours martiales américaines
(A.S. Drier, Strategy, Planning & Litigation to Win, Conatius Press 2012,
pp.5 & ss). OODA est un cycle qui comprend 4 phases correspondant à chaque
lettre de l’acronyme : une phase d’Observation, une phase d’Orientation, une
phase de Décision et une phase d’Action. Le cycle doit être bouclé rapidement
pour reprendre de nouveau.
Après avoir agi, on revient rapidement à la phase
d’Observation pour analyser les résultats de l’Action, et le cycle reprend. Il
est à noter que chaque phase du cycle peut lui même constituer un sous cycle,
avec toutes les quatre phases dedans. Devant le juge, le procès lui-même
constitue un cycle OODA, mais aussi chaque étape de la procédure, chaque
incident ou exception peut constituer un sous cycle. Appliquant le cycle OODA,
le travail de la défense dans tout procès commence par l’Observation qui est la
connaissance ou l’accumulation des faits, la défense doit connaitre tous les
faits de la cause, la deuxième phase c’est l’Orientation qui consiste en
l’analyse profonde des faits et leur contextualisation, bref l’intelligence des
faits, la phase de Décision c’est la définition des moyens et arguments à
soulever et l’attitude à prendre au cours du procès, la quatrième phase c’est
l’Action, la mise en application des décisions prises. Après que le cycle soit
bouclé avec la phase de l’Action, la défense doit reprendre rapidement le cycle
avec l’Observation pour éventuellement réajuster sa stratégie en fonction de
l’évolution du procès.
A ce niveau, le cycle OODA rejoint la définition du
leadership par Sun Tzu qui dit que c’est le leadership qui permet à un général
d’adapter sa stratégie aux réalités du champ de bataille pendant les
hostilités. VK est resté de marbre et imperturbable tout le long du procès, il
ne lisait pas le procès et s’est donc refusé à tout réajustement de sa ligne de
conduite. Cette attitude lui a couté une bataille importante qu’il a perdue
avec fracas devant le témoin Marcelin Bilomba. En effet, depuis qu’il avait
diligenté les investigations de l’Inspection Générale des Finances dans le
dossier de 15 Millions de Dollars des pétroliers, Marcellin est un ennemi juré
de VK, les deux se connaissent bien en tant que tels. Marcellin n’était donc
pas un témoin ordinaire, il était venu en mission et il tenait à l’accomplir,
ce procès lui donnait l’occasion de régler un compte personnel à VK. Et ce
dernier le savait bien, tous les deux étaient préparés à la bataille.
Malheureusement, VK a oublié que c’était lui l’accusé et non Marcellin, il
devait se concentrer sur sa défense et non chercher à s’acharner sur Marcellin
et lui régler ses comptes.
Dès que Marcellin a pris la parole, il a déchainé
son artillerie lourde mais malheureusement pour lui, le juge l’arrête et le
remet dans les limites du procès pour répondre seulement aux questions
spécifiques qui lui sont posées. Marcellin est frustré mais il ne peut rien
faire car le juge a déjà décidé, la frustration de Marcellin était palpable, le
juge l’empêchait d’accomplir sa mission, de régler ses comptes avec son ennemi.
Si VK était attentif à ce niveau précis, il devait réajuster sa conduite devant
cette nouvelle réalité et laisser Marcellin repartir avec son arsenal intact.
Mais hélas, VK commit l’erreur qu’il ne fallait pas, il prit la parole pour
s’étaler dans des considérations personnelles sur Marcellin. Et voilà l’aubaine
venue du ciel pour Marcellin, on peut le voir jubiler à l’intérieur pendant que
VK le vilipendait. VK offrit ainsi l’occasion à Marcellin de revenir, et la
suite a été tout simplement fatale, Marcellin ne l’a pas raté. Sans aucun
doute, le témoignage de Marcellin a été un des moments forts du procès, VK s’en
est rendu compte et s’est affaissé mais il était trop tard.
CONCLUSIONS
Ainsi
qu’on l’a vu, le procès pénal est une véritable guerre, chaque tactique, chaque
technique de défense peut constituer toute une bataille en soi : présentation
du prévenu, interrogatoire des témoins, incidents de procédure et autres mesures
d’instructions. Comme dans une action militaire, toutes ces tactiques doivent
être intégrées dans une stratégie d’ensemble bien définie pour espérer avoir la
victoire. Comme on le dit : Tactiques sans stratégie c’est du bruit avant la
défaite (Gian P. Gentile, Counterinsurgency and War, in the OxFord Handbook of
War). Certainement la défense de VK n’avait aucune stratégie, le collectif
manquait même de cohésion et de discipline dans les rangs. Mais à qui la faute
? Est-ce aux avocats ou à leur client ? Il arrive parfois aux avocats d’avoir
des clients difficiles, qui connaissent tout et qui dirigent leur propre show.
C’est visiblement le cas de VK, devant, le tribunal, il n’a jamais suivi le
conseil de ses avocats, il n’a jamais parlé d’eux en termes de « mon avocat »
ou « Maitre tel et tel », il parlait tout simplement de Kabengela, Bokolombe….
Et pour leur part, les avocats ne parlaient pas de VK en termes de « notre »
client mais c’était toujours avec révérence, « Honorable Vital Kamhere », ce
qui dénotait déjà un manque d’indépendance visà-vis du client. C’est seulement
à la dernière audience que VK a enfin compris qu’il était prévenu dans un
procès qui pouvait le détruire totalement, il pouvait désormais acquiescer
quand le juge lui dit qu’il ne connait pas la procédure et qu’il doit s’appuyer
sur les conseils de ses avocats, il a enfin suivi le conseil de son avocat
quand il lui a dit de ne pas intervenir. Mais en général, VK est demeuré Maitre
de son propre show.
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