(Kinshasa, le 16 avril
2015) – Les autorités de la République
démocratique du Congo devraient libérer sans délai sept
activistes pacifiques qui sont détenus de manière inéquitable, certains depuis
le 15 mars 2015, a déclaré Human Rights Watch. Les forces de
sécurité de la ville de Goma, à l’est du pays, ont passé à tabac et brutalement
malmené des manifestants qui protestaient contre la répression gouvernementale,
y compris en les torturant avec de l’eau.
L’Agence nationale de
renseignements (ANR) de la
RD Congo a arrêté 30
activistes pro-démocratie et d’autres personnes le 15 mars dans la capitale
Kinshasa, à la suite d’un atelier consacré à Filimbi, un mouvement dont le but
est de promouvoir l’engagement responsable des jeunes dans le processus
démocratique. Un autre activiste de Filimbi a été arrêté le 16 mars. Trois
personnes restent maintenues en détention sans inculpation ni accès à une
assistance juridique et sans avoir été déférées devant les instances
judiciaires compétentes. À Goma, le 7 avril, la police a appréhendé quatre
autres personnes qui manifestaient pacifiquement contre les arrestations
opérées à Kinshasa. Elles se trouvent à la prison centrale de Goma et sont
inculpées d’incitation à des manquements envers l’autorité publique.
Depuis le 11 avril,
plusieurs employés de Rawbank – y compris ceux qui avaient ouvert et géré un
compte bancaire pour Filimbi – ont été arrêtés ou interpellés par l’ANR. Au
moins l’un d’entre eux est toujours détenu.
« Il est inacceptable que les autorités
congolaises arrêtent des manifestants pacifiques et passent à tabac ou
torturent ceux qui protestent contre les actions répressives du gouvernement »,
a souligné Ida Sawyer, chercheuse senior à la division Afrique
de Human Rights Watch. « Elles devraient immédiatement libérer les
sept activistes ou les inculper d’un délit crédible et ouvrir une enquête sur
les accusations de mauvais traitements. »
Les arrestations
s’inscrivent dans un mouvement de répression de la liberté d’expression et de
réunion qui s’intensifie en amont des élections nationales congolaises de 2016,
a noté Human Rights Watch.
Les trois personnes
détenues à Kinshasa sont Fred Bauma, dirigeant de Lutte pour le Changement
(LUCHA), un mouvement basé à Goma ; Yves Makwambala, webmaster et graphiste ;
et Sylvain Saluseke, entrepreneur et activiste. Tous trois ont été détenus au
secret pendant deux semaines avant que des membres de leurs familles ne soient
autorisés à leur rendre visite depuis le 30 mars. Les autres personnes détenues
à Goma sont Trésor Akili, Gentil Muluma, Vincent Kasereka et Sylvain Kambere.
L’Administrateur général
de l’ANR, Kalev Mutondo, a signalé à Human Rights Watch le 10 avril que les
trois personnes incarcérées à Kinshasa étaient détenues dans le cadre d’une
« enquête sécuritaire » et non d’une « enquête
judiciaire », vraisemblablement – selon Human Rights Watch – pour
permettre leur détention sans les protections octroyées aux personnes
soupçonnées d’avoir commis un délit. Il a précisé qu’il avait introduit une
requête auprès du parquet aux fins de les maintenir en détention. Le procureur
général de la république de la RD Congo a informé Human Rights Watch le 13
avril qu’il n’avait pas connaissance d’une telle requête.
La loi congolaise exige
que tous les détenus soient mis à la disposition de l’autorité judiciaire
compétente dans les 48 heures qui suivent leur arrestation. Le droit congolais
et les traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la RD
Congo interdisent la torture et les traitements cruels, inhumains et
dégradants, et ils octroient à tout détenu le droit de recevoir la visite d’un
avocat et de sa famille. Le gouvernement devrait ouvrir une enquête et, s’il y
a lieu, imposer des sanctions ou engager des poursuites à l’encontre des
individus impliqués dans la détention arbitraire et les mauvais traitements
infligés aux activistes, a déclaré Human Rights Watch.
Le 27 mars, l’Assemblée
nationale congolaise a mis en place une commission d’information chargée de
recueillir des informations et de faire rapport sur les arrestations. Cette
commission devrait présenter les conclusions de son rapport au cours des
prochains jours.
Les arrestations semblent
être liées aux tensions politiques plus générales qui agitent la RD Congo en
amont du scrutin présidentiel prévu dans le pays en 2016. Aux termes de la
constitution congolaise, un président ne peut exercer que deux mandats
consécutifs. Le second mandat du Président Joseph Kabila s’achèvera en 2016. Au
cours des derniers mois, des responsables politiques proches du Président
Kabila ont proposé des modifications de la constitution qui permettraient au
président de briguer un troisième mandat, ainsi que des modifications de la loi
électorale qui exigeraient un recensement qui pourrait prendre du temps et
prolonger de fait le mandat de Kabila. Plus d’une douzaine de hauts responsables
de partis politiques et d’activistes ont été arrêtés après
avoir dénoncé ces propositions de changement. En janvier, au moins 40 personnes
ont été tuées lorsque
les forces de sécurité ont réprimé avec brutalité des manifestations organisées
à Kinshasa et à Goma pour protester contre les propositions de modifications de
la loi électorale.
« Chacun a le droit de s’engager dans des
activités pacifiques pour promouvoir le processus démocratique ou s’opposer aux
actions gouvernementales », a souligné Ida Sawyer. « Les autorités congolaises devraient
rapidement inverser la tendance répressive qui détourne la RD Congo de la voie
menant à des élections crédibles ».
Arrestations à Kinshasa
Parmi les personnes
arrêtées le 15 mars à Kinshasa à l’issue de l’atelier sur Filimbi figuraient
des journalistes congolais et français, un diplomate américain, le propriétaire
français de la société de production où s’est tenue la conférence de presse,
trois membres sénégalais de l’organisation Y’en a marre, un activiste burkinabé
de l’organisation Balai Citoyen, ainsi que de nombreux activistes congolais,
des musiciens, des artistes, des techniciens et des spectateurs. Ils ont été
arrêtés par des hommes vêtus d’uniformes de la police militaire et par d’autres
en civil, et ont été emmenés directement au siège de l’ANR.
Le soir-même, les
autorités ont libéré tous les ressortissants non africains et un journaliste
congolais. Un autre journaliste congolais a été libéré le 17 mars. Lors d’une
conférence de presse organisée le 18 mars, le ministre de la Communication et
Médias, Lambert Mende, a affirmé que les activistes ouest-africains
appartenaient à un « mouvement subversif inspiré de l’étranger »
et qu’ils préparaient des « actes de violence » en RD Congo.
Les activistes sénégalais et burkinabés ont été libérés par la suite, déclarés
« persona non grata » et expulsés du pays. Un groupe de
musiciens congolais a été remis en liberté le 19 mars et un réalisateur
congolais de films documentaires le 27 mars.
Un ancien détenu a confié
à Human Rights Watch que des agents du renseignement l’avaient averti qu’il ne
devait pas parler de son arrestation aux journalistes, aux militants des droits
humains ou à d’autres personnes, et qu’ils lui avaient ordonné de se présenter
à l’ANR toutes les 48 heures.
Le 16 mars, Sylvain
Saluseke, un activiste de Filimbi qui n’avait pas été arrêté la veille, a été
convoqué à un entretien à l’ANR et placé en détention. D’autres leaders de
Filimbi se cachent depuis lors, craignant d’être arrêtés. Des agents de la
sécurité ont fouillé le domicile de l’un de ces leaders sans de perquisition
mandat valable et ont menacé l’employeur d’un leader, lui recommandant vivement
de mettre fin au contrat de cet activiste.
Le 4 avril, des hommes en
civil ont arrêté sur son lieu de travail Francis Omekongo, un artiste congolais
qui avait remporté un concours lancé pour concevoir le logo de Filimbi, et ils
l’ont maintenu dans un centre de détention de l’ANR jusqu’au 7 avril. Le logo
représente un sifflet et une main brandissant un « carton rouge », la
sanction infligée par l’arbitre à un joueur de football lorsqu’il l’expulse du
terrain. Les leaders de Filimbi ont expliqué que le logo symbolisait le droit
des citoyens à réclamer des comptes à leur gouvernement et à
« siffler » pour dénoncer les violations des droits humains ou les
comportements répréhensibles du gouvernement.
Arrestations et mauvais traitements à l’encontre d’activistes à Goma
Arrestations et mauvais traitements à l’encontre d’activistes à Goma
Le 17 mars, alors que des
activistes de la LUCHA manifestaient devant le bureau de l’ANR à Goma, appelant
à la libération de leur collègue Fred Bauma à Kinshasa, des agents du
renseignement ont encerclé 11 activistes, les giflant et les frappant alors
qu’ils les emmenaient au bureau de l’ANR. Ils ont jeté par terre et frappé à
coups de pied une chercheuse belge qui regardait la manifestation. Elle a été
soignée à l’hôpital par la suite. Ils ont également malmené un journaliste
belge et l’ont brièvement placé en garde à vue et interrogé.
Les agents de l’ANR ont
ordonné aux 11 activistes de s’asseoir par terre. Lorsqu’ils se sont donné le
bras et ont entonné l’hymne national congolais, les agents les ont à nouveau
giflés et frappés à coups de pied. Ils ont forcé un activiste de 26 ans à se
rouler dans la boue et à se coucher sous un robinet extérieur. Un agent de
l’ANR a ouvert le robinet et l’eau s’est déversée en trombe dans sa bouche et
ses yeux pendant une dizaine de minutes – ce qui s’apparente à une
quasi-noyade, un acte constitutif de torture.
L’activiste a confié à Human Rights Watch :
Il m’a demandé de me
coucher sur le dos dans la boue juste sous le robinet. Puis il m’a dit d’ouvrir
la bouche et les yeux et de regarder vers le haut. Il a ouvert le robinet avec
toute la pression de l’eau de là, et toute l’eau entrait dans ma bouche et mes
yeux. Je ne savais plus quoi faire. J’ai commencé à me trembloter. Je ne
pouvais pas fermer la bouche ni les yeux. Je pensais que j’allais me noyer. Je
n’arrivais pas à respirer. J’étais sûr que j’allais mourir là.
Des agents de l’ANR ont
forcé au moins quatre manifestants à se coucher par terre et à regarder le
soleil, et ont ordonné à l’un d’eux de faire 100 pompes dans la boue et les
graviers. Un agent de l’ANR s’est mis debout sur ses talons et l’a battu à
coups de branches quand il n’a pas pu terminer ses tractions.
Les agents de l’ANR ont
interrogé les manifestants séparément et ont pris leurs dépositions. Ils ont
accusé certains d’appartenir à un mouvement rebelle ou à un groupe armé.
D’autres ont été accusés de faire partie d’une milice qui, selon les agents de
l’ANR, avait tué l’un des leurs le matin en territoire de Rutshuru, dans la
province du Nord-Kivu. Les 11 protestataires ont été libérés dans la soirée.
Un avocat s’est rendu au
bureau de l’ANR à Goma le 17 mars pour s’entretenir avec l’un des détenus mais
les agents de l’ANR lui ont interdit de le voir. Ce soir-là, des hommes non
identifiés ont attaqué l’avocat dans la rue près de l’hôpital principal de
Goma, lui assenant des coups de poing et des coups de pied et le frappant avec
un bâton. Il a par la suite expliqué à Human Rights Watch que l’un d’eux avait
dit : « Vous savez trop
écrire et trop parler. Nous allons coudre la bouche avec de la Super Glue. Nous
allons voir si vous allez marcher demain. » L’avocat a dû être
hospitalisé en raison de ses blessures.
Le 21 mars, des membres
de la LUCHA ont reçu trois messages menaçants sur un téléphone portable qu’ils
partageaient. L’un des messages disait : « Est-ce que vous savez,
vous courez un risque ? Est-ce que vous êtes consciente de ce que vous
êtes en train de faire ? »
Ce soir-là, un autre militant de la LUCHA a reçu un appel téléphonique d’un
homme non identifié qui a déclaré : « C'est vous qui mettez les
affiches pour révolter les gens. Nous vous connaissons déjà ; nous allons
mettre la main sur vous. »
Un activiste de 28 ans de
la LUCHA rentrait chez lui à pied ce soir-là dans le quartier Katoyi à Goma
lorsque trois hommes l’ont attaqué et l’ont forcé à monter à bord d’une
voiture. Ils l’ont obligé à se coucher par terre et ont roulé dans les
alentours de Goma pendant 30 à 40 minutes. Lorsqu’ils sont arrivés à une
destination inconnue, un homme a mis un sac sur la tête de l’activiste et l’a
conduit dans une pièce vide, où ils l’ont laissé.
Le 23 mars, un homme en
civil armé d’un pistolet l’a interrogé sur ses liens avec le groupe sénégalais
Y’en a marre et lui a demandé d’identifier tous les membres de la LUCHA dont
les noms se trouvaient dans son téléphone portable. Il a confié que l’homme lui
avait dit : « On peut vous massacrer quand on veut. On peut
s’assurer que toutes les preuves sont dissimulées. » Ils l’ont libéré
le 24 mars.
Le 7 avril, entre 15 à 20
membres de la LUCHA ont distribué des tracts sur la route principale de Goma et
alors qu’ils s’apprêtaient à utiliser des sifflets et à faire du bruit pour
attirer l’attention sur les activistes détenus à Kinshasa, la police est
arrivée en jeep, a passé à tabac quatre membres de la LUCHA avec des matraques
et les a frappés, avant de les conduire dans un poste de police où ils ont de
nouveau été roués de coups. Le lendemain, la police a arrêté un autre membre de
la LUCHA, Pascal Byumanine, au moment où il tentait d’apporter de la nourriture
aux détenus. La police l’a libéré l’après-midi à la suite de l’intervention des
officiels des droits humains des Nations Unies.
Les quatre autres
activistes ont été inculpés de l’incitation à des manquements envers l’autorité
publique. Ils ont été transférés à la prison centrale de Goma.
Aux termes de la loi
congolaise, les personnes qui désirent organiser une manifestation publique
sont tenues d’en informer les autorités 72 heures à l’avance. Si les autorités
ne réagissent pas, le droit de manifester est acquis. Un membre de la LUCHA a
expliqué à Human Rights Watch qu’elle avait remis une lettre à la mairie le 17
mars signalant que le groupe envisageait d’organiser des manifestations jusqu’à
ce que Bauma soit libéré.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire