Allocution du président à l’ occasion de l’ouverture de la
session ordinaire de septembre 2014
Essentiellement budgétaire la présente Session ordinaire s’ouvre
conformément aux articles 115 de la Constitution et 74 du Règlement Intérieur
du Sénat. Elle intervient à un moment particulièrement douloureux dans la
vie sociale de notre peuple marqué par la résurgence de la fièvre hémorragique
à virus EBOLA dans le territoire de Boende, province de l’Equateur. Un virus d’une
autre souche est signalé en Afrique de l’Ouest, où l’on déplore au moins deux
milliers de victimes.
En mémoire de toutes ces victimes, je vous invite à observer un
instant de silence. Je salue l’heureuse initiative de l’Eglise catholique du
Grand Equateur de réunir les filles et fils de la Province pour se joindre au
Gouvernement aux fins de trouver des voies et moyens de préserver l’Equateur de
ce fléau.
Sans céder à la psychose le Gouvernement devrait quant à lui
rester constamment mobilisé afin que le plan de riposte mis en place permette
non seulement le cantonnement mais surtout l’éradication de la maladie. Il y va
de la santé de tous, santé qui figure dans les Objectifs du Millénaire pour le
Développement.
A propos de ces Objectifs, je rappelle que notre pays à l’instar
de nombreux autres s’était engagé de 2003 à 2015 notamment à :
- réduire de moitié l'extrême pauvreté et la faim ;
- réaliser l'éducation primaire universelle et l'égalité des sexes
;
- réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de 5 ans
et de trois quarts la mortalité maternelle ;
- inverser la tendance en matière de propagation du VIH/sida et du
paludisme ;
- réaliser un développement durable et assurer la viabilité de
l'environnement.
L’heure est au bilan. Cela d’autant plus que les performances
économiques présentées sont en lien direct avec les résultats obtenus dans la
poursuite de ces objectifs.
Le Gouvernement aligne en effet, des résultats économiques
notables. Selon les données disponibles la conjoncture intérieure continue à se
caractériser par :
- une croissance soutenue de l’activité économique ;
- la maîtrise budgétaire, la stabilisation du taux de change et la
baisse du rythme de l’inflation.2
Suivant la Banque Centrale du Congo le taux de croissance du PIB
se situera à 8,8 % en fin 2014 contre 8,5 % en 2013. L’année pourra se clôturer
aussi avec un taux d’inflation de 1,2 % alors que le taux d’inflation moyen prévu
est de 3,9 %.
Quant à lui, le taux de change du dollar américain qui demeure
stable se situera à 930 francs grâce à une bonne coordination des politiques
budgétaire et monétaire.
Dans ce contexte la Banque Centrale a jugé nécessaire de maintenir
son taux directeur à 2 %. Malgré le faible niveau de ce taux et une certaine
maîtrise de l’inflation les banques commerciales continuent malheureusement à
prêter de l’argent à des taux d’intérêt prohibitifs. Ces taux s’élèvent
actuellement à 18,0 % en moyenne par an ce qui handicape le financement de l’activité
économique et, par voie de conséquence, la création des emplois.
Je souhaite que le Gouvernement engage des discussions avec le
secteur bancaire accompagnées de mesures incitatives afin d’obtenir la baisse
de ces taux. Par ailleurs, dans le contexte où l’agriculture est devenue l’une
des priorités pourquoi ne pas créer dès maintenant des banques de crédits
agricoles !
Je ne pense pas que l’Etat puisse en la matière atteindre tous les
objectifs poursuivis sans la participation du secteur privé. Je ne cesserai
jamais de le dire : ce n’est pas l’Etat mais le capital privé qui crée des
foyers de richesses. Et pour qu’il y ait création des foyers de richesses, il
faut que le capital privé soit soutenu et associé aux objectifs du développement.
C’est dans ce contexte que le Parlement est sensibilisé pour que l’écriture
du nouveau Code agricole actuellement en examen à l’Assemblée nationale soit
améliorée notamment son article 16 qui a fait de tapage ce dernier temps.
C’est avec des mesures incitatives en direction des PME et PMI que
nous parviendrons à booster notre secteur agricole.
Honorables Sénateurs et chers collègues,
Budgétaire la présente Session présente ne traitera pas moins d’autres
matières conformément à son calendrier. Parmi ces matières il y a le projet de
loi modifiant et complétant le Code de la Famille déposé par le Gouvernement au
cours de la Session de mars de cette année.
Présentement en examen au Sénat, ce projet constitue une réforme
législative d’une importance capitale. Permettez-moi d’y revenir un instant.
Prisonnier à Sainte-Hélène, Napoléon disait : « Ma vraie
gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le
souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement,
c’est mon Code civil ».
Le Code civil est la première règle de vie que se donne un peuple
pour son harmonie. Il contient les principes essentiels sur l’identification et
la capacité des personnes mais aussi les règles relatives au droit de la
famille, aux régimes matrimoniaux, aux successions aux libéralités. C’est en
quelque sorte la pierre angulaire de tout l’édifice juridique d’un pays.
Le Gouvernement justifie la modification de ce monument juridique
essentiellement par le souci d’adapter la législation à certains instruments
juridiques internationaux visant le renforcement des droits spécifiques de la femme
et de l’enfant, tout en actualisant sur le plan technique, les unités et
valeurs monétaires contenues dans le Code de 1987.
Je salue cette initiative. J’estime cependant, que les options à
lever doivent demeurer dans les limites de la compatibilité du droit moderne
avec notre droit traditionnel. Car, comme je l’avais écrit en 1976 dans une de
mes mercuriales, la réforme qui allait donner naissance au
Code de la famille actuel était initiée dans un esprit bien
spécifique : « constituer une synthèse harmonieuse entre les éléments du
droit moderne et ceux du droit traditionnel, à même de concilier et de refléter
les aspirations légitimes d’un peuple en pleine mutation qui ne veut pourtant
rien perdre de son authenticité ».
Aussi aimerais-je partager avec vous quelques réflexions sur
certains points de la réforme projetée. Sur les questions liées au droit de
la personne, je vois que des innovations sont introduites notamment en matière
d’identification et de capacité des personnes physiques,
particulièrement en ce qui concerne la dation du nom et la capacité
juridique de la femme mariée.
En matière de dation du nom, si l’article
52 a le mérite de préciser que le nom, le post nom et le prénom constituent les
éléments du nom, en revanche, le projet gouvernemental a supprimé le pouvoir du
dernier mot qui avait été laissé au père en cas de désaccord des parents dans l’attribution
du nom à leur enfant. Une telle suppression, qui ne s’accompagne d’aucune
solution palliative, comporte le risque de voir le litige, d’essence privée,
être porté devant une instance extérieure à la famille ; ce qui ne peut que
nuire aux rapports de paix et de stabilité dans le couple.
Je suggère que l’attribution du nom à l’enfant continue d’être
comme par le passé, l’œuvre de ses parents. En cas de désaccord, que le dernier
mot revienne non pas au père seulement, mais aux deux parents, en accordant
à chacun le droit d’attribuer un élément du nom à l’enfant. Ainsi l’enfant
porterait, dans ce cas, un nom composé d’au moins deux éléments, attribués
respectivement par chacun des deux parents.
Sur la question même de la structure du nom, il est certes réaffirmé dans le projet de loi que le nom, puisé dans
le patrimoine culturel congolais, comporte un ou plusieurs éléments.
Quoique conformes à certaines de nos cultures, cette disposition
accuse à mon avis, un certain manque d’uniformisation de la structure du nom en
droit congolais, en raison de la réaffirmation du principe de la pluralité sans
limite des éléments du nom. En outre, elle ne résout pas le problème des noms
kilométriques, source de beaucoup de difficultés dans la rédaction des actes d’état
civil. Il faut limiter sinon on n’établira jamais de nom.
Je propose qu’une réflexion soit menée sur cette question.
Dans le même ordre d’idées, l’on ne
voit nulle part la place que le nouveau Code réserve aux pseudonymes et
autres surnoms, une pratique pourtant courante dans la vie sociale.
Sur la problématique de la capacité juridique de la femme mariée, je note qu’à la demande insistante de la gent féminine, l’autorisation
maritale, jadis conçue dans l’optique de la protection de cette dernière, est proposée
à la suppression. Je m’en réjouis.
Ce n’est pas une mauvaise idée. Car notre pays a ratifié la
Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les discriminations à
l’égard de la femme. En outre, la Constitution du 18 février 2006 consacre le principe
de la parité homme-femme, même si ce n’est que dans le domaine politique.
Dans ce contexte, le maintien de l’autorisation maritale apparaît
comme une limitation injustifiée de la capacité juridique de la femme mariée. D’autant
plus que, déjà du fait de leur mariage, la capacité juridique de l’homme et de
la femme est naturellement restreinte par les obligations réciproques qui leur
incombent, tant dans la gestion du lien conjugal que dans l’administration de
leurs biens. 4
Sur ce point, le Gouvernement a vu juste.
Dans la même logique, il est proposé de relever l’âge légal du
mariage de la jeune fille à 18 ans, contrairement à 15 ans dans la
législation actuelle. C’est une vielle revendication qui a trouvé écho dans la
loi portant protection de l’enfant, laquelle a fixé l’âge de la majorité à 18
ans. Je rappelle simplement qu’il n’y a pas de lien nécessaire entre l’âge de
la majorité civile et celui du mariage.
Tout dépend des développements physiologiques et psychologiques
des personnes. D’ailleurs, à l’époque de la rétention de l’âge de 15 ans pour
la jeune fille, le Code civil fixait la majorité civile à 21 ans ! Dès lors, le
problème n’est pas dans l’option levée, mais dans l’argument avancé. Puis-je
rappeler qu’en dépit de la charge morale qui entoure cette question, le Code de
droit canonique maintient, sous réserve de la compétence des Evêques, l’âge
minimum du mariage à 16 ans pour le garçon et à 14 ans pour la fille (Can 1083)
?
Honorables Sénateurs et chers collègues ;
Le projet de loi aborde aussi une autre question essentielle, celle
de la forme du mariage. Aux termes du nouvel article 330, « Tout
individu a le droit de se marier avec la personne de son choix, de sexe opposé,
et de fonder une famille ». Les autres continents ne nous intéressent pas.
Nous, c’est un homme et une femme.
Je salue cette option car c’est la réplique même de l’article 40
de la Constitution. Elle se passe de tout commentaire. Je salue également la
disposition selon laquelle « La monogamie est l’unique forme de mariage
autorisée en République démocratique du Congo » (art. 330 al 4). Ceci est
une traduction en forme de principe de la criminalisation déjà décidée en 1987
de la bigamie et, a fortiori, de la polygamie en République démocratique
du Congo. Plus de bigamie, plus de polygamie.
Il reste que l’effectivité de pareilles dispositions ne dépend pas
que de la noblesse de leurs objectifs ; encore faut-il disposer d’un véritable
plan pédagogique et correctif pour pouvoir les atteindre.
Sur la question de la dot, je prends
acte de ce que l’institution continue de jouir de la faveur des gouvernants ;
ce qui est conforme à la majorité des coutumes congolaises et même africaines. Le
projet prévoit heureusement de ramener le pouvoir de fixation du maximum de son
taux au niveau des Gouverneurs de province ; ce qui est une bonne décision.
Je reste cependant convaincu qu’en l’absence de sanction des
comportements mercantiles des parents en la matière, la disposition risque de
demeurer un vœu pieux. J’engage l’ensemble des gouvernants à se pencher sur
cette question, faute de quoi plusieurs jeunes ne se marieront jamais à cause
des exigences prohibitif de la dot.
Nous devons faire en sorte que le mariage ne soit pas vécu par
les jeunes comme une corde au cou. C’est, au contraire, selon moi, un collier
de roses, juste avec quelques épines !
A propos du ménage des mariés, le
projet de loi veut supprimer l’obligation pour la femme mariée de suivre son
mari partout où il aura décidé de fixer le domicile conjugal. Si cette
suppression n’est motivée que par les considérations du genre, que fait-on
alors de la coutume largement répandue selon laquelle, après le versement de la
dot, la femme mariée quitte son domicile pour s’établir dans celui de son mari
?
Je ne pense pas qu’il soit sage de supprimer l’idée que la femme
mariée a son domicile chez son époux. Ce n’est pas conforme à la majorité de
nos coutumes.
Quant à la filiation, je suis
heureux que les principes en vigueur, issus de notre authenticité, aient été maintenus
:
- rejet de la distinction entre filiation naturelle et filiation
légitime ;
- maintien de la filiation juridique au même titre que la
filiation d’origine et la filiation adoptive ;
- obligation de reconnaître les enfants nés hors-mariage
(affiliation) ;
- actions en recherche de paternité ou de maternité, etc.
Ce statu quo ante est à saluer car il faut continuer à
affirmer le principe selon lequel, dans notre pays, et nous en sommes, tout
enfant doit avoir un père ! C’est ce qui justifie la notion de « père
juridique » dont la paternité revient à la République démocratique du
Congo.
En ce qui concerne la question des régimes matrimoniaux, des
successions et des libéralités, là aussi le
projet gouvernemental a, pour l’essentiel, maintenu les grands principes
énoncés en 1987 : existence des trois régimes distincts (séparation des biens,
communauté des biens et communauté réduite aux acquêts, avec ce dernier comme
régime légal) ; maintien
du pouvoir de gestion maritale des biens quel que soit le régime
choisi ; réaffirmation
du principe de la contribution des époux aux charges du ménage ; distinction
des successions testamentaires et ab intestat ; reconnaissance de la place du
testament oral à côté du testament authentique et du testament olographe ; protection
du même cercle des héritiers qu’en 1987, avec leur organisation en trois
catégories et trois groupes ; maintien de la règle de la réserve successorale
au profit des enfants ; reconnaissance du droit d’usufruit sur la maison
conjugale au profit du conjoint survivant non remarié; réaffirmation de la
gratitude comme contrepartie de la libéralité, etc.
En somme, le projet de réforme est riche de points de vue de
discussions. Voilà pourquoi il nécessite un examen approfondi. Je rappelle que
l’actuel Code a pris dix ans à l’Assemblée nationale de l’époque pour être
voté.
Honorables Sénateurs et chers collègues,
Distingué(e) invité(e) ;
Je ne peux clore ce mot sans me prononcer sur la problématique
de la révision constitutionnelle qui agite tout le microcosme de la classe
politique. S’agissant de ce débat, trois réflexions m’inspirent :
Primo : En tant que Co-président des Concertations nationales, j’atteste que tous les délégués s’étaient mis d’accord et se
sont même « engagés à consolider la cohésion nationale et à sauvegarder le
pacte républicain notamment par le strict respect de la Constitution,
particulièrement dans ses dispositions voulues intangibles par le souverain
primaire : la forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel,
la forme représentative du gouvernement, le nombre et la durée du mandat du
Président de la République, l’indépendance du Pouvoir judiciaire, le pluralisme
politique et syndical, la non réduction des droits et libertés de la personne,
la non-réduction des prérogatives des provinces et des entités territoriales
décentralisées » (Recommandation n°1 du Groupe thématique « Gouvernance, Démocratie
et Réformes institutionnelles ») ;
Secundo : En tant que juriste, je
m’interroge comment une Constitution qui prévoit des dispositions intangibles
peut-elle autoriser les institutions issues d’elle de modifier lesdites
dispositions sans tomber dans un cas flagrant de violation intentionnelle de la
Constitution ! Les dispositions intangibles de la Constitution – je pense
ici à l’article 220 et à tous ceux auxquels il renvoie – constituent le pivot,
le socle, l’armature de toute l’architecture constitutionnelle. Comment
peut-on les modifier sans détruire par ce fait même tout l’édifice
constitutionnel construit dans la peine ! On n’est dès lors plus dans la
même Constitution, mais dans une autre. Il ne faut pas tirer prétexte de la
révision pour aboutir à un changement de Constitution. Cela n’est pas prévu par
la Constitution en vigueur.
Tertio : En tant qu’acteur politique, je note que la Constitution du 18 février 2006 est issue du
compromis historique de Sun City : l’Accord global et inclusif. Les
éléments de ce compromis sont repris dans l’Exposé des motifs et transposés
notamment dans l’article 220. Comment peut-on prendre le risque d’altérer ce
compromis politique sans menacer la cohésion nationale et la paix sociale !
Chers compatriotes,
Dans son Message à la Nation devant le Congrès, à l’occasion de la
clôture des Concertations nationales, le Président de la République a déclaré,
je cite : « Comme les Délégués à ces assises, je suis pour le respect par
tous de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la République dans son
ensemble, telle qu’adoptée par le référendum populaire en 2005 ». Fin de
citation.
J’invite la classe politique au respect des engagements, à la
culture de la paix et de la réconciliation, à l’esprit de tolérance et d’alternance.
Il est temps que notre pays dépasse le stade des querelles politiques byzantines
pour se concentrer enfin sur les vrais problèmes du peuple : pauvreté,
chômage, éducation, santé, infrastructures, environnement ; bref, aux problèmes
du développement socioéconomique du pays.
Sur ce, je déclare ouverte la Session ordinaire du Sénat de
septembre 2014 et je vous remercie.
Léon KENGO wa DONDO
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