En 2015, les agents
des services de sécurité et des renseignements de la République démocratique du
Congo ont exercé une forte répression à l’encontre d’activistes et d’opposants
politiques qui contestaient les manœuvres politiques destinées à permettre au
Président Joseph Kabila de rester au pouvoir au-delà de la limite de deux
mandats prévue par la constitution, son second mandat prenant fin en décembre
2016. Des
membres des forces de sécurité ont tiré sur des manifestants pacifiques,
emprisonné des activistes ainsi que des dirigeants de partis politiques et
fermé des organes de presse, tandis que le gouvernement recourait de plus en
plus à de violents actes de répression.
Dans l’est du pays, la situation
sécuritaire est restée volatile. De nombreux groupes armés ont lancé des
attaques meurtrières contre les civils, tandis que les forces de sécurité
gouvernementales commettaient également des exactions graves.
Liberté
d’expression et droit de rassemblement pacifique
En janvier, à
Kinshasa, la capitale de la RD Congo, ainsi que dans d’autres villes, les
forces de sécurité ont brutalement réprimé des manifestations d’opposants aux
propositions d’amendements de la loi électorale conditionnant la tenue
d’élections nationales à l’organisation d’un recensement national, ce qui
reviendrait à prolonger le mandat de Kabila de plusieurs années.
Des policiers et
des militaires de la Garde républicaine ont tué par balles au moins
38 manifestants à Kinshasa et cinq à Goma, dans l’est de la RD Congo. On
signale également des dizaines de blessés et, à Kinshasa, au moins cinq
disparitions forcées. Peu après qu’une délégation de dirigeants politiques de
l’opposition et de responsables de la société civile soit allée le
21 janvier à l’hôpital général de Kinshasa pour rendre visite à des
manifestants blessés, des militaires de la Garde républicaine se sont
introduits dans l’hôpital et ont tiré des coups de feu sans discernement,
blessant au moins trois visiteurs.
Avant les
manifestations, le gouvernement a fermé deux chaînes de télévision qui avaient
diffusé des appels à manifester, Canal Kin Télévision (CKTV) et Radiotélévision
Catholique Elykia (RTCE). La RTCE a rouvert en juin, tandis que CKTV restait
bloquée au moment de la rédaction des présentes. Pendant les manifestations de
janvier, le gouvernement a également fermé les services de messagerie par SMS
et l’accès à Internet plusieurs jours durant.
Cette même semaine,
les forces de sécurité ont arrêté près d’une douzaine de dirigeants de partis
politiques et d’activistes de premier plan. La plupart ont d’abord été placés
en garde à vue par l’Agence nationale de renseignements (ANR) et détenus sans
inculpation pendant des semaines voire des mois sans pouvoir accéder aux
services d’un avocat ou aux membres de leur famille. En mars,
l’ANR a arrêté une trentaine de jeunes activistes ainsi que d’autres personnes
qui assistaient à Kinshasa à un atelier pour promouvoir le processus
démocratique.
Au moment de la rédaction de ce
chapitre, le défenseur des droits humains Christopher Ngoyi, les jeunes
activistes Fred Bauma et Yves Makwambala et les dirigeants de partis politiques
Jean-Claude Muyambo, Ernest Kyaviro et Vano Kiboko étaient toujours détenus à
la prison centrale de Kinshasa. Le 14 septembre, Kiboko a été reconnu
coupable et condamné à trois ans de prison sur la base de fausses accusations
d’incitation à la haine raciale, de tribalisme et de propagation de faux
bruits. Le 18 septembre, Kyaviro a été déclaré coupable et condamné à
trois ans de prison pour avoir provoqué et incité à la désobéissance civile.
Des procès s’appuyant sur des chefs d’accusation fondés sur des motivations
politiques étaient en cours au moment de la rédaction de ce chapitre.
À Goma, en mars et
en avril, les autorités ont arrêté puis relâché au moins 15 activistes du
mouvement de jeunesse, la LUCHA, qui manifestaient pacifiquement pour réclamer
la libération de leurs collègues détenus à Kinshasa. Certains ont affirmé que
des agents des renseignements les auraient battus ou torturés en employant une
technique qui s’apparente à une quasi-noyade. En septembre, quatre d’entre eux
ont été accusés d’incitation à la désobéissance de l’autorité et condamnés à
six mois de prison avec sursis assortis de douze mois d’observation judiciaire. Douze
autres personnes ont été arrêtées lors d’une manifestation pacifique de la LUCHA à Goma le 28 novembre. Neuf
d’entre eux, dont deux activistes de la LUCHA, se trouvaient toujours en détention au
moment de la rédaction de ce chapitre.
Lors d’un rassemblement de
l’opposition à Kinshasa le 15 septembre, un groupe de voyous armés de
gourdins et de bâtons en bois qui avaient été recrutés et formés par des
membres du parti au pouvoir et de hauts responsables de la sécurité ont attaqué
des manifestants, en blessant plus d’une dizaine. La police est uniquement
intervenue quelque temps plus tard lorsque des manifestants s’en sont pris aux
assaillants—en frappant certains si fort qu’au moins un d’entre eux a ensuite
succombé à ses blessures.
Après que sept éminents dirigeants
politiques de la coalition politique de Kabila, désigné comme le
« G7 », avaient adressé une lettre publique à Kabila le
14 septembre exigeant qu’il respecte la limite constitutionnelle de deux
mandats, les forces de sécurité ont encerclé le domicile de nombre d’entre eux,
intimidé certains de leurs sympathisants et fermé une station de radio qui
appartenait à Christophe Lutundula, l’un des signataires de cette lettre.
Attaques de
civils par des groupes armés
Des dizaines de groupes armés sont
restés actifs dans l’est de la RD Congo. De nombreux commandants ont dirigé des
forces responsables de crimes de guerre, y compris de massacres ethniques, de
meurtres de civils, de viols, de recrutements forcés d’enfants et d’actes de
pillage.
En février, l’armée a lancé des
opérations militaires contre les Forces démocratiques pour la libération du
Rwanda (FDLR), un groupe armé composé majoritairement de Hutus rwandais. Les
FDLR sont responsables de certaines des atrocités les plus graves qui aient été
commises dans l’est de la RD Congo au cours de la dernière décennie. Les
Casques bleus des Nations Unies, qui avaient joué un rôle important dans la
planification de la campagne militaire, ont retiré leur soutien lorsque, à la
dernière minute, le gouvernement a confié la direction de l’opération à deux
généraux. Ces deux hommes étaient impliqués dans des atteintes aux droits
humains perpétrées par le passé. Le gouvernement a ensuite suspendu sa
coopération militaire avec les Casques bleus de l’ONU. Le chef militaire des
FDLR, Sylvestre Mudacumura—sous mandat d’arrêt de la Cour pénale
internationale— est toujours en liberté.
En territoire de Beni, au Nord-Kivu,
des combattants non identifiés ont continué de commettre des massacres sporadiques
de civils, tuant des dizaines de personnes. Plus au nord, dans la province de
l’Ituri, la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI), un groupe
rebelle, a également perpétré de graves atteintes aux droits humains, notamment
des viols et des actes de pillage. En territoire de Rutshuru, dans la province
du Nord-Kivu, des bandits et des groupes armés ont enlevé des dizaines de
civils dans le but d’obtenir une rançon.
En territoire de
Nyunzu, dans le nord de l’ancienne province du Katanga, des combattants de
l’ethnie Luba ont attaqué un camp de personnes déplacées le 30 avril. Les
assaillants ont tué au moins 30 civils membres de la communauté
marginalisée des Batwa, connus sous le nom de « Pygmées », avec des
machettes, des flèches et des haches, et incendié le camp. Des dizaines
d’autres ont été portés disparus et l’on craint qu’ils soient morts. L’attaque
faisait suite à des incursions meurtrières lancées par des milices Batwa contre
les Luba.
Justice et
obligation de rendre compte de ses actes
Mathieu Ngudjolo,
le premier acquitté de la Cour pénale internationale (CPI), a regagné la RD
Congo le 11 mai. Le 2 septembre s’ouvrait devant la CPI le procès de
Bosco Ntaganda, qui doit répondre de 18 chefs d’accusation pour crimes de
guerre et crimes contre l’humanité qu’il aurait commis dans la province de
l’Ituri en 2002 et 2003. Il n’a été inculpé pour aucun des crimes qu’il aurait
par la suite commis au Nord-Kivu. La Procureure de la CPI a déclaré que son
bureau poursuivait ses travaux d’enquête en RD Congo.
Le 19 décembre,
deux dirigeants rebelles congolais, déjà condamné à la CPI, Germain Katanga et
Thomas Lubanga, ont été transférés en RD Congo afin de purger à Kinshasa
le restant des peines prononcées par la CPI. Katanga est poursuivi par la
justice nationale congolaise concernant des accusations de crimes de guerre qui
avaient été portées contre lui au niveau national avant son transfert à la CPI.
Le
28 septembre, un tribunal de Stuttgart, en Allemagne, a reconnu coupables
Ignace Murwanashyaka et Straton Musoni, respectivement ancien président et
vice-président des FDLR, les condamnant à 13 et 8 ans de prison.
Murwanashyaka a été jugé coupable d’avoir commis des crimes de guerre lors de
cinq attaques menées par les FDLR dans l’est de la RD Congo et de diriger une
organisation terroriste. Musoni a quant à lui été jugé coupable de diriger une
organisation terroriste, mais il a été acquitté de l’accusation de crimes de
guerre et de crimes contre l’humanité.
Du 27 avril au 2 mai, le
ministre congolais de la Justice et Human Rights ont organisé une conférence de
grande envergure à Kinshasa afin d’évaluer le programme congolais de réforme de
la justice et de recommander des réformes prioritaires, notamment la création
de chambres spécialisées mixtes pour entendre les crimes de guerre et les
crimes contre l’humanité commis en RD Congo depuis les années 1990.
En août s’est
ouvert devant la Cour d’appel civile de Lubumbashi le procès de 34 membres
des communautés Luba et Batwa du nord du Katanga pour crimes contre l’humanité
et génocide, une première pour un tribunal civil congolais.
Le chef de la FRPI,
Justin Banaloki, alias « Cobra Matata », a été arrêté à Bunia le
2 janvier et accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Au
moment de la rédaction des présentes, il n’avait pas été traduit en justice.
Ntabo Ntaberi Sheka,
visé par un mandat d’arrêt congolais pour crimes contre l’humanité, et plus
précisément pour des viols à grande échelle de près de 400 personnes en
2010, se trouvait toujours en liberté au moment de la rédaction de ce chapitre.
Ses troupes ont continué de commettre des exactions graves.
La situation n’a
pas progressé concernant la traduction en justice, d’une part, des auteurs de
l’exécution sommaire d’au moins 51 jeunes hommes et garçons et de la
disparition forcée de 33 autres lors d’une campagne menée par la police à
Kinshasa, connue sous le nom d’Opération Likofi, de novembre 2013 à février
2014 ou, d’autre part, des responsables d’exactions sommaires perpétrées
pendant les manifestations de janvier.
Le gouvernement n’a
pas exhumé la fosse commune de Maluku, région rurale située à environ
80 kilomètres de Kinshasa, où il a reconnu avoir enterré 421 cadavres
le 19 mars. Le 5 juin, des membres des familles des personnes
portées disparues ou exécutées par les forces de sécurité congolaises lors de
l’Opération Likofi et des manifestations de
janvier ont déposé une plainte publique devant le procureur de la République.
Principaux
acteurs internationaux
On ne relève guère de progrès dans
la mise en œuvre de l’« accord-cadre » signé en février 2013 par
11 pays africains (auxquels sont ensuite venus s’ajouter deux autres pays)
visant à mettre un terme à la rébellion du M23—un groupe armé soutenu par le
Rwanda et responsable d’exactions, qui a été vaincu en novembre 2013—et à
traiter les autres questions relatives à la sécurité dans la région. De
nombreux anciens combattants et commandants du M23 sont restés en Ouganda et au
Rwanda, dont six anciens officiers visés par des mandats d’arrêt congolais pour
crimes de guerre et crimes contre l’humanité et qui figurent également sur des
listes de sanctions publiées par l’ONU et les États-Unis.
En juillet, le Département d’État
américain a nommé Thomas Perriello au poste d’Envoyé spécial pour la région des
Grands Lacs, succédant ainsi à Russ Feingold.
Perriello et d’autres hauts fonctionnaires américains ont continué de faire
savoir publiquement qu’il était indispensable que des élections nationales
aient lieu dans un délai opportun afin d’empêcher un regain de violence, de
répression et d’instabilité.
L’ONU, les États-Unis et les pays
européens ont publiquement condamné les arrestations de jeunes activistes
pro-démocratie et, en juillet, le Parlement européen a adopté une résolution
d’urgence réclamant leur libération immédiate et condamnant d’autres actes de
répression politique.
En octobre, le Secrétaire général de
l’ONU Ban Ki-moon a annoncé qu’il chargeait Maman Sidikou, ancien ministre des
Affaires étrangères du Niger et haut officiel de l’Union africaine, d’être son
représentant spécial en RD Congo et de prendre la tête de la MONUSCO, succédant
ainsi à Martin Kobler. M. Sidikou aura pour mission de mettre en œuvre le
mandat puissant de la MONUSCO pour défendre les droits humains et l’état de
droit lors de ce qui pourrait constituer une période électorale volatile pour
la RD Congo.
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