Plus de 200
organisations de défense des droits humains exhortent au respect des libertés
d'expression et de réunion
(Kinshasa, le 15 juin
2015) – Les autorités congolaises devraient libérer immédiatement et sans
condition deux activistes arrêtés il y a trois mois, lors d'un atelier des
jeunes pro-démocraties tenu le 15 mars en République Démocratique du Congo, a déclaré le 15 juin 2015 une
coalition de 14 organisations internationales et 220 organisations congolaises
de défense des droits humains. Fred Bauma et Yves Makwambala ont été arrêtés
lors de cet atelier organisé pour le lancement de « Filimbi », une plateforme
qui vise à encourager les jeunes Congolais à accomplir pacifiquement et de
manière responsable leurs devoirs civiques.
Le gouvernement devrait
également libérer d'autres activistes, membres des partis d'opposition et
autres personnes détenues uniquement en raison de leurs opinions politiques ou
pour avoir participé à des activités pacifiques, et abandonner toute poursuite
à leur encontre.
« Les autorités
congolaises devraient cesser de porter atteinte aux libertés d'expression et de
réunion, qui sont des droits humains fondamentaux protégés tant par la
constitution congolaise que par le droit international relatif aux droits
humains », a déclaré Ida Sawyer,
chercheuse senior sur l'Afrique à Human Rights Watch. «Les membres de Filimbi et d'autres
organisations devraient être autorisés à tenir des ateliers sur le processus
démocratique sans crainte d'être arrêtés. »
Une « mission
d'information » parlementaire, créée le 27 mars, pour examiner la manière dont
les services de sécurité de la RD Congo ont géré le dossier Filimbi, n'a trouvé
aucune preuve démontrant que les dirigeants de Filimbi et les participants à
l'atelier étaient impliqués dans la commission ou la préparation d'actes
terroristes ou d'autres crimes violents, selon son rapport, dont les
organisations signataires ont obtenu copie. Après un débat sur le rapport tenue
à huis clos au parlement les 12 et 13 juin, l’Assemblée nationale de la RD
Congo a recommandé une « solution politique » qui permettrait la
libération des deux activistes qui sont toujours en détention, selon des
membres du parlement qui ont assisté au débat.
Le 15 mars, l'Agence nationale de renseignement (ANR) de la RD Congo a arrêté une
trentaine d'activistes pro-démocratie
et d'autres personnes lors d'un atelier de Filimbi tenu dans la capitale,
Kinshasa. Parmi les personnes arrêtées figuraient des activistes sénégalais et burkinabés, un diplomate
américain, des journalistes congolais et étrangers, ainsi que des activistes,
des musiciens, des artistes et des logisticiens congolais. Un autre activiste
de Filimbi
a été arrêté le 16 mars. D’autres personnes ayant des liens avec Filimbi, y
compris un artiste graphiste et des employés de Rawbank qui ont géré le compte
bancaire de Filimbi, ont été aussi arrêtées par l’ANR par la suite.
Les autorités ont remis
en liberté la plupart de ces personnes lors de la première semaine, mais deux
d'entre elles demeurent en détention : Fred Bauma, membre de La Lutte pour le
Changement (LUCHA),
mouvement basé à Goma dans l'Est de la RD Congo, et Yves Makwambala, webmaster
et artiste graphiste.
Après avoir été détenu
pendant plus de 40 jours par l’ANR sans charge et sans accès à l’assistance
juridique ou d’avoir été présentés devant une autorité judiciaire compétente,
Makwambala et Bauma ont été transférés au parquet, respectivement le 24 avril
et le 4 mai. Les deux jeunes sont actuellement incarcérés dans la prison
centrale de Kinshasa.
Makwambala et Bauma,
ainsi que quatre autres leaders de Filimbi qui n’ont pas été arrêtés, sont
inculpés d'appartenance à une association formée dans le but d’attenter aux
personnes et aux biens ; d’avoir comploté contre la vie ou contre la
personne du Chef de l’Etat ; et d’avoir tenté de détruire ou de changer le
régime constitutionnel, ou d'avoir incité des personnes à s’armer contre
l’autorité de l’Etat. Les autorités ont aussi accusé Bauma d’avoir troublé
l'ordre public, et Makwambala d’avoir publiquement offensé le chef de l’Etat.
Ces chefs d’accusation semblent être basés sur des motifs politiques, selon les
organisations.
Lors d'une conférence de
presse tenue le 18 mars, le ministre de la Communication, Lambert Mende, a
déclaré que les dirigeants de Filimbi préparaient des « activités
terroristes » et une « insurrection violente ». Les
responsables judiciaires ont affirmé en privé à des activistes des droits
humains qu'aucun élément de preuve n'existe pour étayer les chefs d'accusation,
mais que ceux-ci faisaient partie d'un dossier qui leur avait été transmis par
des responsables des services de renseignement.
«Cela fait des mois
que les autorités congolaises maintiennent Fred Bauma et Yves Makwambala en
détention, sans aucun motif crédible »,
a déclaré Jean-Claude Katende, président national de l’Association Africaine de
défense des Droits de l’Homme (ASADHO).
« Les deux hommes
devraient être libérés immédiatement et sans condition, et toutes les
poursuites à leur encontre devraient être abandonnées. Les autorités
judiciaires congolaises doivent affirmer leur indépendance et garantir la
protection des droits reconnus par la Constitution, les lois congolaises, ainsi
que les traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la RD
Congo. »
Le rapport parlementaire
– qui n’a relevé aucun élément de preuve d'activités terroristes ou violents
par les membres de Filimbi – a en outre omis d’aborder la question des actes
illégaux présumés commis par les services de renseignement congolais. Parmi ces
actes figurent le maintien en détention des personnes arrêtées sans chef
d'accusation pendant plus de 48 heures, ainsi que le déni d’accès à une
assistance juridique ou à la possibilité de comparaître devant une autorité
judiciaire compétente, droits qui sont pourtant garantis par la constitution de
la RD Congo.
Des responsables des
services de renseignement ont confisqué les passeports et d'autres matériels
appartenant à certaines des personnes arrêtées après l'atelier de Filimbi et
ultérieurement libérées, et leur ont ordonné de se présenter à l'agence de
renseignement toutes les 48 heures. D'autres personnes qui ont participé à
l'atelier, mais n'ont pas été arrêtées, vivent depuis lors dans la
clandestinité par crainte d'être arrêtées. Dans certains cas, les autorités ont
perquisitionné illégalement leurs domiciles ou elles ont perdu leur emploi
pendant leur période de clandestinité.
À Goma, en mars et avril,
les autorités ont arrêté, puis ultérieurement remis en liberté, au
moins 15 activistes du mouvement de jeunesse de LUCHA, qui manifestaient
pacifiquement pour réclamer la libération de leurs collègues détenus à
Kinshasa. Certains ont affirmé avoir été passés à tabac ou torturés selon une
technique s'apparentant au simulacre de noyade, par des agents des services de
renseignement et des policiers qui les avaient arrêtés. Quatre d'entre eux ont
été remis en liberté provisoire mais devront répondre de l'accusation
d'incitation à la désobéissance à l'autorité publique.
Le gouvernement congolais
devrait mener une enquête, et poursuivre en justice de manière appropriée les
personnes responsables d’avoir violé les droits des participants à l'atelier de
Filimbi ainsi que des activistes de la LUCHA, ont affirmé les organisations.
Les arrestations des
membres de Filimbi, ainsi que d'autres activistes ayant organisé des
manifestations en leur soutien, ont eu lieu dans un contexte de répression plus
générale exercée à l'encontre de dirigeants de partis politiques, d'activistes
et d'autres personnes qui ont protesté contre les tentatives qui permettraient
au président congolais Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la
limite de deux mandats imposée par la constitution, son second mandat se
terminant fin 2016.
Les autorités congolaises
devraient aussi libérer les autres activistes et les dirigeants de partis
politiques qui ont été mis en détention pour avoir pacifiquement exprimé leurs
opinions politiques ou pour avoir participé à des manifestations pacifiques ou
à d'autres activités non violentes, ont affirmé les organisations de défense
des droits humains. Le défenseur des droits humains Christopher Ngoyi et les
leaders politiques Cyrille Dowe, Jean-Claude Muyambo, Jean-Bertrand Ewanga,
Ernest Kyaviro et Vano Kalembe Kiboko sont tous détenus depuis plus de quatre
mois, dans certains cas sans inculpation et sans avoir accès à leurs familles
ou avocats, apparemment sur la base de motifs politiques.
« Les autorités congolaises –
en particulier les services de renseignement – ont procédé à des arrestations
illégales afin de réduire au silence toute voix dissidente, tout en portant
atteinte aux droits humains dans la période menant aux élections en 2016 », a conclu Sarah Jackson,
Directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l'Est, de la Corne et des
Grands Lacs auprès d’Amnesty International. « Les autorités
devraient prendre d'urgence des mesures pour mettre fin à la répression, et
s'assurer du respect des libertés d'expression et de réunion pacifique. »
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