Monsieur
le Président,
En
ce moment crucial que traverse notre cher et beau pays, en ce moment où donc
vous êtes acculé à des choix historiques, qui vont marquer la République Démocratique
du Congo et son devenir dans les cinq à quinze ans à venir, j’ai l’honneur de
vous faire part de ce que je considère comme « les impératifs de l’unité
nationale ». De cette unité, vous demeurez le garant constitutionnel, la
nation vous ayant renouvelé toute sa confiance le 28 novembre 2011. Sans cette unité
– nous en sommes tous conscients – aucun rêve du Congo n’est possible, aucun
rêve pour le Congo n’est réalisable.
C’est
un simple citoyen congolais qui vous écrit, – patriote tout de même, qui
réfléchit sur le devenir de son pays et dont les analyses ne manquent pas d’objectivité.
Ma lettre comprend deux parties, complémentaires.
La
première reprend les conclusions d’un texte du 5 juin 2009. Il a été présenté
aux membres de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de
Lubumbashi à l’occasion des « Journées scientifiques » de la Faculté,
organisées chaque année académique. Le thème débattu en 2008-2009 a été
« La conscience nationale, de l’Indépendance à la IIIe République :
Etat de la question ». Mon texte portait ce titre : « La
République Démocratique du Congo et son unification, 1885-2021. » La
seconde partie de cette lettre prolonge l’analyse faite alors, des impératifs
de l’unité nationale, et qui s’est révélée pertinente.
Les impératifs de l’unité nationale
I
La liberté est le seul gage de l’unité
nationale, d’une unité de volonté, unité voulue, par conséquent négociée, et
« plébiscitée », tous les jours. Cette liberté est elle-même possible
seulement en régime démocratique, qu’assurent, que portent, que consacrent les
élections. Par bonheur, en République Démocratique du Congo, celles-ci ont
définitivement pris leur envol en 2006-2011 ; elles se consolideront en
2011-2016 ; elles seront nationalisées en 2016-2021, deviendront un
« fait national ».
Aussi suis-je arrivé alors (le 5 juin
2009) aux conclusions suivantes :
·
« Les
élections générales de 2011 auront bel et bien lieu. Elles seront la répétition
des élections générales de 2006, par leurs résultats ; tout comme les
élections générales de 2016 le seront de celles de 2011, la cassure ne
s’opérant qu’en 2021. Il s’agit bien de la répétition des grandes lignes, des
tendances générales, celles qui comptent vraiment, et qui renforcent l’unité
nationale, la cimentent, l’ancrent dans la mentalité des Congolais.
·
Ainsi
Joseph Kabila sera-t-il reconduit en 2011. Il devra cependant passer le relais
en 2016, même si son parti ou sa plate-forme politique l’emportera. En 2021 le
parti ou la plate-forme politique adverse gagnera les élections. Deux dates
seront capitales pour la suite de la démocratisation du pays et de l’unification
nationale : 2016, succession de Kabila, et 2021, changement de la majorité
au pouvoir. »
Aussi
ai-je dégagé alors (le 5 juin 2009) « les principales tendances de l’évolution
du pays et du monde, dont les gouvernants actuels et virtuels devront tenir
compte pour espérer susciter l’adhésion des citoyens ou mobiliser ceux-ci et se
tailler une popularité », à savoir :
·
« La
bipolarisation de la vie politique nationale. Ainsi l’Alliance de la majorité
présidentielle (AMP) pourra-t-elle se maintenir et se renforcer, sous ce nom ou
sous un autre. Seule une autre alliance des forces politiques sera à même de
contrebalancer son poids, peser lourd et faire pencher la balance de son côté.
·
L’indépendance
économique plus accentuée du pays. Elle passe par la rupture avec les
institutions de Bretton Woods ou, plutôt, par l’équilibrage de leur influence
dans le pays, influence économique et donc politique, par celle d’autres
sources de financement. Les contrats chinois sont une tentative qui va dans ce
sens et qui est à soutenir contre vents et marées. Une autre tentative à
courageusement prendre et soutenir : le remboursement au plus tôt (avant
2016) ou la dénonciation pure et simple des dettes contractées par la Deuxième
République, dettes injustes, le FMI s’étant déjà servi, et largement !
·
La
politique des grands travaux. Les grands travaux modernisent et développent le
pays ; ils désenclavent ses parties, les connectent les unes aux autres,
accentuent leur interdépendance ; ils rapprochent ses habitants et les
font se connaître davantage mutuellement. Ces grands travaux, et nos des
slogans, servent plus l’unification nationale.
·
La
réconciliation nationale. Elle exige d’oublier bien des choses. Tous les
nationaux sont à impliquer, sans exception, au même titre, partout au pays,
dans tous les aspects de la vie nationale. Cette réconciliation se réalisera
aussi par le partage équitable des richesses nationales.
·
La
prévalence de l’intérêt général bien défini. L’intérêt général doit absolument
et en toute circonstance l’emporter sur les intérêts des particuliers, ceux des
multinationales, des entités géographiques, ethniques ou administratives, des
identités de tous genres, des citoyens individualistes et égoïstes, souvent
véreux.
·
L’ouverture
à l’extérieur dans l’unité. L’heure est aux grands ensembles économiques, et
même politiques. Cependant ces grands ensembles ne seront viables que si leurs
éléments constitutifs le sont eux-mêmes. La vocation de la RDC est d’unifier
l’Afrique centrale – sous le nom de Congo –, d’être la locomotive des
institutions régionales et continentales. La RDC doit donc être forte, unie. »
Les impératifs de l’unité nationale
II
Deux dates demeurent
bien capitales : 2016, succession de Joseph Kabila Kabange, et 2021, changement
de majorité présidentielle au pouvoir. Il faudra préparer ou négocier et
réussir au mieux ces deux événements majeurs afin que la démocratisation de la
République Démocratique du Congo et, en conséquence, l’unification de la nation
congolaise se consolident davantage au point de devenir un patrimoine national.
1. De la succession du président
Joseph Kabila Kabange
Elle est à préparer par et au sein de
la majorité présidentielle, dès aujourd’hui. Celle-ci l’emportera, à coup sûr,
en 2016. C’était bien prévisible, pour moi de toute façon, en 2009 déjà. Ce
l’est plus et mieux encore aujourd’hui.
La
victoire de la majorité présidentielle actuelle sera facilitée par l’autre
partie, la partie adverse, l’opposition. Pour la simple et bonne raison que
celle-ci ne veut pas jouer son rôle, celui que la Constitution de la République
lui reconnaît, qui renforce toute démocratie, rôle de contrepoint du pouvoir,
de contrepoids aux dérives du pouvoir, et de son challenger.
L’opposition
en République Démocratique du Congo marque le pas, fait du surplace. C’est, dirait-on,
son mode d’être. Dès lors aucun des meilleurs perdants de 2006 n’a fait un
score notable en 2011; aucun ne pouvait le faire ! Dès lors aucun des
meilleurs perdants de 2011 ne compte faire un score honorable en 2016,
l’améliorer en 2021 et l’emporter, éventuellement, en 2026 ; aucun ne s’y
prépare ! Parmi eux, point de marathonien – tous des coureurs de cent
(moins même) mètres, à souffle puissant mais court. Parmi eux, point de pendant
d’un François Mitterrand en France, d’un Michael Sata en Zambie, pour ne citer
que ces deux-là.
Radicale,
l’opposition en République Démocratique du Congo s’abstient, considérant les
élections – depuis les années 1990 – comme une corde perfide qu’on lui tend
pour… se pendre, en tout cas perdre sa virginité ou, plutôt, son aura, de fille
aînée de l’opposition congolaise. Ou bien elle pratique la politique de la
chaise vide : pour elle, c’est tout ou rien ; c’est aujourd’hui ou
jamais. Une opposition de casse-cou, qui ne peut que tout affaiblir, elle-même,
le pouvoir en place, le pays, la nation ; qui ne peut que faire le jeu des
puissances étrangères.
Modérée,
l’opposition en République Démocratique du Congo ne se voit pas en dehors du
pouvoir, dans ses marges. Elle s’oppose non pour camper dans l’opposition, non
pour se frayer un chemin au pouvoir, mais pour être au pouvoir avec le pouvoir.
Une opposition de positionnement, qui n’a en vue que des gouvernements
inclusifs, d’union nationale, gouvernements stériles sinon stérilisants. Une
opposition de négociateurs, de concertateurs, qui remonte aux années 1990, qui a
bradé le pays, et son patrimoine, qui a compromis la nation, et son unification.
2. Du successeur du président
Joseph Kabila Kabange
Il
est à désigner au sein de la majorité présidentielle actuelle et à préparer par
elle, dès aujourd’hui. Cette
majorité présidentielle se veut un microcosme de la Patrie, un creuset de
patriotes. Elle se définit et se considère comme l’African National Congress
(ANC) de la République d’Afrique du Sud, comme la Chama Cha Mapinduzi (CCM) de
la République Unie de Tanzanie.
La
majorité présidentielle actuelle est bien, à l’instar de ses homologues, un
parti au pouvoir, un parti du pouvoir,
dont la prépondérance politique est nette et la longévité au pouvoir assurée. Celle-ci
et celle-là s’expliquent aisément : par la qualité des cadres autant sinon
davantage par le roulement de ceux-ci au pouvoir, aux différents postes du
pouvoir. Aucun cadre ne monopolise aucun poste, par respect de la Constitution,
pour promouvoir la démocratie, afin de renforcer l’unité nationale.
Cette
unité nous est chère à tous, et dès les premiers pas, dès les premiers efforts
de la construction de la nation. En effet, tout précaire en 1960, elle a
cependant été préservée, bien préservée. Des sacrifices, il a fallu en consentir :
Joseph Kasa-Vubu fut placé à la tête du pays, de la nation ; il se révéla le
plus Congolais des Congolais. Bien précaire encore en 1964, l’unité nationale a
cependant été à nouveau préservée, bien préservée. Il a fallu oublier bien des
choses : Moïse Tshombe fut nommé premier ministre (et serait devenu le 2e
président de la République Démocratique du Congo, n’eût été le coup du 24
novembre 1965) ; il se montra le plus nationaliste des nationalistes
congolais.
Certes,
aujourd’hui, l’unité nationale n’est plus précaire. Elle reste néanmoins à
négocier, à plébisciter chaque jour. Bien des choses sont encore à oublier, à
lui sacrifier, et des démons de la division à contrer, à convertir – au
nationalisme. Aussi sage – nationaliste – est, il faut en convenir, la décision
politique arrêtée à ce jour, celle de remettre à plus tard l’érection des
nouvelles provinces. Quand il faudra s’y résoudre, ce ne sera point au
détriment de l’unité nationale.
La
consolidation de cette unité nationale et le roulement normal des cadres de la
majorité présidentielle voudraient que la Province Orientale donne à son tour
au pays, à la nation, à la République un premier ministre en 2011, un président
en 2016. La Province orientale ? Plus précisément la (future) province de
l’Ituri. Qui risque de se tourner – avec hommes et biens – plus vers l’Est, ou
être tentée de rééditer le récent exploit de celui qui est devenu, au nord-est,
le voisin de la République Démocratique du Congo : le Soudan du Sud.
3. De l’échéance électorale de 2021
Serons-nous
les témoins historiques du changement de majorité présidentielle ? de l’alternance
du pouvoir plutôt ? Ce n’est
évidemment pas la même chose ; bien s’en faut. 2021 sera fait de 2011 et,
plus encore, de 2016, de 2016-2021. Et il pourra y avoir changement de majorité
présidentielle sans alternance du
pouvoir. De toute façon la gagnante, la seule gagnante de 2021 devra
absolument, nécessairement être (comme en 2006, comme en 2011, comme en 2016) l’unité
nationale. Seule elle devra peser, s’imposer ; seule elle pèsera, en imposera
à tous.
Veuillez agréer, Monsieur le
Président, l’hommage de mon profond respect.
Lubumbashi, le 25
février 2012
Yogolelo Tambwe
ya Kasimba
Professeur à
l’Université de Lubumbashi
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