Les autorités ont également restreint les déplacements de leaders de l’opposition, arrêté des dizaines de partisans de l’opposition et empêché un aspirant candidat à la présidence, Moïse Katumbi, d’entrer dans le pays pour déposer son dossier de candidature pour l’élection présidentielle prévue plus tard cette année.
« Les autorités congolaises ont fermement réprimé l’opposition politique dans une tentative manifeste de contrôler le processus électoral », a déclaré Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les élections ne peuvent pas être crédibles lorsqu’on empêche un leader de l’opposition de participer et que les partisans de l’opposition risquent la mort, des blessures ou une arrestation quand ils descendent dans les rues pour soutenir pacifiquement leurs leaders. »
Les conclusions s’appuient sur des entretiens en personne et par téléphone en août avec plus de 45 victimes et témoins des violations, travailleurs médicaux, activistes ainsi que membres et leaders de partis politiques congolais à Kinshasa, à Goma et à Bruxelles, en Belgique.
Le gouvernement congolais devrait mettre un terme à l’usage excessif de la force contre les partisans de l’opposition, libérer les membres de partis d’opposition et activistes arbitrairement détenus ainsi qu’enquêter sur les violations graves et traduire en justice les responsables, a poursuivi Human Rights Watch. Les autorités devraient permettre à toutes les Congolaises et tous les Congolais de participer pleinement et librement au processus électoral, y compris en laissant Moïse Katumbi entrer dans le pays et s’inscrire en tant que candidat.
Les gouvernements et les organismes régionaux concernés devraient faire pression pour que le président Joseph Kabila et les autres hauts fonctionnaires mettent fin à la répression de l’opposition et garantissent un processus électoral libre, équitable et inclusif. Les gouvernements et les organismes régionaux devraient étendre les sanctions ciblées si les atteintes aux droits humains se poursuivent.
Le 1er août, les forces de sécurité ont lancé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles pour disperser des dizaines de milliers de partisans qui s’étaient réunis pour accueillir le leader de l’opposition et ancien vice-président Jean-Pierre Bemba dans la capitale, Kinshasa, blessant au moins deux personnes. Jean-Pierre Bemba est rentré en RD Congo pour s’inscrire en tant que candidat à la présidentielle après que la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) l’a acquitté des chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité le 8 juin dernier. Peu après l’arrivée de Jean-Pierre Bemba à Kinshasa, les forces de sécurité l’ont empêché de se rendre à sa résidence située dans la commune de la Gombe, en plein centre-ville. Les autorités ont déclaré que sa maison se trouvait dans un « site présidentiel » et qu’il ne pouvait pas y résider.
Le 2 août, le maire de Lubumbashi, dans le sud-est de la RD Congo, a publié une déclaration écrite précisant que Moïse Katumbi ne serait pas autorisé à atterrir à l’aéroport de Lubumbashi par avion privé, comme il l’avait demandé. Moïse Katumbi, qui a passé les deux dernières années en exil en raison d’une série de procédures judiciaires motivées par des raisons politiques, s’est rendu en Zambie à la place et a tenté d’entrer en RD Congo par la route au poste-frontière de Kasumbalesa le 3 août. Les autorités congolaises ont averti Moïse Katumbi qu’elles l’arrêteraient immédiatement à son arrivée en RD Congo. Mais au lieu de cela, lorsque Moïse Katumbi a atteint la frontière, les fonctionnaires ont fermé la frontière et lui ont refusé l’entrée sur le territoire.
Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et lancé des gaz lacrymogènes pour disperser les milliers de partisans venus accueillir Moïse Katumbi du côté congolais de la frontière le 3 août, faisant au moins un mort et un blessé. Des dizaines de partisans ont été arrêtés. Les forces de sécurité se sont aussi déployées massivement dans les quartiers de Lubumbashi et ont dressé des barrages routiers sur les routes principales, où ils ont fouillé systématiquement les véhicules.
La police a aussi empêché des membres du parlement et d’autres responsables appartenant à la plate-forme politique de Moïse Katumbi de poursuivre leur route, alors qu’ils se rendaient en voiture à l’aéroport de Lubumbashi, pour y attendre l’atterrissage de Moïse Katumbi. « Comme nous tentions de passer, un agent de police a pointé son arme sur nous et a menacé de nous tirer dessus si nous osions poursuivre notre chemin », a raconté un responsable à Human Rights Watch. « Il a dit qu’il exécutait les ordres de leur hiérarchie », a déclaré le responsable. Quand la délégation a plus tard essayé de rejoindre Kasumbalesa pour y rencontrer Moïse Katumbi, la police l’a stoppée à un barrage routier juste à la sortie de la ville et l’a obligée à faire demi-tour.
Dans la ville de Goma, dans l’est du pays, la police a empêché des membres de la plate-forme de Moïse Katumbi d’organiser une manifestation pacifique le 3 août. Les manifestations se sont poursuivies à Lubumbashi et à Kasumbalesa au cours des jours suivants, alors que les autorités ont maintenu leur refus de laisser Moïse Katumbi entrer dans le pays. Le 6 août, les forces de sécurité ont abattu un garçon de 10 ans et ont blessé au moins quatre personnes lors de manifestations à Lubumbashi.
La police a, de nouveau, fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser les partisans pacifiques d’un autre leader de l’opposition, Félix Tshisekedi, quand il a déposé son dossier de candidature à la présidence auprès de la commission électorale nationale, la CENI, à Kinshasa le 7 août.
Malgré la campagne menée par de hauts responsables du parti au pouvoir pour que le président brigue un troisième mandat anticonstitutionnel – et face à la pressionnationale, régionale et internationale croissante pour qu’il se retire – le président Joseph Kabila n’a pas déposé sa candidature. Au lieu de cela, il a choisi Emmanuel Ramazani Shadary, actuel secrétaire permanent du parti au pouvoir et ancien vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, en tant que candidat pour sa plate-forme électorale. En mai 2017, l’Union européenne a sanctionné Emmanuel Ramazani pour avoir « contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme » en RD Congo.
Au total, 25 personnes ont déposé un dossier de candidature en vue de l’élection présidentielle pendant la période d’inscription entre le 25 juillet et le 8 août. Le 8 août, Moïse Katumbi a déposé deux plaintes auprès du Conseil d’État, la plus haute cour du pays, contestant le refus de la Direction générale de migration de le laisser entrer dans le pays et appelant la commission électorale à lui permettre de s’inscrire sur les listes électorales et de soumettre sa candidature. La cour n’a pas encore rendu sa décision.
La commission électorale a publié sa liste préliminaire de candidats le 24 août, disqualifiant six candidats à la présidentielle, dont Jean-Pierre Bemba et trois anciens Premiers ministres, pour des raisons que de nombreux activistes de la société civile etleaders de l’opposition politique ont dénoncées comme arbitraires et motivées par des considérations politiques. Les candidats peuvent faire appel auprès de la Cour constitutionnelle du pays. La liste finale des candidats sera publiée le 19 septembre.
« Le fait que Joseph Kabila ne pose pas sa candidature est une première étape cruciale, mais nous sommes encore bien loin d’un processus électoral crédible », a conclu Ida Sawyer. « Une pression permanente des partenaires régionaux et internationaux de la RD Congo est nécessaire pour éviter de nouvelles répressions et de nouveaux bains de sang et pour que le pays connaisse une véritable transition démocratique. »
La quête de nouvelles élections
Au cours des trois dernières années, les responsables du gouvernement congolais et du parti au pouvoir, ainsi que les forces de sécurité gouvernementales, ont utilisé la répression, la violence et la corruption pour étendre leur mainmise sur le pouvoir. Le président Joseph Kabila est toujours en fonction au-delà de la limite des deux mandats permis par la constitution, qui ont pris fin en décembre 2016.
Les forces de sécurité ont tué près de 300 personnes lors de manifestations politiques essentiellement pacifiques depuis 2015, y compris en recrutant d’anciens combattants du groupe armé violent M23 pour prendre part à la répression. Les services de sécurité ont arrêté des centaines de partisans de l’opposition politique, d’activistes pro-démocratie et de défenseurs des droits humains. Les services de renseignements ont infligé de mauvais traitements à bon nombre d’entre eux et les ont maintenus en détention illégale pendant des semaines ou des mois, sans chef d’inculpation ni accès à leur famille ou à leurs avocats. D’autres ont été jugés pour de fausses accusations.
Un accord de partage du pouvoir sous la médiation de l’Église catholique, signé le 31 décembre 2016 et connu sous le nom de l’accord de la Saint-Sylvestre, a appelé à la tenue d’élections avant la fin de l’année 2017 et à l’instauration de « mesures de décrispation » pour apaiser les tensions et ouvrir l’espace politique. La coalition au pouvoir en RD Congo a largement bafoué ces engagements, alors que la répression continue et que de nombreux prisonniers politiques et activistes sont toujours en détention. En novembre 2017, la commission électorale a publié un calendrier électoral fixant le 23 décembre 2018 comme date des élections présidentielles, législatives et provinciales.
Le cas de Moïse Katumbi était l’un des « cas emblématiques » souligné dans les mesures de décrispation de l’accord de la Saint-Sylvestre. La conférence des évêques catholiques de la RD Congo et beaucoup d’autres ont dénoncé les irrégularités dans les procédures judiciaires contre Moïse Katumbi, y compris des pressions politiques sur des juges pour qu’ils statuent contre Katumbi. Un juge qui avait refusé de rendre un jugement contre Katumbi a reçu des balles et a presque été tué par des hommes armés non identifiés. En juin 2017, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a déclaré que Katumbi devrait être autorisé à revenir en RD Congo et à participer pleinement au processus électoral.
Le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, a annoncé le 16 août 2018 que la RD Congo avait émis un mandat d’arrêt international contre Katumbi.
Dans une déclaration du 9 août, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki, a lancé un appel à « tous les acteurs concernés pour qu’ils œuvrent, ensemble et de bonne foi, à la tenue d’élections paisibles, transparentes et véritablement inclusives, notamment en garantissant le droit de tous les citoyens qui le souhaitent [...] à y concourir. »
Le 13 août, le Conseil de sécurité de l’ONU a « réaffirmé que la mise en œuvre effective, rapide et de bonne foi de l’Accord [de la Saint-Sylvestre de 2016], notamment les mesures de confiance de l’Accord ainsi que le respect des droits fondamentaux et du calendrier électoral, est essentielle pour la tenue d’élections pacifiques et crédibles le 23 décembre, la garantie d’une transition de pouvoir démocratique, ainsi que la paix et la stabilité de la République démocratique du Congo. »
Dans un entretien accordé à Radio France Internationale (RFI) le 14 août 2018, le ministre des Affaires étrangères angolais, Manuel Domingos Augusto, a indiqué que la décision de Joseph Kabila de ne pas se présenter était « un grand pas », mais que d’autres actions doivent être entreprises « pour que le processus électoral puisse aboutir et atteindre les objectifs qui ont été fixés par les Congolais ». Il a insisté sur la nécessité d’un respect total de l’accord de la Saint-Sylvestre, y compris des mesures de décrispation, et sur le fait que les élections doivent être inclusives.
Lors d’un récent sommet de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) à Windhoek, en Namibie, le président namibien et nouveau président de la SADC, Hage Geingob, a déclaré dans un entretien accordé à RFI que la crise en RD Congo pourrait entraîner un nouvel exode de réfugiés vers les pays voisins si elle n’est pas résolue. « C’est pourquoi, en tant qu’organisation sous-régionale, on intervient pour dire : collègues de la région, nous avons des règles à propos des élections », a-t-il expliqué. « Il faut qu’elles soient inclusives, il faut qu’elles soient transparentes et que les leaders de l’opposition aient leur mot à dire. »
Des groupes de défense des droits humains et pro-démocratie congolais ont créé une plate-forme en ligne le 14 août contenant des informations détaillées sur le processus électoral et mentionnant 10 conditions identifiées comme nécessaires à des élections libres, équitables, transparentes et inclusives.
Ils ont appelé le gouvernement à libérer immédiatement les prisonniers politiques, à permettre le retour libre des personnes vivant en exil, à autoriser la réouverture des médias fermés arbitrairement, à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire et à accorder à tous les Congolais la liberté de manifester pacifiquement. Ils ont aussi indiqué que la commission électorale devrait refuser l’utilisation des machines à voter controversées considérées comme susceptibles de créer un risque de fraude électorale, nettoyer les listes électorales et apporter de la transparence dans ses activités et son financement.
Répression à l’encontre des partisans de Moïse Katumbi
Quand les partisans de Moïse Katumbi se sont rassemblés au poste-frontière de Kasumbalesa le 3 août, les forces de sécurité ont tué au moins une personne et blessé une autre par balle. Human Rights Watch a reçu des rapports dignes de foi indiquant que les forces de sécurité avaient tué deux autres personnes à Kasumbalesa ce jour-là et le lendemain. Le 6 août, des policiers et des soldats se sont déployés dans Lubumbashi, la capitale de la province, située à environ 90 kilomètres de Kasumbalesa. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles pour disperser les manifestants dans plusieurs quartiers, tuant un enfant et blessant quatre autres personnes. Certains des manifestants auraient mis le feu à des étals et à des voitures et pillé des magasins.
Le frère d’Olivier Tchamala Kambaji, étudiant de 19 ans et vendeur d’unités téléphoniques, a décrit le meurtre de son frère à Kasumbalesa le 3 août :
Violations des droits à l’encontre de Jean-Pierre Bemba et de ses partisans
Quand Jean-Pierre Bemba est rentré en RD Congo le 1er août après 11 années passées à l’étranger, la police a restreint ses mouvements et ceux de ses partisans. La secrétaire générale du parti politique Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, Ève Bazaiba, a indiqué que les autorités ont effectué des changements de dernière minute à leur itinéraire convenu la veille de l’arrivée de Jean-Pierre Bemba :
Après que Jean-Pierre Bemba a déposé sa candidature auprès de la commission électorale nationale (CENI) le 2 août, les forces de sécurité ont à nouveau utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser ses partisans.
Le 24 août, la commission électorale a rejeté la candidature de Bemba au motif qu’il avait été condamné pour subornation de témoins dans une affaire distincte à la CPI. La loi congolaise interdit aux personnes condamnées par un jugement irrévocable de corruption de briguer la présidence. Des responsables du MLC ont soutenu que la subornation de témoins ne constitue pas de la corruption, et le 27 août, les avocats de Jean-Pierre Bemba ont fait appel à la Cour constitutionnelle afin d’annuler la décision.
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