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jeudi 30 août 2018

Faut-il élargir la corruption à la subornation de témoins ?


Le processus électoral en République Démocratique du Congo continue de susciter des débats. Si hier se posait la question de la révisabilité des dispositions constitutionnelles intangibles (pour un éclairage sur la question, voir Thèse de doctorat en droit en préparation de Guelord Luema Lusavuvu), aujourd’hui le droit électoral convoque le droit pénal. Il amène en effet à s’interroger sur l’éligibilité d’un candidat condamné définitivement pour subornation de témoins. Cette question est née de l’article 10 de la loi électorale du 24 décembre 2017 qui déclare inéligible toute personne condamnée définitivement notamment pour corruption. Forte de cette disposition de la loi électorale, une certaine opinion tend à assimiler la subornation de témoins à la corruption, et à déclarer ainsi inéligible tout sujet condamné définitivement pour subornation de témoins.
Notre propos se veut une contribution à la controverse engendrée par une interprétation inexacte, à notre sens, des dispositions du droit pénal commun et électoral. Il reviendrait de la sorte à chacun de nos lecteurs de prendre position en fonction des arguments de forme et de fond que nous avançons infra pour réfuter l’élargissement de l’infraction de corruption à la subornation de témoins, et soutenir ainsi qu’une condamnation définitive pour subornation de témoins n’affecte pas le droit d’éligibilité. 
Sur le plan formel, la subornation de témoins en droit congolais n’est pas assimilable à la corruption. En effet, les deux incriminations figurent au sein de titres différents. La subornation de témoins prend place dans le titre III du code pénal consacré aux infractions contre la foi publique, tandis que la corruption figure dans le titre IV dédié aux infractions contre l’ordre public. Au sein du titre III du code pénal congolais, précisément à l’article 129, la subornation de témoins n’est pas définie. Elle est incriminée par assimilation au faux témoignage ou au faux serment. 
En effet, sans définir la subornation de témoins, le législateur l’incrimine par renvoi à l’article 128 qui en constitue le texte de pénalité. On y lit: « Est puni de la même peine que celle prévue pour le faux témoignage et le faux serment, le coupable de subornation de témoins… » (Rédaction issue de la loi n°15/022 du 31 décembre 2015 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais). Une telle formulation est porteuse de signification. Elle révèle en effet la technique d’assimilation des incriminations pratiquée par le législateur congolais : l’assimilation par renvoi au texte de pénalité. C’est dire que la subornation de témoins est assimilée non pas à la corruption mais au faux témoignage ainsi qu’au faux serment. L’intitulé du titre sous lequel se trouve placé la subornation des témoins (le titre III intitulé « Le faux témoignage et le faux serment ») exprime en effet l’assimilation de la subornation de témoins au faux témoignage et au faux serment.
Dans la mesure où la subornation de témoins n’est pas définie par le code pénal, l’on peut recourir notamment à la Convention des Nations Unies contre la torture, ratifiée par la RD-Congo, non pas pour l’assimiler à la corruption, mais pour en cerner plutôt le contenu. Au regard de l’article 25 a de cette Convention, la subornation de témoins est constituée par le fait de « recourir à la force physique, à des menaces ou à l’intimidation ou de promettre, d’offrir ou d’accorder un avantage indu pour obtenir un faux témoignage ou empêcher un témoignage ou la présentation de preuve dans une procédure ».
La tentation pourrait toutefois être grande d’admettre une possible assimilation de ces deux incriminations dans la mesure où la Convention des Nations Unies contre la corruption semble intégrer sous le qualificatif de corruption plusieurs incriminations dont la subornation de témoins (V. art. 25). Dans le même sens, la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption assimile expressément à la corruption un certain nombre d’infractions (Voir art 4). Une telle assimilation, pour séduisante qu’elle soit, n’est cependant pas possible en droit pénal congolais stricto sensu, le législateur congolais ayant manifesté son autonomie vis-à-vis de ces deux Conventions en réservant à ces deux incriminations des titres distincts au sein du second livre du Code pénal : le titre III aux infractions contre la foi publique, intégrant la subornation de témoins assimilé au faux témoignage et au faux serment, et le titre IV aux infractions contre l’ordre publique, intégrant la corruption. En outre, la ratification de la Convention ne contraint pas les Etats à assimiler à la corruption les infractions visées par elle. Elle emporte plutôt engagement des Etats d’ériger en infractions les actes visés par la Convention (Voir art. 5.1 de la Convention de l’UA sur la prévention et la lutte contre la corruption). 
Ce constat purement formel suffit à lui seul pour rejeter toute tentative d’assimilation de la subornation de témoins à la corruption. Le droit comparé conforte une telle analyse. En effet, le législateur français incrimine la subornation de témoins au titre des atteintes à l’action de la justice, alors que la corruption est visée dans le code pénal en tant qu’atteinte à l’administration publique. Le Statut de Rome de la Cour pénale Internationale incrimine également la subornation de témoins au titre d’atteinte à l’administration de la justice (Voir art. 70, al. 4, du Statut de la CPI ; règle 166 du Règlement de procédure et de preuve devant la CPI).
Cette classification du droit français semble identique à celle retenue par la Convention des Nations Unies sur la corruption dans la mesure où la Convention incrimine la subornation de témoins en tant qu’entrave au bon fonctionnement de la justice (V. art. 25) qu’il distingue de la corruption d’agents publics nationaux (Art. 15). 
Il s’en dégage que la volonté d’assimiler la subornation de témoins à la corruption aurait conduit, sur le plan de la forme, le législateur congolais à intégrer cette incrimination au sein du titre IV du second livre du code pénal contenant les dispositions incriminant la corruption. Cette intégration n’aurait cependant pas suffi. Elle aurait été renforcée par une disposition ayant pu être ainsi formulée: « Est puni de la même peine que celle prévue pour la corruption, le coupable de subornation de témoins ». A défaut d’une telle intégration de la subornation de témoins au titre IV du second livre du Code pénal, à défaut de pareille formulation, toute assimilation de la subornation de témoins à la corruption énerverait le principe de la stricte interprétation du texte pénal. L’argument a rubrica tel que développé en creux supra l’atteste suffisamment.
Au-delà de considérations de pure forme, l’assimilation de la subornation de témoins à la corruption résiste à l’analyse eu égard au contenu des deux incriminations. En effet, l’infraction de corruption suppose l’existence d’un auteur spécifique dont la qualité est précisée par le texte d’incrimination (fonctionnaires publics, officiers publics, personne chargée d’un service public ou parastatal, personnes représentant les intérêts de l’Etat ou d’une société étatique au sein d’une société privée, parastatale ou d’économie mixte en qualité d’administrateur, de gérant, de commissaires aux comptes ou à tout autre titre, toute personne, tout mandataire ou préposé de ces personnes, tout arbitre ou expert commis en justice. Art. 147 à 150 du Code pénal). Cet auteur spécifique se rend coupable de corruption lorsqu’il sollicite (corruption active) ou agrée (corruption passive) des offres, promesses, ou reçoit des dons ou présents (corruption passive également).
Le témoin qui agrée des offres ou promesses, ou qui reçoit des dons ou présents n’est ni fonctionnaire, (…) ni expert commis en justice. De même, le témoin qui sollicite des offres ou promesses n’est ni fonctionnaire,(…) ni arbitre ou expert commis en justice. Il ne revêt donc aucune de ces qualités. Cette seule considération liée à la qualité de l’auteur de l’infraction de corruption tant active que passive suffit pour réfuter toute assimilation de la subornation de témoins à la corruption. Elle rend peu utile tout autre développement destiné à établir la différence entre ces deux infractions en vue de rejeter toute assimilation.
En vertu de l’article 7 point 2 de la Convention des Nations Unies contre la corruption qui reconnait à chaque Etat partie d’arrêter des critères pour la candidature et l’élection à un mandat public, le législateur congolais aurait pu, dans le cadre de la loi électorale, viser également les condamnations définitives pour subornation de témoins. La voie la plus facile aurait été ainsi pour lui de déclarer inéligible toute personne condamnée définitivement pour entrave à l’action de la justice (en l’espèce la subornation de témoins) ou atteinte à l’administration publique (la corruption en l’espèce). Ou encore pour atteinte à la foi publique (en l’espèce la subornation de témoins) ou à l’ordre public (en l’espèce la corruption) au sens du Code pénal congolais. Cette formulation aurait été compatible avec les objectifs de la Convention et conforme aux principes fondamentaux de droit pénal congolais (en l’espèce le principe de la légalité ou de la textualité des incriminations). Que le législateur pénal électoral n’ait cependant pas expressément visé les condamnations pour subornation de témoins n’autorise pas l’élargissement de l’infraction de corruption à la subornation de témoins. Surtout que le Code pénal conforte cette interdiction d’assimilation en retenant au titre de peine complémentaire à l’infraction de corruption l’interdiction du droit de vote et d’éligibilité pour cinq ans au moins et dix ans au plus (Art. 149 bis 2° du Code pénal congolais). Cette peine complémentaire d’interdiction du droit de vote et d’éligibilité n’est pas prévue pour l’infraction de subornation de témoins (Voir arts. 128 et 129 du Code pénal). Le principe fondamental de la textualité et son corollaire de la stricte interprétation du texte pénal font donc obstacle à l’extension du régime pénal électoral et du régime pénal de droit commun de la corruption à la subornation de témoins. 
Voilà schématiquement ma contribution à la problématique de l’élargissement de la corruption à la subornation de témoins. Le droit pénal électoral ne peut s’affranchir des principes fondamentaux du droit pénal, en l’espèce le principe de la légalité ou de la textualité pénale, et son corollaire de la stricte interprétation. A moins que la science du droit soit instrumentalisée!



2 commentaires:

  1. Prière d'indiquer qu'il s'agit de mon article (Guylain Lema Makiese) publié sur facebook.

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  2. Il fallait bien lire à l'introduction de l'article. Il s'agit d'une réflexion de Guelord Luema Lusavuvu.

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