Les forces de sécurité gouvernementales en République démocratique du Congo ont
fait usage de balles réelles et de gaz lacrymogènes pour disperser des
rassemblements de l’opposition politique largement pacifiques lors du dépôt des
candidatures au début du mois d’août 2018, a déclaré Human Rights Watch.
Les autorités ont également restreint les déplacements de leaders de
l’opposition, arrêté des dizaines de partisans de l’opposition et empêché un
aspirant candidat à la présidence, Moïse Katumbi, d’entrer dans le pays pour
déposer son dossier de candidature pour l’élection présidentielle prévue plus
tard cette année.
« Les autorités congolaises ont fermement réprimé l’opposition
politique dans une tentative manifeste de contrôler le processus électoral »,
a déclaré Ida Sawyer, directrice
adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les élections
ne peuvent pas être crédibles lorsqu’on empêche un leader de l’opposition de
participer et que les partisans de l’opposition risquent la mort, des blessures
ou une arrestation quand ils descendent dans les rues pour soutenir
pacifiquement leurs leaders. »
Les conclusions s’appuient sur des entretiens en personne et par téléphone en
août avec plus de 45 victimes et témoins des violations, travailleurs
médicaux, activistes ainsi que membres et leaders de partis politiques
congolais à Kinshasa, à Goma et à Bruxelles, en Belgique.
Le gouvernement congolais devrait mettre un terme à l’usage excessif de la
force contre les partisans de l’opposition, libérer les membres de partis
d’opposition et activistes arbitrairement détenus ainsi qu’enquêter sur les
violations graves et traduire en justice les responsables, a poursuivi Human
Rights Watch. Les autorités devraient permettre à toutes les Congolaises et
tous les Congolais de participer pleinement et librement au processus
électoral, y compris en laissant Moïse Katumbi entrer dans le pays et
s’inscrire en tant que candidat.
Les gouvernements et les organismes régionaux
concernés devraient faire pression pour que le président Joseph Kabila et les
autres hauts fonctionnaires mettent fin à la répression de l’opposition et
garantissent un processus électoral libre, équitable et inclusif. Les
gouvernements et les organismes régionaux devraient étendre les sanctions
ciblées si les atteintes aux droits humains se poursuivent.
Le 1er août, les forces de sécurité ont lancé des gaz
lacrymogènes et tiré à balles réelles pour disperser des dizaines de milliers
de partisans qui s’étaient réunis pour accueillir le leader de l’opposition et
ancien vice-président Jean-Pierre Bemba dans la capitale, Kinshasa, blessant au
moins deux personnes. Jean-Pierre Bemba est rentré en RD Congo pour s’inscrire
en tant que candidat à la présidentielle après que la Chambre d’appel de la
Cour pénale internationale (CPI) l’a acquitté des chefs d’accusation de
crimes de guerre et de crimes contre l’humanité le
8 juin dernier. Peu après l’arrivée de Jean-Pierre Bemba à Kinshasa, les
forces de sécurité l’ont empêché de se rendre à sa résidence située dans la
commune de la Gombe, en plein centre-ville. Les autorités ont déclaré que sa
maison se trouvait dans un « site présidentiel » et qu’il ne pouvait
pas y résider.
Le 2 août, le maire de Lubumbashi, dans le sud-est de la RD Congo, a
publié une déclaration écrite précisant que Moïse Katumbi ne serait pas autorisé
à atterrir à l’aéroport de Lubumbashi par avion
privé, comme il l’avait demandé. Moïse Katumbi, qui a passé les deux dernières
années en exil en raison d’une série de procédures judiciaires
motivées par des raisons politiques, s’est rendu en
Zambie à la place et a tenté d’entrer en RD Congo par la
route au poste-frontière de Kasumbalesa le 3 août.
Les autorités congolaises ont averti Moïse Katumbi qu’elles l’arrêteraient immédiatement à
son arrivée en RD Congo. Mais au lieu de cela, lorsque Moïse Katumbi a
atteint la frontière, les fonctionnaires ont fermé la frontière et
lui ont refusé l’entrée sur le territoire.
Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et lancé
des gaz lacrymogènes pour disperser les milliers de partisans venus accueillir Moïse
Katumbi du côté congolais de la frontière le 3 août,
faisant au moins un mort et un blessé. Des dizaines de partisans ont été
arrêtés. Les forces de sécurité se sont aussi déployées massivement dans les
quartiers de Lubumbashi et ont dressé des barrages routiers sur les routes
principales, où ils ont fouillé systématiquement les
véhicules.
La police a aussi empêché des membres du parlement et d’autres responsables
appartenant à la plate-forme politique de Moïse Katumbi de poursuivre leur
route, alors qu’ils se rendaient en voiture à l’aéroport de Lubumbashi, pour y
attendre l’atterrissage de Moïse Katumbi. « Comme nous tentions de
passer, un agent de police a pointé son arme sur nous et a menacé de nous tirer
dessus si nous osions poursuivre notre chemin », a raconté un
responsable à Human Rights Watch. « Il a dit qu’il exécutait les ordres
de leur hiérarchie », a déclaré le responsable. Quand la délégation a
plus tard essayé de rejoindre Kasumbalesa pour y rencontrer Moïse Katumbi, la
police l’a stoppée à un barrage routier juste à la sortie de la ville et l’a
obligée à faire demi-tour.
Dans la ville de Goma, dans l’est du pays, la police a empêché des membres de la
plate-forme de Moïse Katumbi d’organiser une manifestation pacifique le
3 août. Les manifestations se sont poursuivies à Lubumbashi et à
Kasumbalesa au cours des jours suivants, alors que les autorités ont maintenu
leur refus de laisser Moïse Katumbi entrer dans le pays. Le 6 août, les
forces de sécurité ont abattu un garçon de 10 ans et ont blessé au moins
quatre personnes lors de manifestations à Lubumbashi.
La police a, de nouveau, fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser les
partisans pacifiques d’un autre leader de l’opposition, Félix Tshisekedi, quand
il a déposé son dossier de candidature à la présidence auprès de la commission
électorale nationale, la CENI, à Kinshasa le 7 août.
Malgré la campagne menée par de hauts responsables du parti au
pouvoir pour que le président brigue un troisième mandat
anticonstitutionnel – et face à la pressionnationale, régionale et internationale croissante
pour qu’il se retire – le président Joseph Kabila n’a pas déposé sa
candidature. Au lieu de cela, il a choisi Emmanuel Ramazani Shadary, actuel
secrétaire permanent du parti au pouvoir et ancien vice-Premier ministre et
ministre de l’Intérieur, en tant que candidat pour sa plate-forme électorale.
En mai 2017, l’Union européenne a sanctionné Emmanuel
Ramazani pour avoir « contribué, en
les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves
violations des droits de l’homme » en RD Congo.
Au total, 25 personnes ont déposé un
dossier de candidature en vue de
l’élection présidentielle pendant la période d’inscription entre le
25 juillet et le 8 août. Le 8 août, Moïse Katumbi a
déposé deux plaintes auprès du Conseil
d’État, la plus haute cour du pays, contestant le refus de la
Direction générale de migration de le laisser entrer dans le pays et appelant
la commission électorale à lui permettre de s’inscrire sur les listes
électorales et de soumettre sa candidature. La cour n’a pas encore rendu sa
décision.
La commission électorale a publié sa liste préliminaire de
candidats le 24 août, disqualifiant six candidats à la présidentielle, dont Jean-Pierre Bemba et trois anciens Premiers ministres, pour des
raisons que de nombreux activistes de la société civile etleaders de l’opposition politique ont dénoncées comme arbitraires et motivées par des considérations
politiques. Les candidats peuvent faire appel auprès de la Cour
constitutionnelle du pays. La liste finale des candidats sera publiée le
19 septembre.
« Le fait que Joseph Kabila ne pose pas sa candidature est une première
étape cruciale, mais nous sommes encore bien loin d’un processus électoral
crédible », a conclu Ida Sawyer. « Une pression permanente des
partenaires régionaux et internationaux de la RD Congo est nécessaire pour
éviter de nouvelles répressions et de nouveaux bains de sang et pour que le
pays connaisse une véritable transition démocratique. »
La quête de nouvelles élections
Au cours des trois dernières années, les
responsables du gouvernement congolais et du parti au pouvoir, ainsi que les
forces de sécurité gouvernementales, ont utilisé la répression, la violence et la corruption pour
étendre leur mainmise sur le pouvoir.
Le président Joseph Kabila est toujours en fonction au-delà de la limite des
deux mandats permis par la constitution, qui ont pris fin en
décembre 2016.
Les forces de sécurité ont tué près de
300 personnes lors de manifestations politiques essentiellement pacifiques
depuis 2015, y compris en recrutant d’anciens combattants du groupe armé violent
M23 pour prendre part à la répression.
Les services de sécurité ont arrêté des centaines de partisans de l’opposition
politique, d’activistes pro-démocratie et de défenseurs des droits humains. Les
services de renseignements ont infligé de mauvais traitements à bon nombre
d’entre eux et les ont maintenus en détention illégale pendant des semaines ou
des mois, sans chef d’inculpation ni accès à leur famille ou à leurs avocats.
D’autres ont été jugés pour de fausses accusations.
Un accord de partage du pouvoir sous la médiation de l’Église catholique, signé
le 31 décembre 2016 et connu sous le nom de l’accord de la Saint-Sylvestre, a appelé à la
tenue d’élections avant la fin de l’année 2017 et à l’instauration de
« mesures de décrispation » pour apaiser les tensions et ouvrir
l’espace politique. La coalition au pouvoir en RD Congo a largement bafoué ces
engagements, alors que la répression continue et que de nombreux prisonniers politiques et
activistes sont toujours en détention. En
novembre 2017, la commission électorale a publié un calendrier électoral fixant
le 23 décembre 2018 comme date des élections présidentielles, législatives
et provinciales.
Le cas de Moïse Katumbi était l’un des « cas emblématiques » souligné
dans les mesures de décrispation de l’accord de la Saint-Sylvestre. La conférence des évêques catholiques
de la RD Congo et beaucoup d’autres ont
dénoncé les irrégularités dans les procédures judiciaires contre Moïse Katumbi,
y compris des pressions politiques sur des juges pour
qu’ils statuent contre Katumbi. Un juge qui avait refusé de rendre un jugement
contre Katumbi a reçu des balles et a presque été
tué par des hommes armés non identifiés. En
juin 2017, le Haut-Commissariat des Nations Unies
aux droits de l’homme a déclaré que Katumbi devrait
être autorisé à revenir en RD Congo et à participer pleinement au processus
électoral.
Le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, a annoncé le 16 août 2018 que
la RD Congo avait émis un mandat d’arrêt international contre
Katumbi.
Dans une déclaration du
9 août, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki, a
lancé un appel à « tous les acteurs concernés pour qu’ils œuvrent,
ensemble et de bonne foi, à la tenue d’élections paisibles, transparentes et
véritablement inclusives, notamment en garantissant le droit de tous les
citoyens qui le souhaitent [...] à y concourir. »
Le 13 août, le Conseil de sécurité de l’ONU a
« réaffirmé que la mise en œuvre effective, rapide et de bonne foi de
l’Accord [de la Saint-Sylvestre de 2016], notamment les mesures de confiance de
l’Accord ainsi que le respect des droits fondamentaux et du calendrier
électoral, est essentielle pour la tenue d’élections pacifiques et crédibles le
23 décembre, la garantie d’une transition de pouvoir démocratique, ainsi
que la paix et la stabilité de la République démocratique du Congo. »
Dans un entretien accordé à Radio France
Internationale (RFI) le 14 août 2018, le ministre des
Affaires étrangères angolais, Manuel Domingos Augusto, a indiqué que la
décision de Joseph Kabila de ne pas se présenter était « un grand pas »,
mais que d’autres actions doivent être entreprises « pour que le
processus électoral puisse aboutir et atteindre les objectifs qui ont été fixés
par les Congolais ». Il a insisté sur la nécessité d’un respect total
de l’accord de la Saint-Sylvestre, y compris des mesures de décrispation, et
sur le fait que les élections doivent être inclusives.
Lors d’un récent sommet de la Communauté de développement d’Afrique australe
(SADC) à Windhoek, en Namibie, le président namibien et nouveau président de la
SADC, Hage Geingob, a déclaré dans un entretien accordé à RFI que
la crise en RD Congo pourrait entraîner un nouvel exode de réfugiés vers les
pays voisins si elle n’est pas résolue. « C’est pourquoi, en tant
qu’organisation sous-régionale, on intervient pour dire : collègues de la
région, nous avons des règles à propos des élections », a-t-il
expliqué. « Il faut qu’elles soient inclusives, il faut qu’elles soient
transparentes et que les leaders de l’opposition aient leur mot à dire. »
Des groupes de défense des droits humains et pro-démocratie congolais ont créé
une plate-forme en ligne le
14 août contenant des informations détaillées sur le processus électoral
et mentionnant 10 conditions identifiées comme nécessaires à des élections
libres, équitables, transparentes et inclusives.
Ils ont appelé le gouvernement à libérer immédiatement les prisonniers
politiques, à permettre le retour libre des personnes vivant en exil, à
autoriser la réouverture des médias fermés arbitrairement, à garantir
l’indépendance du pouvoir judiciaire et à accorder à tous les Congolais la liberté
de manifester pacifiquement. Ils ont aussi indiqué que la commission électorale
devrait refuser l’utilisation des machines à voter controversées considérées
comme susceptibles de créer un risque de fraude électorale, nettoyer les listes
électorales et apporter de la transparence dans ses activités et son
financement.
Répression à l’encontre des partisans de Moïse Katumbi
Quand les partisans de Moïse Katumbi se sont rassemblés au poste-frontière de
Kasumbalesa le 3 août, les forces de sécurité ont tué au moins une
personne et blessé une autre par balle. Human Rights Watch a reçu des rapports
dignes de foi indiquant que les forces de sécurité avaient tué deux autres
personnes à Kasumbalesa ce jour-là et le lendemain. Le 6 août, des
policiers et des soldats se sont déployés dans Lubumbashi, la capitale de la
province, située à environ 90 kilomètres de Kasumbalesa. Ils ont lancé des
gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles pour disperser les manifestants dans
plusieurs quartiers, tuant un enfant et blessant quatre autres personnes.
Certains des manifestants auraient mis le feu à des
étals et à des voitures et pillé des magasins.
Le frère d’Olivier Tchamala Kambaji, étudiant de 19 ans et vendeur
d’unités téléphoniques, a décrit le meurtre de son frère à Kasumbalesa le
3 août :
Olivier est sorti
vers 17 h pour se ravitailler en unités à revendre. Il y avait eu des
coups de feu plus tôt lorsque Moïse Katumbi a été empêché d’entrer à
Kasumbalesa, mais nous avons pensé que les choses s’étaient calmées depuis.
Olivier est parti en direction de la maison de son fournisseur, et quand il est
arrivé à la voie ferrée avant de rejoindre la route principale, il a entendu
des tirs. Il s’est immédiatement mis à courir dans le sens inverse, mais
malheureusement une balle l’a atteint dans le bas du dos alors qu’il courait.
Il est tombé au sol. Juste à côté de lui, un autre jeune homme est tombé. Il
avait été touché à l’épaule.
L’ami d’Olivier
m’a appelé pour me raconter ce qui s’était passé et a dit qu’il les emmenait à
l’hôpital. Mais sur leur chemin, une jeep de police les a arrêtés et a pris
Olivier et l’autre homme blessé. Les policiers ont indiqué qu’ils les
conduiraient à l’hôpital, mais nous avons appris plus tard qu’ils ont circulé
avec eux à bord jusqu’au lendemain, puis ils les ont emmenés à un hôpital à
Lubumbashi. J’ai appris qu’il était là-bas, donc je suis allé à Lubumbashi. Les
personnes à l’hôpital m’ont annoncé qu’Olivier était déjà mort lorsqu’il est
arrivé. Donc je ne peux pas vous dire maintenant s’il est mort sur le coup ou
s’il est mort lorsqu’il était avec la police et s’il aurait pu être sauvé. C’est
révoltant !
Un homme âgé de
19 ans qui vendait des cigarettes a raconté que les forces de sécurité lui
ont tiré dessus et l’ont blessé à Kasumbalesa le 3 août :
Je rentrais à la
maison [depuis le travail] et j’ai vu qu’il y avait de l’agitation près de la
voie ferrée. Des personnes brûlaient des pneus et jetaient des pierres. Je suis
passé devant eux en me dépêchant. Mais la police a commencé à lancer des gaz lacrymogènes
et à tirer à balles réelles sur la foule. Ensuite j’ai senti quelque chose me
toucher et je suis tombé immédiatement. Je n’ai même pas vu la balle arriver.
J’avais terriblement mal. La balle était entrée dans la partie supérieure de ma
cuisse et ressortie par mon dos. J’ai été conduit à l’hôpital où les médecins
m’ont opéré. Ils disent que j’ai besoin d’une deuxième opération, mais je n’ai
pas d’argent pour payer. J’ai très mal et j’attends l’aide de Dieu.
Un maçon de
32 ans a décrit comment son fils de 10 ans, Gédéon Ntumba Kalaba, a
été tué par une balle perdue à Lubumbashi le 6 août :
Le lundi
[6 août], je suis resté à la maison dans le quartier de Katuba Kananga à
cause des troubles dans la ville. Mon deuxième fils, Gédéon, jouait avec un ami
devant notre maison. Les manifestations n’avaient pas lieu sur notre route,
mais quand les tirs ont commencé, des personnes se sont mises à fuir en
traversant notre quartier. C’était entre 11 h et midi. Il y avait beaucoup
de coups de feu et je n’ai pas eu le temps de cacher les enfants ou de leur
dire de se mettre à l’abri. Le dos de Gédéon faisait face à la route et
soudain, je l’ai vu tomber. J’ai couru jusqu’à lui et j’ai vu qu’il avait été
touché par une balle au bas du dos, près de la colonne vertébrale. J’ai pris
Gédéon dans mes bras et j’ai appelé à l’aide. Mon fils saignait et souffrait.
Il avait la respiration hachée et était déjà évanoui.
Gédéon a
rapidement été conduit à l’hôpital, mais il n’a pas pu être sauvé, a expliqué
son père.
Une vendeuse de
vêtements d’occasion, âgée de 34 ans, a raconté qu’elle a été blessée par
balle le 6 août à Lubumbashi :
Le matin, nous
avons entendu du bruit venant de la route. Il y avait beaucoup de coups de feu.
J’ai appris qu’il y avait des manifestations pour exiger le retour de Moïse
Katumbi. Je n’ai pas osé quitter la maison ce jour-là pour aller vendre des
vêtements. Puis vers 11 h, je faisais la lessive dehors quand j’ai entendu
un bruit et j’ai senti quelque chose me toucher dans le bassin. J’ai ressenti
une légère chaleur, mais cela n’a pas fait mal sur le coup. Ensuite j’ai baissé
les yeux et j’ai vu le sang. Je me suis mise à crier et à pleurer. Ma mère m’a
vite enlevé ma robe et nous avons vu que j’avais été touchée par une balle. Mon
frère est parti immédiatement chercher un taxi pour me conduire à l’hôpital. Un
médecin a fini par m’opérer et extraire la balle.
Je pense que j’ai
eu de la chance ce jour-là, mais la police ne doit pas tirer à balles réelles
sur les personnes pendant les manifestations. Les manifestants peuvent mourir
et d’autres personnes qui n’ont rien à voir avec ça, comme moi, peuvent être
touchées par des balles perdues.
Le 3 août,
des policiers et des fonctionnaires du service de migration congolais ont
détenu pour les interroger un correspondant congolais de Radio France
Internationale, Baudouin Kamanda Wa Kamanda, ainsi que deux membres du
parlement et deux professeurs d’université, après leur retour en RD Congo
depuis la Zambie. Les fonctionnaires les ont conduits dans la capitale de la
province, Lubumbashi, sous le prétexte d’assurer leur protection et les ont
remis au directeur du service de migration à Lubumbashi. Le groupe a été libéré
peu après.
La police a arrêté
un journaliste congolais de Canal Congo Télévision sur la route alors qu’il se
rendait à Kasumbalesa pour couvrir le retour de Moïse Katumbi. Il a
expliqué :
Nous étions à
environ 20 kilomètres de la ville [de Kasumbalesa] quand trois jeeps de
police sont arrivées et les policiers ont dit à tous les conducteurs de
retourner à Lubumbashi. Il y avait une longue file de véhicules à l’arrêt en
raison d’un barrage routier plus loin. Nous avons fait demi-tour et j’ai
commencé à filmer la longue file de véhicules. À environ 30 kilomètres de
Kasumbalesa, des agents de l’ANR [service de renseignements national] et des
agents de police se sont approchés de moi, m’ont saisi et m’ont arraché mon
téléphone et ma caméra. Ils ont commencé à regarder les images que j’avais
filmées et ils m’ont ensuite dit que j’avais porté atteinte à la sûreté de
l’État.
Le journaliste a
indiqué que les agents de l’ANR l’ont détenu pendant quatre heures dans une
maison à environ 20 mètres de la route, près d’un bureau de police. Ils
ont effacé les images qu’il avait filmées et l’ont libéré après lui avoir rendu
150 dollars US sur les 200 qu’ils lui avaient pris, a-t-il ajouté.
Des dizaines de
partisans de Moïse Katumbi ont aussi été arrêtés à la frontière avec la Zambie les
3 et 4 août. Au moins 64 d’entre eux, tous des hommes, ont été présentés à
un juge le 10 août et accusés de divers chefs d’inculpation, dont
« rébellion », « incitation à la désobéissance civile »,
« destruction méchante » et « vol qualifié ». Ils ont à
nouveau été présentés à un juge le 22 août et sont toujours en détention à
la prison centrale de Kasapa, à Lubumbashi.
Violations des droits à l’encontre de Jean-Pierre Bemba et de ses partisans
Quand Jean-Pierre Bemba est rentré en RD Congo le 1er août
après 11 années passées à l’étranger, la police a restreint ses mouvements
et ceux de ses partisans. La secrétaire générale du parti politique Mouvement
de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, Ève Bazaiba, a indiqué que
les autorités ont effectué des changements de dernière minute à leur itinéraire
convenu la veille de l’arrivée de Jean-Pierre Bemba :
Deux semaines
avant l’arrivée de Jean-Pierre Bemba, nous nous étions déjà mis d’accord avec
les autorités de la ville sur l’itinéraire qu’il emprunterait avec ses
partisans après avoir quitté l’aéroport. Mais à notre surprise, le général [de
police] [Sylvano] Kasongo nous a informés la veille de l’arrivée de Jean-Pierre
Bemba que seuls deux fonctionnaires du protocole seraient en mesure de l’accueillir
sur le tarmac et seules 10 personnes pourraient l’attendre dans le salon
d’honneur [de l’aéroport]. En quittant l’aéroport, son cortège ne devait pas
rouler à moins de 40 kilomètres par heure, s’arrêter ou ralentir. S’il
osait s’arrêter, la police utiliserait des gaz lacrymogènes ou tout autre moyen
à sa disposition pour disperser ses partisans, nous a expliqué Kasongo.
Quand Jean-Pierre
Bemba est arrivé, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive,
lançant des gaz lacrymogènes et tirant à balles réelles pour disperser les
dizaines de milliers de partisans qui s’étaient réunis pacifiquement pour
l’accueillir. Au moins deux personnes ont été blessées par balle, d’après les
représentants du parti MLC et les dossiers de l’hôpital consultés par Human
Rights Watch. Dans le tumulte alors que la foule s’enfuyait, plusieurs
personnes sont tombées et ont été blessées ou piétinées.
Un journaliste
congolais couvrant le retour de Jean-Pierre Bemba a raconté :
Quand le cortège
de Jean-Pierre Bemba a quitté l’aéroport de N'djili, une vaste foule de
supporters l’a suivi. Non loin de l’aéroport, la police a commencé à lancer des
gaz [lacrymogènes] sur la foule et à tirer des balles réelles en l’air pour
dissuader les partisans d’accompagner le cortège. La foule était totalement
désorganisée et les personnes ont fui dans tous les sens. Certaines d’entre
elles ont sauté la clôture de l’aéroport pour y trouver refuge. Une fois
qu’elles ont été à l’intérieur de l’enceinte, des soldats de la Garde républicaine
ont tiré en l’air pour les chasser. Les partisans ont dû sauter à nouveau la
clôture et plusieurs se sont blessés. Il est clair que la police ne voulait pas
que Jean-Pierre Bemba soit accompagné par une foule de partisans si nombreuse.
Un activiste du
MLC a été blessé alors que la police dispersait les militants suivant le
cortège de Jean-Pierre Bemba.
Plusieurs
personnes ont accompagné le cortège de Jean-Pierre Bemba lorsqu’il a quitté
l’aéroport. J’en faisais partie. Lorsque nous avons franchi l’entrée de
l’aéroport pour rejoindre la route principale, la foule dehors a commencé à
demander à ce que Jean-Pierre Bemba marche avec elle. C’est à ce moment que la
police s’est mise à lancer des gaz [lacrymogènes] sur nous et à tirer des
balles en l’air. Alors j’ai sauté la clôture de l’aéroport pour trouver un
abri, mais je suis tombé sur la tête et je me suis blessé. Après ça, les autres
agents de police qui étaient dans l’enceinte de l’aéroport ont commencé à tirer
en l’air pour nous faire partir. J’ai été forcé de passer à nouveau par-dessus
le mur malgré ma blessure à la tête. Des secouristes de la Croix-Rouge sont
finalement venus à mon secours et m’ont conduit à l’hôpital.
Plus tard dans la
journée, après que Jean-Pierre Bemba a salué ses partisans au siège provincial
de son parti et a pris la route en direction de la commune de Gombe, un
activiste a raconté que la police a dispersé les partisans de Jean-Pierre Bemba
avec des gaz lacrymogènes alors que son cortège approchait :
Alors que nous
étions assis par terre en attendant le cortège de Jean-Pierre Bemba, la police
anti-émeute et des jeeps de police normales étaient garées sur le côté de la
route. Un message s’est répandu indiquant que le cortège de Jean-Pierre Bemba
quittait le siège [provincial] du parti et les partisans ont commencé à se
rassembler pour l’accueillir. La police a alors déployé les camions
anti-émeutes sur la route pour empêcher la foule d’avancer. Tandis que le
convoi de Jean-Pierre Bemba approchait, la police a commencé à lancer des gaz
lacrymogènes. C’était un désordre total. J’ai vu des personnes courir dans tous
les sens. Certaines sont tombées au sol et ont été piétinées.
Plus tard ce
jour-là, la police a aussi empêché Jean-Pierre Bemba de séjourner dans sa
résidence familiale sur l’avenue Pumbu dans la commune de la Gombe, où sont
situés la plupart des bureaux du gouvernement et de l’ONU et les ambassades.
Ève Bazaiba a déclaré qu’elle avait été informée de ce changement par le
commissaire provincial de la police de Kinshasa la veille de l’arrivée de
Jean-Pierre Bemba :
Le général Kasongo
m’a dit qu’il était inconcevable que le sénateur Bemba ose résider à moins de
100 mètres du siège du parti [au pouvoir] PPRD et à moins d’un kilomètre
de la résidence du président. Il a indiqué qu’il s’agissait d’ordres reçus de
la hiérarchie. Au lieu de cela, Jean-Pierre Bemba a dû résider pendant toute sa
visite dans un bureau du complexe commercial « GB » détenu par sa
famille.
Le général
Kasongo a expliqué aux journalistes le 1er août :
« J’ai reçu des instructions que je dois faire respecter. Bemba peut
aller habiter au Memling [un hôtel bien connu de Kinshasa] ou ailleurs, mais
pas à Pumbu. »
Après que Jean-Pierre Bemba a déposé sa candidature auprès de la commission
électorale nationale (CENI) le 2 août, les forces de sécurité ont à
nouveau utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser ses partisans.
Le 24 août, la commission électorale a rejeté la
candidature de Bemba au motif qu’il avait été condamné pour subornation de témoins dans
une affaire distincte à la CPI. La loi congolaise interdit aux personnes
condamnées par un jugement irrévocable de corruption de briguer la présidence.
Des responsables du MLC ont soutenu que la subornation de témoins
ne constitue pas de la corruption, et le 27 août,
les avocats de Jean-Pierre Bemba ont fait appel à la Cour constitutionnelle
afin d’annuler la décision.