Le processus électoral Congolais est dans une grave
impasse. Un consensus technique urgent s’impose comme solution garantissant la
cohésion, la paix, l’unité nationale et la consolidation de la démocratie.
En date du 18 mars 2016, le Président de la CENI a
exprimé, au cours d’un entretien à la Voix de l’Amérique, son intention de
saisir la Cour Constitutionnelle en vue d’obtenir une "petite
extension" du calendrier électoral, au motif que les "contraintes
techniques" ne lui permettraient pas d’organiser les élections dans ledit
délai. Celui-ci a soutenu que "cela est arrivé en 2006". Cette demande
d’extension dudit délai constitutionnel, telle qu’envisagée, emporte
nécessairement une prorogation du mandat présidentiel.
Cette option risque d’entamer la crédibilité de la
CENI qui s’observe depuis la reconstitution de son actuel bureau et de
fragiliser le processus électoral avec le cautionnement de la violation de la
Constitution et le dépassement (« le glissement ») du mandat présidentiel. Ce
qui exposerait profondément la Stabilité et la Paix du Pays.
Face à cette intention de saisir la Cour constitutionnelle,
AETA fait observer ce qui suit :
- La demande de l’extension du calendrier tel qu’envisagé
énerve le délai constitutionnel de 90 Jours prévu à l’article 73 de la
Constitution pour la convocation du scrutin présidentiel et emporte
nécessairement prorogation du mandat présidentiel ;
- La CENI n’a qualité de saisir la Cour
Constitutionnelle que dans des matières relatives au contrôle de la
constitutionnalité de son Règlement intérieur (art. 160 al. 2), notamment
annulation pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire
(art. 162 al.2), contentieux électoral lié aux scrutins présidentiel et législatif
(arts 72 et 74 loi électorale) et prolongation du délai de l’organisation de
l’élection du Président de la République en cas de vacance pour l’une des causes
prévues à l’article 76 de la Constitution ; (ou des élections des députés en cas
de dissolution d’une assemblée provinciale ( art 197 in fine) ;
- Selon les dispositions des articles 160 à 164 de la
Constitution, la Cour Constitutionnelle est notamment chargée du contrôle de la
constitutionnalité des lois, actes ayant force de loi et de l’interprétation de
la constitution. Elle est donc juge de la Constitutionnalité des lois, mais n’a
pas compétence d’amender la Constitution. La demande de l’extension de délai
n’est pas une question de constitutionnalité ;
- La Constitution ne prévoit nullement que si la CENI
ne parvient pas à organiser l’élection du Président de la République, dont le
nombre de mandats est limité à 2 (arts 70 et 220 de la Constitution), elle peut
s’adresser à la Cour Constitutionnelle pour une « petite extension ».
De ce qui précède, ni la très Haute Cour
Constitutionnelle, ni la CENI n’ont la prérogative constitutionnelle de
proroger le mandat du Président de la République aussi bien par l’adoption d’un
calendrier « extra-délai constitutionnel » pour quelle que raison que soit.
La Constitution étant la loi suprême, elle s’impose à toutes
les personnes et à tous les organes de l’Etat, dont la Cour Constitutionnelle
et la CENI qui doivent impérativement s’y soumettre.
Au-delà des faits ci-haut évoqués, l’AETA craint que l’hypothèse
jurisprudentielle pour cas de force majeure soit utilisée par la Cour
Constitutionnelle comme argument pour juger recevable et fondée l’éventuelle
requête de la CENI dans cette matière. Ceci ressort de l’analyse des deux
arrêts ci-après:
- Arrêt de la Cour Suprême de Justice (CSJ) faisant
office de la Cour Constitutionnelle n° R.Const.38/TSR du 15 Septembre 2006
relatif à la prorogation du délai d’organisation du second tour de l’élection
présidentielle, où le juge Constitutionnel bien qu’ayant autorisé la
prolongation du délai de 15 jours entre les deux tours, a reconnu que le cas de
force majeure n’était pas suffisamment démontré et que le caractère prévisible
de cette élection excluait d’emblée cette hypothèse.
- Arrêt de la Cour Constitutionnelle n°089 du 8
septembre 2015 ayant prolongé le délai d’organisation des élections des
gouverneurs et vice-gouverneurs intérimaires des nouvelles provinces, où le
Juge, tout en admettant le défaut de qualité de la CENI à la saisir en interprétation,
est paradoxalement allé jusqu’à examiner le fond de sa requête.
Il s’avère que la CENI serait dans une logique
d’extrapolation de la disposition de l’article 76, alinéa 4 de la Constitution
qui prévoit la prolongation de délai pour cause de force majeure, à l’article
73. Or, il est un fait que cet article ne saurait trouver son application aujourd’hui,
parce qu’il n’y a pas vacance du pouvoir au sens de l’article 75 et qu’en revanche,
le processus électoral se trouve présentement sous le régime de l’article 73 de
la Constitution qui prescrit la convocation du scrutin présidentiel 90 jours
avant la fin du mandat présidentiel.
Cette disposition n’admet formellement point
l’éventualité d’un cas de force majeure.
AETA estime, cependant, que dans toutes ces espèces, à
la suite de la CENI, la cour a fait une interprétation erronée de la
constitution, notamment dans son article 76, alinéa 4 de la Constitution qui
prévoit la prolongation de délai d’organisation de l’élection en cas de force
majeure dans l’unique hypothèse de la vacance de la présidence de la
République.
En 2006, le mandat présidentiel n’avait point été
dépassé, le Président de la République ayant été investi en décembre comme
prévu. Et la prolongation du délai de 15 jours n’étais pas de nature à «
affecter la régularité de l’élection ».
Par ailleurs, les contextes socio-politiques diffèrent
foncièrement : l’enjeu aujourd’hui étant le respect de la Constitution.
Enfin, le retard enregistré dans l’organisation des
élections étant imputables à des institutions appelées à concourir à la
convocation des scrutins selon les prescrits de la Constitution, le cas de
force majeure allégué par la CENI n’est pas justifié. Ce qui entraine naturellement
des conséquences sur le plan tant juridique que purement politique.
Au regard de
ce qui précède l’AETA recommande :
1. A la Cour Constitutionnelle
- De respecter la Constitution, Loi Suprême du pays, d’agir
dans le strict respect des compétences lui conférées par le Constituant aux
articles 160 à 164 de la Constitution ;
- De dire le droit, en âme et conscience, de porter la
responsabilité de tout ce qui va en découler et de suivre l’exemple de ses
collègues qui ont refusé de cautionner l’inconstitutionnalité.
2. Au Président de la République
- De Jouer son rôle de garant de la Constitution du
Pays, selon les prérogatives lui reconnues par ladite constitution en son
article 69, à assurer « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des
institutions ainsi que la continuité de l’Etat » ;
3. Au Parlement de la République
- De réaliser pleinement et dans la stricte soumission
à la volonté de ses élus ses missions de législateur pour la consolidation de
la démocratie par l’organisation de l’élection présidentielle dans le délai
constitutionnel. Toute manœuvre de violer la constitution et de remettre en
cause les institutions démocratique en place étant de nature à rompre son
contrat social avec ses électeurs.
4. Au gouvernement de la République
- De rendre prioritaire la disponibilisation du budget
d’organisation des élections et de tenir aux décaissements en urgence de fonds
à mettre à la disposition de la CENI.
5. A la Commission Electorale Nationale Indépendante,
CENI
- De renoncer à son projet de solliciter
unilatéralement l’extension du calendrier électoral au risque de ruiner
davantage à sa crédibilité.;
- D’organiser des assises de concertation entre les
parties prenantes au processus électoral devant requérir le consensus sur des
questions techniques liées aux élections, à savoir la reconstruction du fichier
électoral adaptée à l’impérieux respect du délai constitutionnel et le
calendrier électoral actualisé.
6. A la classe politique (Toutes tendances confondues)
- De s’investir dans la construction d’un consensus
politique et électoral qui tienne à la consolidation de la démocratie.
7. A la Population Congolaise toute entière
- De se mobiliser par des actions citoyennes visant à
protéger sa Constitution et à sauver sa jeune démocratie en danger imminent.
Pour l’AETA,
Les membres signataires
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