1.
DES
COMMENTAIRES AU SUJET DE L’ARRET DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE
La
Cour Constitutionnelle a, à la requête de la Commission Electorale Nationale Indépendante,
été saisie en interprétation des dispositions des articles 10 de la loi de
programmation n° 15/004 du 28 février 2015 déterminant les modalités
d’installation de nouvelles provinces et 168 de la loi n° 06/006 du 09 mars
2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives,
provinciales, urbaines, municipales et locales, telle que modifiée par la loi
n° 11/003 du 25 juin 2011 et celle n° 15/001 du 15 février 2015. Il vous
souviendra que la Cour a, en date du 08 septembre 2015, rendu son arrêt en la
Matière.
Depuis
lors, des réactions en sens divers se font entendre de toutes parts portant,
entre autres, sur les compétences dévolues à la Cour Constitutionnelle de notre
pays, sur le fondement dudit arrêt, certaines allant jusqu’à exiger sans rire l’annulation
de cet arrêt, voire la révocation des vénérables sages qui composent cette
juridiction, la plus haute de la RD Congo, au motif que l’arrêt ainsi pris par
elle ne rencontrerait pas l’agrément de quelques acteurs politiques.
Je
m’adresse à vous, Mesdames, Messieurs de la presse, et à travers vous à
l’ensemble de l’opinion publique pour faire connaître la position du Gouvernement
de la République qui est concerné au premier chef par ce tintamarre car il est
de l’intérêt général de protéger les institutions publiques de notre Etat
chaque fois qu’elles sont en butte à des spéculations ou à une désinformation
malveillante et déstabilisatrice si tant est que nous voulons poursuivre la
consolidation de l’Etat de droit démocratique dans notre pays.
La
question est de savoir s’il est permis à qui que ce soit, dans le contexte d’un
Etat de droit auquel aspire ardemment la RDC, de remettre aussi délibérément en
cause l’indépendance des Magistrats de la Cour Constitutionnelle en exigeant
que ses arrêts se conforment obligatoirement à des intérêts particuliers.
Le
premier fondement de notre réflexion est tiré de l’article 62, alinéa 2 de la
Constitution qui stipule que « toute
personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux lois de
la République ». Et en ce qui concerne particulièrement les arrêts de
la Cour Constitutionnelle et l’indépendance de ses Magistrats, l’article 168,
alinéa 1er de la Constitution, est clair : « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne
sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont
obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives
et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers ».
Cette
disposition constitutionnelle impose :
1) le
caractère définitif et irrévocable des arrêts de la Cour Constitutionnelle, en
RDC, c’est-à-dire l’autorité de la chose jugée en dernier ressort attachée à
ces arrêts ;
En
conséquence, toute démarche annoncée au public ou entreprise en privé, tendant
à revoir les arrêts de cette cour, n’est que pure distraction et tromperie ;
2) l’exécution
immédiate des arrêts de la Cour Constitutionnelle, ce qui veut dire qu’il n’y a
pas de délai prévu pour l’exécution des arrêts rendus par la Cour
Constitutionnelle ;
3) le
caractère contraignant de ces arrêts, à l’égard de tous et sans aucune
exception, de sorte que tous ceux qui clament ne pas être d’accord avec cet
arrêt ou déclarent s’y opposer violent délibérément la Constitution de la
République. Il ne sert à rien à cet égard de se draper derrière la qualité de
membre d’une institution publique, de membre de la majorité ou de l’opposition.
Le fait est qu’en droit congolais, les arrêts de la cour constitutionnelle ne
sont susceptibles d’être remis en question par personne.
Bien
des pays du monde qui ont inspiré notre ordonnancement juridique ont légiféré
dans le même sens. Les décisions du Conseil Constitutionnel français, pour ne
citer que ce cas, institué par la Constitution de la Ve République en date du 4
octobre 1958, s’imposent, à l’instar des arrêts de la Cour Constitutionnelle de
la RD Congo, aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles. Elles ne sont susceptibles d’aucun recours.
En
France, il est même précisé que l’autorité de la chose jugée ne s’attache pas
seulement au dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soubassement.
S’agissant
de l’indépendance de la Cour Constitutionnelle, nous voudrions nous permettre
d’engager ici nos compatriotes à intégrer dans leur gestion de ces questions
institutionnelles le fait que le peuple congolais qui a adopté souverainement la
constitution du 28 février 2006 a voulu de manière claire que les membres de
cette cour statuent et décident en âme et conscience, en toute indépendance, en
vertu des articles ci-après de la Constitution :
4) Article
149, alinéa 1er : « Le
pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutif » ;
5) Article
150, alinéa 2 : « Les juges ne
sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi » ;
6) Article
151, alinéa 1er ; « Le
pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa
juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice,
ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice ».
7) Article
151 alinéa 2 : « Le pouvoir
législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier
une décision de justice, ni s’opposer à son exécution » ;
8) Article
151, alinéa 3 : « Toute loi
dont l’objectif est manifestement de fournir une solution à un procès en cours
est nulle et de nul effet ».
Ces
dispositions devraient inciter les patriotes au sein de la classe politique à
promouvoir au sein de l’opinion publique l’acquisition des réflexes de la
nouvelle citoyenneté qui consistent en l’espèce au strict respect des verdicts
de la Cour Constitutionnelle même lorsqu’ils semblent en porte-à-faux par
rapport à certains intérêts particuliers.
Toute
vie en société entraine inévitablement des contestations et ce, pour diverses
raisons. Aussi, dès qu’une société se forme, la fonction de juger apparaît-elle
comme une nécessité car, il faut une personne impartiale, respectée pour son
autorité ou en raison des pouvoirs qu’elle tient des normes constitutionnelles ou légales pour
se prononcer sur les prétentions en conflit et déclarer publiquement laquelle
des deux est justifiée. En d’autres termes, il faut, en cas d’affrontement des
prétentions qu’un juge intervienne pour dire le droit. Cette fonction est
d’autant plus nécessaire que toute société civilisée repose sur le postulat
fondamental qui veut que « nul ne se
fasse justice à soi-même » au risque de vivre dans le chaos et
l’anarchie, ferments de la destruction de ladite société. Il y a donc lieu de
comprendre pourquoi, dans nos sociétés modernes où l’Etat a la responsabilité
de l’ordre public, la justice n’est pas seulement, comme le pensait Lamoignon,
« une œuvre de bienfaisance du roi
mais en réalité un devoir de l’Etat ». Jeter délibérément l’opprobre,
le mépris ou le discrédit sur la justice
revient donc à tuer l’Etat de droit.
La
séparation des pouvoirs est l’un des fondements d’un Etat de droit. Bien que
nommés respectivement par concertations entre le pouvoir législatif, le pouvoir
exécutif et par cooptation au sein de leur profession, les juges n’ont pas de
compte à rendre aux acteurs politiques, aux groupes d’intérêts ou aux
animateurs d’autres institutions. C’est le sens de l’indépendance qui est
attachée à leurs hautes charges. L’indépendance du pouvoir des juges vient
aussi du fait qu’ils ne rendent leurs décisions que sur base des textes des
lois dont ils ne sont pas initiateurs et sur cette base essentiellement,
exception faite de la jurisprudence.
2.
LA DECISION D’INTERDICTION DE
DIFFUSION DU FILM « L’HOMME QUI REPARE LES FEMMES : LA COLERE D’HIPOCRATE »
DE THIERRY MICHEL
Depuis
quelques jours, après que j'aie annoncé conformément aux prérogatives qui me
sont reconnues par les instruments juridiques nationaux la décision du
gouvernement de la RD Congo d'interdire la projection sur son territoire du
film documentaire " L'homme qui répare les femmes: la colère d'Hippocrate"
du réalisateur belge Thierry Michel en collaboration avec Colette Braeckman,
nous assistons, comme d'habitude, à une bien curieuse levée de boucliers sous
forme d’une vague d'indignations de la part de certains acteurs nationaux et
étrangers drapés dans le manteau du principe de libre expression. Même nos
partenaires de la Monusco nous ont adressé des remontrances comme s’ils
voulaient faire de la RD Congo le seul pays de la planète terre où le
gouvernement devrait laisser tout faire, tout dire et tout montrer même au
détriment des lois, de l’ordre public et des Intérêts Nationaux.
Je
voudrais réitérer ici à ceux à qui cela aurait échappé les termes du communiqué
du gouvernement justifiant les raisons de cette décision, à savoir : la
traduction hostile et délibérément mensongère indexant les FARDC comme auteurs
de certains actes de violences faites à des femmes interrogées par le réalisateur,
contrairement aux témoignages livrés en langue mashi et swahili par lesdites
femmes qui remerciaient les FARDC pour les avoir sauvées des griffes des
criminels des groupes armés qui pullulent au Kivu. Il faut également dire que
la mise en cause généralisée des FARDC sans indiquer l’auteur (ou les auteurs)
des actes dénoncés est proscrit par le code pénal militaire de notre pays,
notamment les dispositions de l'article 87 sur l'outrage à l'armée, entendue
comme "toute expression injurieuse
dirigée contre les officiers, les sous-officiers et les hommes de rang des
Forces armées sans indiquer les personnes visées ". L’exigence du
respect de cet article fait partie des clauses assorties à l’autorisation de
reportage accordée à M. Thierry Michel qui n’en a tenu aucun compte. Ainsi
est-il exigé aux requérants de s’y conformer et de s'abstenir de donner lieu à
des dénonciations généralisantes et démoralisatrices des membres des forces
armées qui ne résistent à aucun examen sérieux car, on a beau solliciter les
faits, on n’a pas d’exemple de 130.000 militaires de notre armée commettant en
même temps un viol ou des viols. C'est donc la mauvaise traduction
travestissant la vérité ainsi que les accusations généralisées et infondées
susceptibles de démoraliser nos troupes qui ont conduit à l'interdiction par le
gouvernement de ce film et non la personnalité du réalisateur ou du Docteur
Denis Mukwege qui sont en cause.
Il
n’est donc nullement question d’atteinte à la liberté d’expression comme nos
détracteurs se plaisent à le dire sur tous les tons. En fait celle-ci n’a pas
un sens absolu. Elle doit se concilier avec d’autres libertés ou droits fondamentaux. C’est pour cette
raison qu’il existe dans les sociétés démocratiques des limites à la liberté d’expression,
entre autres l’interdiction de :
·
diffusion ou reproduction de fausses
nouvelles,
·
diffamations et injures ;
·
transmission ou exploitation, sans son
consentement, d’images d’une personne prises dans un lieu privé;
·
publication de tout acte de procédure
criminelle ou correctionnelle avant qu’il ait été lu en audience
publique ;
·
apologie ou provocation à commettre
certains crimes ou délits, etc.
Le
gouvernement qui veut bien croire que tout cela relève d’un déficit
d’information sur cette affaire, tient par ma voix à dire à ceux qui ne
l’auraient pas encore su pour une raison ou une autre, que cette mesure
quoiqu’il paraisse ne signifie pas qu’il ait un os à peler avec les
réalisateurs de ce film, M. Thierry Michel et Madame Colette Braeckman. Il ne s’agit
pas non plus d’empêcher notre compatriote le Docteur Denis Mukwege de faire
valoir les actions positives que, parmi plusieurs autres acteurs, il entreprend
pour secourir nos sœurs victimes des violences sexuelles.
Il
suffit à cet égard de rappeler que c’est nantis d’une accréditation en bonne et
due forme de mon Ministère que Thierry Michel et Colette Braeckman se sont
rendus au Sud Kivu pour réaliser ce documentaire après avoir reçu mes
encouragements et ce, malgré un malheureux antécédent dans les relations entre
notre gouvernement et Thierry Michel autour du film sulfureux intitulé « L’affaire
Chebeya, un crime d’Etat ? » qu’il réalisa dans le but
d’influencer la justice qui statuait alors en première instance sur la triste
affaire de l’assassinat de notre compatriote Floribert Chebeya. Ce qui ne se
fait nulle part au monde.
Il
suffit par ailleurs de lire les termes de mon communiqué qui exprime de manière
claire le soutien du gouvernement aux interventions salutaires de Denis Mukwege
en faveur des femmes victimes de sévices sexuels. Et du reste, parlant de M.
Mukwege, il est surprenant de lire sous la plume de Thierry Michel qu’il
vivrait reclus, et doit être protégé par des gardes du corps, craignant à tout
moment pour sa sécurité, ce qui reviendrait à dire que les Gouverneurs des
provinces perturbées de l’Est qui sont entourés d’un dispositif sécuritaire
seraient eux aussi menacés par leur propre gouvernement !
En
réalité, le Dr. Mukwege est menacé au même titre que toutes les personnalités
qui vivent dans ce Kivu où la sécurité doit encore être complètement restaurée
et jouit de sa pleine liberté de mouvement. Le gouvernement qui finance dans
son budget l’hôpital de Panzi sait par exemple que le 24 septembre prochain, ce
compatriote fera honneur à notre pays en défendant à l’ULB sa thèse de doctorat
en Sciences médicales intitulée « Etiologie, classification et traitement
des fistules traumatiques uro-génitales et génito-digestives basses dans l’Est
de la RD Congo » et que parmi les compatriotes qui iront le soutenir en
cette circonstance, il y aura des émissaires de notre ambassade à Bruxelles.
Pourquoi chercher à opposer ce praticien aux FARDC qui le protègent et lui
permettent d’accéder aux malheureuses victimes des violences sexuelles utilisées
comme arme de guerre ? Pourquoi l’amener à s’en prendre sans raison
apparente aux autorités de son pays ?
On
se demande du reste si monsieur Thierry Michel ne recourt pas à un stratagème
bien rôdé : provoquer délibérément des incidents en amont et se faire
passer pour victime dans le but d’assurer la publicité à ses films.
Suite
à des demandes d'un réexamen de cette décision, notamment de la part de Madame
Kathryn Brahy du Centre Wallonie-Bruxelles, nous avions mis sur pied une
commission chargée de corriger la traduction malencontreuse pour une plus
fidèle en vue d'une éventuelle autorisation de diffusion mais, au moment même
où se mettait en place cette commission, le réalisateur Thierry Michel n'a pas
trouvé mieux que de m’adresser des menaces d'une violence incroyable avec des
évocations historiques inacceptables, comparant mon sort à celui d’un dictateur
disparu qui n’a pas été enterré dans son pays si je n’acceptais de laisser
diffuser son documentaire en l’état. C’en était trop et même Madame Colette
Braeckman, la coréalisatrice du film que j'ai reçue hier à mon cabinet pour un
entretien à ce sujet, s'est désolidarisée de Thierry Michel en des
termes on ne peut plus clairs dans son blog dont on va vous distribuer le texte.
Des
gens nous expriment ce qu'ils disent craindre: la publicité gratuite autour du
Docteur Mukwege et l'accroissement d'audience du film incriminé avec pour
conséquence, de voir laminés tous les efforts du gouvernement dans la lutte
contre les violences faites aux femmes. D'où des invitations à une recherche de
solution pratique pour sauvegarder l'image de la RDC'.
Aux
uns et aux autres, nous devons indiquer que le rôle du gouvernement dans cette
affaire n’est pas d’empêcher que le documentaire sur le Dr. Mukwege
bénéficie d’une publicité gratuite. Notre seule préoccupation est d’éviter d'éviter
la démoralisation des FARDC dont l'implication dans la protection des femmes
victimes de violences sexuelles était aussi importante sinon plus que celle du
Dr Mukwege dont nous saluons une fois encore, en plus de le soutenir, les
interventions en faveur des victimes de cette barbarie inqualifiable. Nos
troupes se dévouent et se battent pour sauver des femmes.
J’assure
à tous la détermination du gouvernement à lutter contre ce fléau de
violences faites aux femmes, surtout à l'Est de notre pays où le phénomène de
viol est souvent utilisé comme arme de guerre (n’oubliez pas que le Chef de
l’Etat a même nommé à cet effet Madame Jeanine Mabunda Conseillère
Spéciale en matière de lutte contre les violences sexuelles et le recrutement
d'enfants. Preuve de toute l’attention que la République Démocratique du Congo consacre
à ce phénomène). Mais le
gouvernement est tout autant déterminé à ne plus laisser saper l’image et le
moral de nos troupes par des petits malins car cette armée qui est notre seul
rempart contre ces crimes mérite que la vérité, et rien que la vérité soit dite
sur elle. On perd souvent de vue que si nous pouvons tous travailler avec
quiétude, le Docteur Mukwege et les réalisateurs des films comme Thierry Michel
y compris, c'est grâce aux efforts des éléments des FARDC qui ont amenuisé les
risques sécuritaires dont l’ampleur il y a quelques années est connue de tous.
Il est donc hors de question qu’on nous fasse croire que pour, vanter les
mérites du Dr. Mukwege il faut calomnier nos forces armées.
Je
vous remercie
Lambert MENDE OMALANGA
Ministre
de la Communication et Médias
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire