Le
Président Kabila doit garantir un scrutin crédible et respecter la Constitution
La répression gouvernementale en République démocratique du Congo six mois avant les élections programmées renforce les craintes de violences politiques généralisées, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le 23 juin 2018, le Comité laïc de coordination (CLC) de l’Église catholique a déclaré dans une lettre à l’Union africaine préparer de nouvelles actions de protestation, et a décrit « une crise totale de confiance » dans le processus électoral et des risques de « chaos certain et généralisé ».
Les
gouvernements concernés et les organes régionaux devraient augmenter la
pression sur le Président Joseph Kabila et les autres hauts responsables afin
qu’ils prennent des mesures urgentes pour permettre des élections libres et
équitables avant la fin de l’année. Au cours des trois dernières années, le
parti au pouvoir en RD Congo, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la
Démocratie, ainsi que les forces de sécurité gouvernementales ont eu recours à la répression, à la
violence et à la corruption pour renforcer leur mainmise sur le pouvoir. Kabila
est toujours en poste, alors que les deux mandats que lui autorise la
Constitution sont arrivés à échéance en décembre 2016.
« Il y a
toujours beaucoup d’incertitudes quant à savoir si le Président Kabila va se
retirer en accord avec la Constitution, et permettre un scrutin crédible qui
marquerait la première transition démocratique en RD Congo depuis son
indépendance », a déclaré Ida Sawyer,
directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Si Kabila ne
le fait pas, cela renforcera le risque de violences et d’instabilité à grande
échelle, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour toute la
région. »
Les élections
sont actuellement programmées pour le 23 décembre 2018. Cependant, Joseph
Kabila n’a pas encore déclaré publiquement qu’il se retirait, et les autorités
pourraient invoquer toute une série de contraintes techniques, financières et
logistiques pour demander des délais supplémentaires. La répression contre
l’opposition politique et les défenseurs des droits humains et de la démocratie
est toujours aussi intense, selon Human Rights Watch.
Les violences à
grande échelle ont également continué à affecter de nombreuses régions du pays,
faisant près de 4,5 millions de personnes
déplacées, plus que dans n’importe quel autre pays d’Afrique. La
plupart des violences sont liées à la crise politique et certaines semblent faire partie d’une
stratégie du chaos délibérée de la part du gouvernement pour
justifier le report des élections, selon des sources bien placées issues des
forces de sécurité et des services de renseignement.
Au cours des
manifestations d’ampleur nationale menées par les dirigeants laïcs de l’Église
catholique le 31 décembre 2017, ainsi que les 21 janvier et 25 février 2018,
les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et lancé du gaz
lacrymogène dans l’enceinte
d’églises catholiques pour perturber des offices
pacifiques et des marches de protestation organisées après la messe du
dimanche. Les forces de sécurité ont tué au moins 18 personnes, dont
l’activiste pro-démocratie bien connu Rossy
Mukendi, et blessé ou arrêté des dizaines d’autres. Les forces
de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes dans trois maternités de Kinshasa –
la capitale – où les manifestants s’étaient réfugiés, menaçant ainsi la vie de
nouveau-nés.
Avant les
manifestations du 25 février, des responsables du parti au pouvoir ont recruté
et payé plusieurs centaines de jeunes gens pour infiltrer les églises, arrêter
les prêtres qui tenteraient de participer à des marches après leurs messes, et
frapper ceux qui résisteraient. Ces jeunes avaient aussi pour ordre de
provoquer violences et désordres afin d’empêcher les marches d’avancer et de
« justifier » une réaction brutale des forces de sécurité. Des
membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir ont été formés et mobilisés
pour provoquer le même genre d’incidents violents pendant les manifestations à
venir, selon les déclarations de cinq d’entre eux à Human Rights Watch.
« Pour
le moment, nous sommes en stand-by », a déclaré l’un d’eux. « Nous
attendons que les Catholiques programment la prochaine manifestation, et alors
nous organiserons des contre-manifestations. Cette fois-ci, ce sera terrible. »
Le 25 avril, les
forces de sécurité ont brutalement réprimé une manifestation menée par le
mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) à Beni, dans l’est de la RD
Congo, ont arrêté 42 personnes et en ont blessé quatre autres. Le 1er mai, les
forces de sécurité ont arrêté 27 activistes pendant une manifestation organisée
par la LUCHA à Goma. Le 10 juin, un des principaux activistes de la LUCHA, Luc
Nkulula, est mort dans
l’incendie suspect de son domicile à Goma.
En parallèle,
des représentants du parti au pouvoir mènent effrontée pour
le maintien de Joseph Kabila au pouvoir – au mépris de la Constitution et
de l’accord de la Saint-Sylvestre signé
grâce à la médiation de l’Église catholique, et qui
lui interdisent clairement de se représenter. Des bannières et
des panneaux ont surgi partout dans le pays avec des messages comme
« Joseph Kabila, Président de la RDC : hier, aujourd’hui et demain. »
Une vidéo diffusée
sur les médias sociaux délivre un message similaire, repris également par des
représentants du parti au pouvoir lors d’interviews avec les médias et à
l’occasion de ce qui ressemble à des meetings de
campagne en faveur du président.
La confiance
dans le processus électoral a été sapée encore davantage par l’insistance de la
commission électorale nationale (CENI) à imposer l’usage de machines de vote
électronique, qui n’ont jamais été testées lors d’une élection en RD Congo et
que l’opposition politique et les leaders de la société civile voient comme un
outil pour faciliter les
fraudes. Les nombreuses irrégularités soulignées par l’audit du
fichier électoral réalisé par l’Organisation internationale de la Francophonie
(OIF), et notamment les 16,6% de votants enregistrés sans empreintes digitales, ont
soulevé des inquiétudes supplémentaires. À tout ceci s’ajoute le sentiment que
la CENI n’est pas indépendante, de même
que la Cour
Constitutionnelle et le système
judiciaire de façon plus générale, et le manque de
transparence relatif au financement du processus
électoral.
Ces préoccupations ont été soulignées dans une déclaration
conjointe signée par 177 organisations de défense des droits
humains et mouvements citoyens congolais le 4 juin. Des groupes de défense
des droits et des experts de l’ONU craignent également que les projets de
loi à l’agenda de la session extraordinaire du parlement actuellement en cours
ne restreignent de façon drastique la capacité des Congolais et des
organisations non-gouvernementales internationales à mener leurs opérations
librement et indépendamment en RD Congo.
La crise
politique est à l’agenda du sommet de l’Union africaine qui se tient en ce
moment. Des visites de hauts dirigeants sont prévues en RD Congo dans les
semaines à venir, dont une visite conjointe du
Secrétaire Général de l’ONU António Guterres, et du président de la Commission
de l’UA Moussa Faki.
« Les
visites de hauts dirigeants qui s’annoncent ainsi que les réunions régionales
représentent autant d’opportunités cruciales pour délivrer des messages forts
et coordonnés au Président Kabila et aux autres principaux responsables
congolais », a souligné Ida Sawyer. « Les dirigeants en visite
devraient signifier clairement que tous délais supplémentaires dans la tenue
des élections du 23 décembre, une candidature de Kabila à sa propre réélection
ou encore de nouvelles tentatives d’entraver les candidats de l’opposition sont
des actes qui appelleront des conséquences graves. »
Contexte
Les forces de
sécurité du gouvernement congolais ont tué près de 300 personnes au cours de
manifestations politiques globalement pacifiques depuis 2015, notamment
en recrutant des
anciens combattants du groupe armé M23, responsables d’abus, pour participer à
la répression. Les services de sécurité ont arrêté des centaines d’opposants
politiques et de défenseurs de la démocratie et des droits humains. Nombre
d’entre eux ont été maltraités et détenus illégalement par les services de
renseignement pendant des semaines ou des mois, sans chefs d’inculpation et
sans avoir accès à leur famille ou à un avocat, tandis que d’autres ont été
traduits en justice sur des accusations montées de toutes pièces.
Un accord de
partage du pouvoir signé le 31 décembre 2016 sous l’égide de l’Église
Catholique, connu sous le nom d’ « Accord de la
Saint-Sylvestre », appelait à la tenue d’élections avant la fin 2017 et à
la mise en œuvre de « mesures de décrispation » pour apaiser les
tensions et ouvrir l’espace politique. La coalition au pouvoir en RD Congo a
largement bafoué ces engagements.
En novembre
2017, la commission électorale nationale (CENI) a publié un calendrier
électoral fixant au 23 décembre 2018 la date des scrutins
présidentiel, législatif et provincial. Ceci faisait suite à une visite en RD
Congo de l’Ambassadrice américaine aux Nations Unies Nikki Haley, qui avait
appelé au retrait de Kabila en accord avec la Constitution, et à l’organisation
d’élections avant la fin 2018.
Depuis, le Conseil de sécurité de l’ONU,
le Secrétaire Général de l’ONU et
son envoyé spécial, le
président de la Commission de l’Union
africaine, la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), l’Union
européenne, et d’autres organisations et dirigeants
régionaux ou internationaux ont tous appelé au respect de ce
calendrier et à la mise en œuvre de ces mesures de décrispation, de façon à
garantir des élections crédibles.
Le 23 juin, le
président de la CENI a convoqué officiellement
le corps électoral et a ouvert le processus permettant de soumettre des
candidats pour les élections provinciales. Le secrétaire général du principal
parti d’opposition congolais, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social
(UDPS), a déclaré le
24 juin que leurs listes de candidats étaient prêtes mais ne seraient soumises
que lorsque certains préalables seraient remplis, et notamment l’abandon des
machines à voter et l’épuration du fichier électoral.
La période
prévue pour soumettre des candidats pour les élections nationales législatives
et présidentielles court du 25 juillet au 8 août. Les médias ont rapporté que
Kabila prononcerait un discours rare devant
le parlement d’ici le 20 juillet.
Les
mesures de décrispation prévues par l’Accord de la Saint-Sylvestre
Parmi les
mesures de décrispation listées dans l’accord de
la Saint-Sylvestre figurent la libération des
prisonniers politiques, l’autorisation du retour des
responsables politiques en exil, l’ouverture d’organes de presse proches de
l’opposition et la levée de l’interdiction des manifestations et meetings
politiques pacifiques.
Le Comité laïc
de coordination de l’Église a noté dans sa lettre du 23
juin au président de l’UA que :
Aucun opposant
politique emblématique n’a été libéré ; aucun exilé politique n’a pu regagner
le pays ; la tension sociale et politique continue à être entretenue par des
interpellations fantaisistes et des arrestations arbitraires des membres des
mouvements citoyens ainsi que des activistes pro-démocratie et des Droits de
l’homme ; les espaces démocratiques et médiatiques n’ont pas été libéralisés ;
les mesures d’interdiction des manifestations politiques ne sont levées que de
manière sélective pour tromper la communauté internationale.
Si
certains prisonniers politiques et activistes ont été libérés, beaucoup
d’autres ont été arrêtés depuis la signature de l’accord. Jean-Claude Muyambo
et Eugène Diomi Ndongala, tous deux nommés explicitement dans l’accord, sont
toujours en détention.
Human Rights
Watch a enquêté sur
les cas de 24 défenseurs des droits humains et de la démocratie, dirigeants ou
partisans de l’opposition qui ont été arrêtés dans le cadre de la campagne de
répression politique menée par le gouvernement depuis 2015, et qui sont
toujours en détention. Beaucoup ont été détenus illégalement pendant des mois
par les services de renseignements. D’autres ont vu leur santé se détériorer
pendant leur détention, notamment le jeune activiste Carbone Beni ainsi
que les figures de l’opposition Gérard Mulumba Kongolo
(« Gecoco »), Franck Diongo et Jean-Claude Muyambo.
Un des exilés
nommé dans l’accord, Roger Lumbala, a été
autorisé à rentrer en RD Congo après avoir fait publiquement allégeance à
Kabila. Trois autres personnes nommées dans l’accord sont
toujours en exil : l’ancien gouverneur du Katanga, figure de l’opposition
et candidat déclaré à la présidentielle Moïse Katumbi ; l’activiste
pro-démocratie et chef de file du mouvement de citoyens Filimbi, Floribert
Anzuluni ; et le leader de l’opposition, ancien ministre et chef rebelle
Antipas Mbusa Nyamwisi.
En 2016, Moïse
Katumbi a été condamné par défaut pour faux dans une affaire de vente
immobilière qui datait de plusieurs années, à trois ans de prison assortis
d’une amende d’un million de dollars américains. L’une des juges a déclaré plus
tard à Human Rights Watch que l’Agence nationale de renseignement l’avait
menacée et forcée à prononcer la condamnation. En juillet 2017, des hommes
armés ont tiré sur un autre juge qui avait refusé de statuer contre Katumbi,
manquant de peu de le tuer.
Un rapport
confidentiel de la conférence des évêques catholiques du Congo (la CENCO)
relatif à deux des « cas emblématiques » cités par l’accord et
qui a fuité dans les médias et
a pu être consulté par Human Rights Watch, conclut que les procès menés
contre Katumbi et Muyambo étaient
motivés par des raisons politiques, entachés d’irrégularités, et n’étaient
« que des mascarades ». Le rapport appelle à la libération
immédiate de Muyambo, au retrait du mandat d’arrêt et à l’abandon de la
procédure engagée contre Katumbi, et à la libération des proches de ce dernier
qui sont toujours en détention.
Au début du mois
de juin 2017, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme
(HCDH) a appelé le
gouvernement congolais à prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre
le retour de Moïse Katumbi, sa participation libre et en toute sécurité aux
élections présidentielles en tant que candidat, et pour le protéger contre tout
risque d’arrestation ou détention arbitraire. Beaucoup de Congolais voient le
retour de Katumbi comme un test crucial pour des
élections crédibles et inclusives en décembre.
Au moins quatre
organes de presse proches de l’opposition sont toujours fermés, notamment la Radio-Télévision
Lubumbashi JUA (RTLJ), qui appartient à Muyambo, la chaîne Nyota TV ainsi que
Radio-Télévision Mapendo, qui appartiennent à Katumbi, et enfin la station de
radio et de télévision La Voix du Katanga, dont le propriétaire est Gabriel
Kyungu.
Le gouvernement
a refusé ou révoqué les visas de nombreux journalistes et chercheurs
internationaux, les empêchant de continuer à travailler en RD Congo. Le
gouvernement congolais a publié un décret le
14 juin imposant aux médias en ligne de solliciter une autorisation préalable
auprès des institutions publiques avant de diffuser des publicités, ainsi que
d’autres nouvelles règles. Les médias en ligne ont reçu 30 jours pour se
conformer à ces dispositions. Il est à craindre qu’elle
soit utilisée pour réprimer les médias en ligne congolais, particulièrement
actifs.
La Ministre des
droits humains Marie-Ange Mushobekwa a annoncé le
20 mars à l’occasion du dialogue interactif sur la RD Congo du Conseil des
droits de l’Homme de l’ONU que la suspension des manifestations politiques
publiques avait été levée. Cependant, cette déclaration ne reflète pas de réel
changement de politique, puisque de nombreuses manifestations pacifiques ont
été réprimées depuis cette annonce, notamment à Kinshasa, Lubumbashi, Sankuru, Goma, Nyiragongo, Bunia, Beni et
Kisangani. Avancée positive, les leaders d’opposition Felix Tshisekedi
le 24 avril et Moïse
Katumbi le 9 juin (par
vidéo conférence) ont pu organiser des meetings sans incidents de sécurité.
Le Comité laïque
de coordination a appelé à manifester les 31 décembre, 21 janvier et 25 février
pour exiger la pleine application de l’accord de la Saint-Sylvestre, signé
grâce à la médiation de l’Église catholique. Ces manifestations ont été
soutenues par les principaux partis d’oppositions et organisations de la
société civile de la RD Congo.
Human Rights
Watch a précédemment rassemblé des informations montant
que pendant les manifestations du 31 décembre, les forces de sécurité
congolaises ont encerclés des églises et tiré dans l’enceinte des paroisses,
tuant au moins huit personnes et en blessant des dizaines d’autres, dont au
moins 27 personnes souffrant de plaies par balle.
Les forces de
sécurité ont eu recours à des tactiques similaires pendant les manifestations
suivantes, le 21 janvier, en déployant des barrages routiers et des forces
importantes dans tout Kinshasa et dans d’autres villes. Malgré les
intimidations, des milliers de fidèles et d’autres Congolais se sont joint aux
prêtres pour des processions après la messe dominicale. De nombreux
manifestants étaient vêtus de blanc, chantaient des hymnes en marchant, et
portaient des signes religieux visibles – des croix, bibles, chapelets et
rameaux.
Les forces de
sécurité ont réagi en tirant du gaz lacrymogène et des balles réelles pour
disperser les manifestants pacifiques, tuant au moins huit personnes à Kinshasa
et en blessant de nombreux autres, dont au moins 23 personnes par balles. Selon
l’Église catholique, les forces de sécurité ont dispersé les manifestants
avec du gaz lacrymogène et des balles réelles dans au moins 75 paroisses de
Kinshasa.
Un prêtre de
Kinshasa a raconté à Human Rights Watch ce qui s’était passé au moment où la
procession commençait :
Nous nous sommes
retrouvés face à un barrage avec des policiers qui n’étaient pas armés, et qui
nous ont dit de rentrer à la paroisse. Tandis que nous étions en train de
négocier avec eux, un autre groupe de policiers armés jusqu’aux dents est
arrivé par derrière. Nous nous sommes tous agenouillés pour montrer que notre
manifestation était pacifique. Ces policiers nous ont aussi dit de rentrer à la
paroisse. Et puis soudain ils se sont mis à tirer du gaz lacrymogène et des
balles réelles en l’air. Cela a provoqué une panique totale dans la
foule : certains fidèles se sont couchés au sol, tandis que d’autres se
sont mis à courir dans tous les sens.
Un changeur de
devises a déclaré avoir vu des soldats en civil pourchasser des manifestants
sur l’avenue de Kintambo, où la vidéo a été filmée :
Alors que des
jeunes protestaient contre le meurtre de Deshade [Thérèse] Kapangala [une
manifestante pacifique abattue par les forces de sécurité un peu plus tôt ce
jour-là], des soldats en civil sont arrivés dans une jeep et se sont mis à leur
tirer dessus. Puis les soldats sont sortis de la jeep et ont pourchassé les
manifestants dans la rue en tirant en l’air. Tout le monde a paniqué.
Dans d’autres
quartiers, le 21 janvier, des membres armés des forces de sécurité ont été vus
avec des masques de squelettes noirs et blancs, qu’ils arboraient apparemment
pour intimider les manifestants. Certains portaient des vêtements civils
ordinaires avec leur masque, tandis que d’autres étaient tout de noir vêtus.
Un témoin a
affirmé que des hommes armés en tenue civile s’étaient mélangés aux
manifestants :
Après la messe
du 21 janvier, nous avons commencé à défiler, et après avoir marché environ 50
mètres, la police s’est mise à nous disperser avec du gaz lacrymogène. Des
jeunes hommes en tenue civile qui étaient dans la foule avec nous ont alors
sorti leurs armes et ont commencé à arrêter des manifestants. Nous avons vite
compris que nous avions été infiltrés.
Après les
condamnations générales exprimées suite à la répression du 21 janvier, les
autorités congolaises ont semblé changer de tactique avant les manifestations
du 25 février. À l’occasion d’une parade organisée le 24 février, le Général
Sylvano Kasongo, commissaire de la police provinciale de Kinshasa, a donné ordre à
la police de ne pas tirer à balles réelles sur les manifestants pendant les
marches programmées le lendemain, et a fixé un objectif de « zéro morts ».
Deux agents de police ont confirmé à Human Rights Watch avoir reçu
explicitement l’ordre de ne pas tuer les manifestants.
Cette fois, des
jeunes du parti au pouvoir ont été déployés pour intimider les paroissiens et
les prêtres, provoquer des violences, et bloquer les manifestations. Et les
forces de sécurité ont tué au moins deux personnes, à Kinshasa et à Mbandaka.
L’Église catholique a signalé au
moins 32 blessés, dont 13 présentant des plaies par balle, et 76 autres
personnes interpellées à Kinshasa.
Outre les
manifestations à Kinshasa, des fidèles accompagnés d’autres personnes ont tenté
de manifester le 21 janvier et le 25 février à Beni, Bukavu, Goma, Lubumbashi,
Mbandaka, Mbuji-Mayi, et Kisangani. Dans tout le pays, les forces de sécurité
ont eu recours à une force excessive et non nécessaire pour disperser des
manifestants pacifiques.
Comme pendant
les manifestations précédentes, le gouvernement congolais a donné l’ordre aux
entreprises de télécommunications de bloquer les sms et l’accès à internet dans
tout le pays le 21 janvier et le 25 février, dans ce qui semblait être une
tentative d’empêcher les nouvelles des manifestations de se propager. Ces
services ont été rétablis le 23 janvier, et le soir du 25 février.
Témoignages
relatifs à des meurtres perpétrés par les forces de sécurité pendant les
manifestations
La police a
abattu Thérèse Kapangala, 24 ans, qui étudiait pour devenir bonne sœur à la
paroisse Saint-François de Kinshasa le 21 janvier. Son frère a raconté à Human
Rights Watch :
Ce matin-là, ma
sœur était allée à l’église pour prier. Après l’office, elle a suivi l’appel du
Comité laïque à manifester pacifiquement. Ils ont commencé à défiler derrière
le prêtre de la paroisse et ses acolytes. Juste au moment où ils quittaient
l’enceinte de la paroisse, les policiers ont tiré du gaz lacrymogène pour les
disperser, et les fidèles sont retournés en courant dans l’église. Un véhicule
anti-émeutes de la police s’est alors arrêté juste devant la paroisse, et un
policier est monté dessus et s’est mis à tirer à balles réelles. C’est à ce
moment-là que ma sœur, qui se tenait près d’une des portes de l’église, a été
touchée par une balle qui a traversé son bras et transpercé son cœur. Nous
avons essayé de la ranimer, mais elle est morte dans une voiture pendant le
trajet vers l’hôpital.
L’oncle d’un
étudiant de 18 ans a déclaré que son neveu avait été tué à Kinshasa le 21
janvier par un agent de police bien connu dans le quartier, qui était en tenue
civile :
Quand [mon
neveu] a pensé que le calme était revenu après les manifestations, il est sorti
chercher du sucre pour le thé. Deux agents de police en civil descendaient
l’avenue en moto, ils ont vu mon neveu dehors, et l’un d’entre eux a tiré sur
lui à bout portant. La balle l’a atteint à la mâchoire et il est mort sur le
coup. L’un des agents a alors dit dans son téléphone : « On en a
eu un ! » [Mon neveu] était en dernière année à l’école, et il ne
méritait pas ce qui lui est arrivé.
Le 25
février, des policiers ont abattu Rossy Mukendi à Kinshasa. Âgé de 35 ans,
c’était un activiste pro-démocratie bien connu, membre du mouvement citoyen
Collectif 2016 et assistant à l’Université Pédagogique Nationale (UPN). Il
était en train de fermer le portail de la paroisse de Saint-Benoit quand les
policiers ont dispersé des gens qui tentaient de défiler et que les fidèles
sont revenus dans l’enceinte de la paroisse. Le policier qui a tiré sur Rossy
Mukendi était dans une jeep, aux côtés d’un officier de police haut-gradé bien
connu. Certains témoins affirment que cet officier a désigné Mukendi avant que
son collègue ne l’abatte. Rossy Mukendi s’était activement impliqué pour
mobiliser des participants pour les trois marches organisées par le CLC. Juste
après lui avoir tiré dessus, les policiers ont tenté de l’embarquer, retardant
son arrivée à l’hôpital pour recevoir des soins qui auraient pu lui sauver la
vie.
La police a
conservé le cadavre de Rossy Mukendi jusqu’au 18 mai, malgré une indignation
publique croissante. Quand sa famille a enfin pu l’enterrer, les policiers ont
tiré du gaz lacrymogène sur
les amis de Mukendi alors qu’ils étaient en train de porter son cercueil de
l’église jusqu’au cimetière.
Le père d’Eric
Bolokoloko, 25 ans, a déclaré que la police avait tiré sur son fils alors qu’il
rentrait de la marche organisée à Mbandaka le 25 février :
Mon fils était
allé à la messe, et la marche qui suivait s’était bien passée. Mais alors que
mon fils rentrait à la maison, un officier de la police fluviale lui a tiré
dessus. La balle lui a transpercé le front et est ressorti à l’arrière de son
crâne. Il est mort sur le coup.
Témoignages relatifs à des
personnes blessées pendant les manifestations
Le 21 janvier à
Kinshasa, la police a tiré des gaz lacrymogènes dans une maternité de la
commune de Ngaliema, alors qu’ils poursuivaient des manifestants et des
badauds, dont certains avaient cherché refuge à l’intérieur. Trois cartouches
de gaz sont tombées juste à côté de la salle réservée aux bébés, mettant leur
vie en danger selon des témoins et des employés de la maternité.
Le 25 février,
les policiers ont tiré du gaz lacrymogène dans deux autres maternités des
communes de Ngaliema et Lemba, où des manifestants s’étaient réfugiés, mettant
à nouveau en danger la vie de plusieurs nouveau-nés et de leurs mères.
Une sage-femme
qui travaille dans l’une des maternités attaquées le 25 février a
déclaré :
Après la messe,
un véhicule de la police anti-émeutes suivi par plusieurs policiers à
pied a essayé de disperser les manifestants. Ils ont tiré du gaz
lacrymogène dans tous les sens. Quand la première cartouche de gaz lacrymogène
est tombée dans la maternité, nous avons hurlé aux policiers que c’était une
maternité, mais ils ne nous ont pas écoutées. Puis la seconde et la troisième
[cartouches] ont atterri à l’intérieur. Les deux premières ont explosé, et tout
le service était rempli de gaz. L’odeur du gaz a mis en danger la vie de 15
nouveau-nés, dont un qui venait de voir le jour quelques instants auparavant et
qu’on avait sorti dans la cour au moment où le gaz a été tiré. Nous avons vite
ramené le bébé dans la salle avec les autres et avons calfeutré les fenêtres
pour essayer d’empêcher le gaz d’entrer. Les mères ont mis de la margarine et
de l’eau sur le visage de leurs bébés et sur leurs propres visages, pour se
protéger. Je crois qu’aujourd’hui les bébés vont bien, mais nous ne savons pas
quels effets cela pourrait avoir à long terme.
Une
infirmière d’une autre maternité attaquée au gaz lacrymogène le 25 février a
raconté qu’un nourrisson qui avait inhalé du gaz avait dû être transféré à
l’hôpital pour recevoir des soins spécialisés, après que sa peau ait tourné au
bleu-violet à cause de la cyanose provoquée par le gaz.
Un couple de mon
quartier est venu me voir avec leur bébé qui avait inhalé du gaz lacrymogène
pendant la manifestation. J’ai pu sauver la vie du bébé. La cartouche de gaz
avait atterri directement dans leur cour quand la police s’est mise à en tirer
dans toutes les directions.
À Goma, un
étudiant catholique de 24 ans militant du Mouvement social pour le renouveau
(MSR), un parti politique d’opposition, a déclaré avoir été frappé par un
projectile de gaz lacrymogène pendant la manifestation du 21 janvier :
Rien n’avait été
organisé dans ma paroisse le 21 janvier, et j’ai donc décidé de prier à la
cathédrale Saint Joseph et de me joindre à la marche pacifique qui y était
prévue après l’office. Après la messe, nous avons sorti nos banderoles et
commencé à marcher sur environ 50 mètres. Puis la police est arrivée et nous a
dispersés avec du gaz lacrymogène. Nous sommes tous retournés à la paroisse, et
les policiers ont formé un cordon à l’extérieur pour nous empêcher de
ressortir. Puis ils ont commencé à tirer du gaz lacrymogène dans l’enceinte de
la paroisse. Certains jeunes ont répondu en jetant des pierres à la police.
C’est alors que les agents ont intensifié les tirs de gaz lacrymogène. J’étais
à la porte de l’église quand un projectile a atterri sur mon nez. Je suis tombé
au sol, et j’ai eu très mal. Mon nez saignait abondamment. Mes amis ont placé
un linge mouillé sur mon nez et ont versé de l’eau sur ma tête pour ralentir
l’écoulement du sang. Les gens de la Croix Rouge sont arrivés plus tard et
m’ont soigné.
À Bukavu, alors que des policiers tiraient du gaz
lacrymogène pour disperser des manifestants le 21 janvier, un agent a utilisé
une baïonnette et sérieusement blessé un manifestant, lui fracturant le bras. À
Kisangani, la police a tiré du gaz lacrymogène et des balles réelles pour
disperser des manifestants devant plusieurs églises. Cinq manifestants ont subi
des blessures graves, dont deux passés à tabac par des policiers, deux autres
touchés par des éclats de cartouches de gaz, et une personne qui a reçu une
balle dans la cuisse.
Arrestations pendant les manifestations
Selon le Bureau
conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme, au moins 121 personnes,
dont quatre enfants, ont été arrêtées
arbitrairement le 21 janvier et plus de 100 personnes ont
été arrêtées le
25 février. Selon l’Église catholique, 210 personnes ont été arrêtées le 21
janvier : 147 à Kinshasa, 14 à Kisangani, 9 à Lubumbashi, 2 à
Mbuji-Mayi, et 38 à Bukavu et Goma. L’Église a rapporté 76 arrestations dans
tout le pays le 25 février.
Nombre des
personnes arrêtées étaient des militants pour la démocratie et des
représentants d’églises. À Goma le 21 janvier, Human Rights Watch a enquêté sur
les arrestations de 11 manifestants, dont 7 activistes des mouvements citoyens
LUCHA RDC et LUCHA RDC Afrique, devant la cathédrale Saint Joseph. Ils ont
d’abord été détenus pendant cinq jours dans une cellule en sous-sol, où on les
a frappés et on leur a refusé toute visite, et tout juste donné de quoi manger.
Ils ont plus tard été transférés à la prison centrale de Goma, et inculpés pour
avoir violation de l’enceinte de l’église, séquestration de prêtres, et actes
de vandalisme commis dans la cathédrale. Ils ont été acquittés le 19 mars et
libérés le lendemain.
À Kisangani, la
police a arrêté trois prêtres le 25 février après avoir dispersé violemment les
fidèles qui marchaient avec eux en direction de la principale cathédrale de la
ville. Ils ont tous été relâchés plus tard ce soir-là. À Bukavu, les policiers ont
arrêté un militant du mouvement citoyen Telema le 25 février, alors qu’ils
dispersaient des manifestants. Il a été libéré un peu plus tard le même jour.
Les forces de
sécurité avaient déjà arrêté des dizaines de gens avant et pendant les
manifestations du 31 décembre. Beaucoup d’entre eux sont toujours en détention,
et notamment le chargé du réseau de Filimbi, Carbone Beni, et les
activistes de ce mouvement Grâce Tshunza, Mino Bomponi et Cédric Kalonji, qui
ont tous été arrêtés le 30 décembre. Un autre militant de Filimbi, Palmer
Kabeya, a été enlevé à Kinshasa le 23 décembre. Il a été détenu dans une
cellule des services du renseignement militaire, sans accès à sa famille ou à
un avocat, jusqu’au 3 avril 2018, avant d’être transféré à la prison 3Z de
l’Agence nationale de renseignements. Le 7 juin, les sept activistes de Filimbi
ont été transférés au bureau du procureur, puis à la prison centrale de
Kinshasa. Ils ont été accusés notamment d’ « outrage au chef de
l’État » et d’ « atteinte à la sûreté de l’État »,
selon leur avocat. La mise en liberté provisoire leur a été refusée, et leur procès doit
débuter le 29 juin.
Les responsables du CLC qui avaient appelé à participer
aux trois manifestations subissent également des pressions de plus en plus
fortes. Pendant une conférence de presse le 22 février, le ministre de la
Justice de la RD Congo a confirmé que
des mandats d’arrêt avaient été délivrés au nom de cinq des huit dirigeants du
CLC. Certains membres ont reçu des menaces, et tous ont été forcés à vivre dans
la clandestinité et rencontrent de plus en plus de difficultés pour poursuivre
leur travail.
Mobilisation
de jeunes du parti au pouvoir pour perturber les manifestations
Pendant la
période qui a précédé les manifestations du 25 février, des responsables du
parti au pouvoir, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie
(PPRD), ont recruté des centaines de jeunes issus du parti et d’ailleurs, pour
s’en prendre aux manifestants pacifiques à Kinshasa. Human Rights Watch a
interviewé cinq personnes actuellement membres de la ligue des jeunes du parti
au pouvoir, ainsi qu’un ancien dirigeant.
Parmi ces
recrues figuraient des membres du groupe des Jeunes Leaders du PPRD, créé et
encouragé par Henri Mova Sakanyi, ancien secrétaire général de ce parti et
actuellement vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur. Les jeunes du
PPRD ont été rejoints le 25 février par d’autres jeunes liés au Vita club –
l’un des principaux clubs de football de Kinshasa, dont le président est le
Général Gabriel Amisi, commandant de la première zone de défense de l’armée
congolaise, basée à Kinshasa. Il est accusé depuis longtemps d’être impliqué dans de
graves abus.
Le 24 février, vers
15h00, plus de 100 jeunes sont arrivés à bord de bus publics Transco
appartenant au gouvernement à la cathédrale Notre Dame, principale paroisse de
Kinshasa où le Cardinal Laurent Monsengwo, archevêque de la ville et critique
affiché du gouvernement, célèbre les messes. Portant des bérets rouges – marque
de fabrique de l’organisation des Jeunes Leaders – ils ont occupé l’enceinte de
la cathédrale, sous la houlette du président de ce même groupe, Papy Pungu
Lwamba, qui a déclaré aux
médias qu’ils étaient venus « prendre possession » de la
cathédrale pour « défendre la patrie », et qu’ils avaient
l’intention d’y passer la nuit. Les prêtres ont annulé la messe du soir en
raison de ces perturbations.
Le même jour,
une vidéo a
commencé à circuler, montrant le coordinateur national des Jeunes Leaders Popol
Badjegate en train de donner ses instructions à des recrues en lingala, la
principale langue parlée à Kinshasa. Il leur ordonnait d’arriver dans les
églises à 5h du matin, et d’arrêter tout prêtre qui tenterait de lancer une
marche après l’office. « Nous vous disons cela aujourd’hui parce que
vous êtes les soldats politiques du Raïs [Kabila] », affirmait-il.
« Vous avez reçu trois ans d’entraînement. Ce dimanche, nous irons au
combat. Notre objectif est de protéger la patrie. » Human Rights Watch
a parlé à deux membres des Jeunes Leaders présents lors de cette réunion, qui
ont confirmé que la vidéo était authentique.
Tôt le
lendemain, les jeunes se sont déployés dans des paroisses de tout Kinshasa.
« Alors que la marche allait démarrer, on nous a dit d’arrêter les
prêtres et de les amener la police », a raconté un membre des Jeunes
Leaders à Human Rights Watch. « S’ils résistaient, nous avions
l’autorisation de les frapper. »
Beaucoup de
prêtres ont annulé les manifestations programmées quand ils ont vu des jeunes
portant des bérets rouges – dont certains qui se proclamaient les « soldats
de Kabila » – dans et autour de leurs églises, avant et pendant les
offices dominicaux. D’autres ont décidé de se contenter d’une petite procession
dans l’enceinte de la paroisse. Des prêtres ont raconté à Human Rights Watch
avoir eu peur que les manifestations prennent un tour violent.
« Nous
avons été alertés par le service du protocole de l’église et par d’autres
fidèles, selon lesquels des personnes infiltrées étaient venues assister à la
messe avec des armes blanches, et des agents du renseignement étaient déployés
tout autour de la paroisse », a raconté l’un de ces prêtres. « Nous
avons alors décidé d’annuler la marche et de faire plutôt une procession dans
l’enceinte de l’église. »
Papy Pungu
Lwamba a de fait été récompensé pour ses actes. Le 20 avril, il a été nommé président
de la ligue de jeunesse du PPRD. Auparavant l’un des vice-présidents de cette
dernière, il remplaçait ainsi l’ancien président Patrick Nkanga, qui
avait publiquement
pris ses distances par rapport au déploiement des Jeunes Leaders les
24 et 25 février.
Les Jeunes
Leaders ont déclaré avoir participé à des sessions d’entrainement depuis 2016,
et que les individus suivant menaient la formation et étaient impliqués dans la
mobilisation et le recrutement : Henry Mova Sakanyi, Papy Pungu Lwamba,
Popol Badjegate, le vice-président des Jeunes Leaders Yannick Tshisola, un haut
responsable du PPRD, Claude Mashala, et Zoé Kabila, frère du président et
député du PPRD au parlement. Pendant ces sessions, selon des membres de la
ligue des jeunes, on enseignait aux jeunes l’idéologie du PPRD ainsi que des
techniques pour infiltrer et recueillir des renseignements sur les
organisations d’opposition et pro-démocratie, pour provoquer des violences
pendant les manifestations, neutraliser les leaders de l’opposition, et évacuer
rapidement les cadavres des personnes tuées par les forces de sécurité pendant
les manifestations.
Deux personnes
actuellement membres des Jeunes Leaders ont dit à Human Rights Watch que Zoé
Kabila était présent lors d’une réunion de mobilisation et de formation à
laquelle ils avaient assisté dans les jours qui précédaient la manifestation du
25 février, et qu’il avait délivré un « discours de motivation »
aux jeunes recrues.
Au cours de
l’année et demi qui vient de s’écouler, les Jeunes Leaders ont organisé des
« séjours d’échange » avec les Imbonerakure, les
membres de la ligue de jeunesse du parti au pouvoir au Burundi voisin, connus
pour commettre des meurtres brutaux, des viols, des
actes de torture et des passages à tabac. En avril 2017, un groupe
d’Imbonerakure est venu en visite à
Kinshasa et a rencontré des membres de la ligue de jeunesse du PPRD. En août
2017, un groupe de membres de la ligue de jeunesse du PPRD, parmi lesquels des
Jeunes Leaders, s’est rendu à Bujumbura, la capitale du Burundi, pour une réunion avec
des membres des Imbonerakure. Beaucoup d’observateurs ont alors craint que
ces échanges ne conduisent la ligue de jeunesse du PPRD à se mettre à utiliser
les mêmes tactiques abusives que les Imbonerakure.
Des membres des
Jeunes Leaders ont dit à Human Rights Watch que leur formation s’était
poursuivi depuis le 25 février 2018, et qu’ils attendaient des instructions
pour les prochaines manifestations. Pendant une réunion à Kinshasa le 21 avril,
le secrétaire
permanent du PPRD Ramazani Shadari a déclaré aux nouvelles
recrues du PPRD, selon des images vidéo vérifiées
par Human Rights Watch : « S’ils vous insultent, alors vous devez
répliquer par une insulte. »
Human Rights
Watch a rassemblé des informations indiquant que des représentants du parti au
pouvoir et des agents des forces de sécurité ont déjà recruté des membres de la
ligue de jeunes pour perturber des manifestations et provoquer des violences
lors de protestations antérieures, notamment en septembre 2015, septembre 2016 et décembre 2016.