Discours du
Sous-secrétaire d’Etat Sewall -- Kinshasa, RDC (le 20 octobre 2015)
Bonjour à tous. Merci de votre présence cet après-midi et
j’aimerais commencer par remercier le Père Nyembo et le CEPAS d’accueillir cet
événement aujourd’hui. Je souhaite aussi saluer un certain nombre d’autres
personnes parmi nous, l’Ambassadeur Swan et d’autres membres du corps
diplomatique, ainsi que les distingués représentants du gouvernement et membres
du parlement.
Je suis vraiment fort ravie d’être ici à Kinshasa parmi
vous. Je comprends pourquoi les gens appellent cette ville Kin-la-belle. Elle rayonne
de chaleur et d’énergie à travers sa nourriture, sa musique et, surtout, à
travers sa population.
C’est ma première visite en République démocratique du
Congo, mais l’engagement des Etats-Unis envers ce pays est très profond et
durable. C’est perceptible à travers le dévouement remarquable de l’Ambassadeur
Swan et de ses collaborateurs, à travers notre nouvel Envoyé Spécial pour la région
des Grands Lacs, Tom Perriello, et au regard des nombreuses visites effectuées
par de hauts responsables américains dans ce grand et beau pays.
Cet engagement des Etats-Unis est, à mes yeux, surtout
visible à travers la manière dont les Etats-Unis continuent de chercher à
communiquer avec et de soutenir l’ensemble de la société congolaise—non
seulement le gouvernement mais aussi les gens ordinaires—comme les étudiants et
les parents que j’ai rencontrés un peu plutôt dans la journée ou les activistes
de la société civile avec qui je m’entretiendrai à Goma ou encore les chefs
religieux que je rencontrerai à Beni.
Parce qu’après tout, la vraie force d’un pays réside dans
son peuple—c’est vrai pour la République démocratique du Congo comme ça l’est
pour les Etats-Unis d’Amérique.
Les nations prospèrent quand les gouvernements protègent
non seulement les vies de leurs citoyens, mais respectent aussi leurs droits
humains essentiels—quand les citoyens peuvent, en toute paix et sécurité,
exprimer leurs préoccupations et leurs espoirs à l’égard de l’avenir et décider
ensemble d’un destin collectif.
Au cours des derniers jours, j’ai rencontré beaucoup de
vos concitoyens et ils sont tous d’avis qu’il y a un long chemin à parcourir
avant que la RDC ne parvienne à réaliser pleinement ses potentialités. Mais ils
ont aussi exprimé un espoir prudent touchant les progrès continus que ce pays a
réalisés et a continué de réaliser depuis les années de violence et de carnage
les plus sombres, il y a plus d’une décennie.
Comme vous le savez, ces dernières années, le pays s’est
classé en pole position dans cette région en termes de croissance économique.
Il a engrangé des succès gagnés de haute lutte, quoiqu’incomplets, contre des
groupes armés tels que le M23, et cela a assuré une certaine sécurité à des
communautés qui avaient été longuement affectées par le conflit—même si
beaucoup reste à accomplir pour mettre un terme à la violence. Le gouvernement
a aussi pris les premières mesures nécessaires pour tenir les auteurs
d’atrocités horribles perpétrées contre les civils responsables de leurs
actes—que les auteurs de ces crimes se battent contre l’Etat ou en son nom.
Et en 2006, comme vous vous en souviendrez, plus de 18
millions de Congolais on fait un formidable pas en avant en participant au
premier scrutin démocratique organisé au cours des 40 années précédentes. Après
tant de sang versé, l’élection a puissamment affirmé la volonté des Congolais
de se mettre ensemble afin de régler leurs différends pacifiquement et de
dégager une voie commune pour aller de l’avant. Et un grand nombre de
personnes—ici et dans le monde entier—avaient bon espoir que ce progrès représenterait
une nouvelle ère de mouvement continuel vers un avenir plus pacifique, juste et
démocratique pour ce pays.
Cependant, près de dix ans plus tard et au moment où
d’autres élections pointent à l’horizon, beaucoup de Congolais s’inquiètent de
plus en plus du fait qu’en dépit des progrès réalisés sur plusieurs fronts les
réformes politiques ont marqué le pas. Il y a de plus en plus de spéculations
selon lesquelles ceux qui sont au pouvoir pourraient ne pas y renoncer et que
les élections, si elles devaient se tenir, ne reflèteraient pas la voix du
peuple.
La RDC entre donc dans une phase critique actuellement :
l’avenir sera-t-il écrit par les puissants ou par le peuple ?
Et le verdict de l’histoire est clair au sujet de cette
question : le progrès à long terme d’un pays ne dépend d’aucun dirigeant,
si ce n’est des citoyens. Quand tous les hommes et toutes les femmes ont la
possibilité de forger l’avenir de leur pays, ils s’investissent davantage dans la
construction de cet avenir. Quand ils disposent de moyens pacifiques pour
résoudre leurs différends et quand les gouvernements respectent leurs droits
fondamentaux, ils sont moins susceptibles d’avoir recours à la violence.
Beaucoup de personnes dans la région estiment que l’incertitude
entourant la tenue d’élections démocratiques peut susciter de l’inquiétude. La
lutte pour le pouvoir, comme nous ne l’ignorons pas, peut exacerber ce qu’il y
a de plus mauvais en ceux qui le détiennent et les pires choses en ceux qui le
convoitent. Ceux qui sont au pouvoir peuvent être tentés de changer les règles
du jeu en leur faveur en ignorant ou allongeant, par exemple, les limitations
du nombre de mandats, en reportant les élections ou en annulant complètement
les scrutins. Ces personnes cherchent à justifier leurs actions en prétendant
qu’ils sont seuls capables d’assurer la stabilité, la prospérité et le progrès
de manière continue.
Nous n’avons toutefois pas à chercher bien loin pour comprendre
que ces trois objectifs sont menacés par le fait de refuser aux citoyens le
droit de faire prévaloir leurs voix.
Considérez le Burkina Faso, où la tentative du Président
Compaoré de prolonger son règne de 27 ans contre la volonté du peuple a
provoqué un soulèvement populaire et une année de troubles qui a culminé en un
putsch avorté le mois dernier.
Au Burundi, le Président Nkurunziza a plongé le pays dans
la violence, paralysé l’économie et soumis sont peuple à des souffrances
indicibles en défiant l’Accord d’Arusha et en cherchant à s’accorder un
troisième mandat.
Des organisations internationales telles que la Banque
Mondiale ont retiré leur appui financier, et les fonctionnaires risquent d’être
bientôt impayés. Depuis le mois d’avril, plus de 200.000 personnes se sont
réfugiées dans les pays voisins—y compris nombre des citoyens Burundais les
plus talentueux et les plus brillants. L’Union Européenne a pris des sanctions
contre plusieurs personnes coupables d’avoir encouragé la violence, et les
Etats-Unis ont publié des interdictions de voyager. Les Etats-Unis sont
actuellement en train de considérer la prise de nouvelles mesures afin de
rendre responsables de leurs actes ceux qui chercheraient à déstabiliser
davantage le pays—qu’ils se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Au Burkina Faso et au Burundi, les dirigeants ont placé
leurs intérêts politiques égoïstes au-delà de la voix du peuple—cela s’est
traduit par plus de violences, moins de croissance et encore moins d’amis au
sein de la communauté internationale.
Bien que le Rwanda ait réalisé des progrès remarquables
au cours des dix dernières années contre toute attente, augmentant la
croissance économique et l’alphabétisation des jeunes et abaissant de façon
spectaculaire le taux de mortalité infantile extrêmement bas, il n’a pas suivi
le rythme du progrès sur le plan politique.
Il y a eu des tentatives claires dans ce pays de
bâillonner les esprits critiques au sein de la société civile, dans les médias
et au sein de l’opposition politique. Et ceux qui font entendre leurs voix
vivent souvent dans la crainte et sont souvent harcelés ou intimidés. Certaines
personnes ont tout simplement disparues. Tandis que nous célébrons les progrès
du Rwanda, bien entendu, leur pérennisation exigera des autorités qu’elles
fassent confiance au peuple et le respect du processus démocratique et de ses
droits fondamentaux.
Le Président Kagame a exprimé à maintes reprises son engagement
à respecter la limitation de la durée des mandats inscrite dans la constitution
et les Etats-Unis s’attendent à ce qu’il respecte sa parole.
De l’autre côté du fleuve ici, en République du Congo, le
Président Denis Sassou Nguesso a tiré son pays d’une guerre civile
traumatisante et aidé à consolider la paix. Sous sa houlette, le
Congo-Brazzaville a assisté à des progrès en termes de développement
d’infrastructures et a joué un rôle positif dans les initiatives sécuritaires
régionales, y compris le Golfe de Guinée et la crise qui sévit en République
Centre Africaine. Cependant, la décision du Président Sassou d’organiser un
référendum sur une nouvelle constitution qui lui permettrait d’exercer un autre
mandat est profondément inquiétante.
Cette constitution proposée a été rédigée à huis clos,
n’a bénéficié que d’observations fort limitées du public et n’a pas été
largement disponible afin d’être présentée aux électeurs pour examen. En outre,
le référendum est prévu de se tenir avant la mise en œuvre d’améliorations de
la gouvernance électorale convenues par les parties qui pourraient renforcer la
crédibilité des résultats. Certains membres de l’opposition ont été arrêtés
arbitrairement et détenus, ces derniers jours. Et, au cours des derniers jours,
la police a tiré à balles réelles sur la foule, blessant plusieurs partisans de
l’opposition. Les Etats-Unis demandent vivement à toutes les parties, y compris
le gouvernement et l’opposition, d’engager un dialogue et de s’abstenir de
toute action violente qui pourrait saper la paix chèrement acquise que tous les
citoyens méritent.
Comme le Président Obama l’a déclaré à la tribune des
Nations Unies le mois passé, «les dirigeants qui modifient leurs constitutions
pour rester au pouvoir ne font que reconnaitre qu’ils ont échoué à bâtir un
pays prospère pour leurs concitoyens ». Les vrais leaders ne définissent
pas leur héritage en raison de la durée de leur pouvoir, mais plutôt par
rapport à ce qu’ils réalisent durant leurs mandats afin de poser un fondement
sûr pour des progrès durables.
La République démocratique du Congo a maintenant
l’occasion historique de bâtir ce fondement en assurant le premier transfert
pacifique de pouvoir de son histoire. Elle devrait accomplir cela en respectant
sa constitution et en organisant des élections nationales libres et équitables
dans les délais afin d’élire un nouveau président et une nouvelle législature.
Sans conteste, il existe d’énormes défis à surmonter
avant le mois de novembre de l’année prochaine afin d’organiser un scrutin
vraiment équitable et crédible en RDC. Le pays a besoin de ressources adéquates
et de préparation, qu’il s’agisse de la nécessité de mettre à jour la liste des
électeurs, de sensibiliser le public sur le processus électoral, de concevoir
un calendrier électoral réaliste qui donne priorité aux élections nationales et
d’améliorer la sécurité pour permettre une large participation à travers le
pays. Le gouvernement, l’opposition et la société civile doivent résoudre ces
problèmes urgemment pour garantir l’existence d’un processus électoral qui
permette que les élections se tiennent avant la fin de 2016, conformément à la
constitution.
Les Etats-Unis croient en l’urgence de la tenue d’un
forum inclusif qui permettrait aux leaders politiques et aux responsables de la
société civile de résoudre ces questions et de dégager un consensus large sur
la voie à suivre. Mais cela doit se produire rapidement ; les discussions
ne peuvent servir de prétexte pour retarder les choses.
Malgré ces défis, il est manifeste que le peuple
congolais attend impatiemment de prendre date avec l’histoire et d’inaugurer le
premier transfert pacifique de son histoire. Les manifestations du mois de
janvier ont souligné sa détermination d’écrire sa propre destinée et de
s’opposer à toute tentative d’ignorer sa voix.
Les Etats-Unis continueront de se tenir aux côtés des
Congolais pour aider à faire entendre leurs voix. A cette fin, nous avons décaissé
plus de 62 millions de dollars américains pour financer un éventail
d’initiatives—comprenant de l’aide aux partis politiques pour leur permettre de
mieux atteindre et représenter tous les citoyens congolais, un appui à la
société civile pour sensibiliser les électeurs sur leurs droits et leurs
responsabilités et une formation en faveur d’observateurs électoraux pour les
aider à mieux surveiller les abus. Nous travaillons aussi avec le Congrès des
Etats-Unis en vue du déboursement d’1 million de dollars américains
supplémentaires pour renforcer la sécurité avant et après les scrutins, afin de
réduire les risques de violences pendant cette période vulnérable.
Mais les Congolais méritent mieux qu’une élection libre
et équitable—ils méritent une société libre et équitable. Et, je le souligne
encore, les Etats-Unis sont prêts à vous aider. L’an dernier, nous avons travaillé
avec des gouvernements de la région pour aider à lancer le Centre africain pour
la justice, qui aide les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables à
se défendre au sein du système juridique.
Nous fournissons 2 millions de dollars supplémentaires
pour l’Accountability Initiative qui a été lancée par le Secrétaire d’ Etat John
Kerry l’an dernier, afin de lutter contre relative aux violences sexuelles, par
l’entremise d’approches juridiques créatives. $1 million supplémentaire
soutiendra les cliniques d’aide juridique et les audiences foraines pour que
davantage de Congolais puissent avoir accès à la justice. Le mois dernier, nous
avons investi $1 million additionnel au Sud Kivu pour professionnaliser le
système de justice civil et pour aider à apprendre à 50.000 femmes à
l’utiliser.
Malgré ces efforts de notre part et de la part d’autres
partenaires internationaux, il revient, en fin de compte, au gouvernement de
respecter les droits de l’homme essentiels et le besoin de justice des
citoyens. Et nous sommes préoccupés à cet égard.
Du meurtre brutal du célèbre défenseur des droits de
l’homme, Floribert Chebeya, à la détention continue de tant d’activistes comme
Christopher Ngoyi, Cyrille Dowe, Jean-Claude Muyambo, Vano Kiboko et Ernest
Kyaviro, le gouvernement a affiché sa volonté de violer les droits fondamentaux
de ses citoyens sous le prétexte douteux de la sécurité nationale. Au mois de
mars, des jeunes activistes ont été arrêtés tandis qu’ils essayaient simplement
de gagner l’engagement de davantage de leurs pairs dans le processus politique.
Deux de ces jeunes gens, *Fred Bauma et Yves Makwambala,
ont été détenus pendant plusieurs mois sans avoir accès à un avocat, et quatre
autres activistes ont été emprisonnés à Goma après avoir manifesté contre cet
état de fait.
Nous savons que la RDC est confrontée à de réels défis
sécuritaires, mais de jeunes activistes pacifiques ne font pas partie de ces
défis. En fait, les violences surviennent souvent quand les gens n’ont pas
d’exutoire pacifique pour faire entendre leurs voix ou quand les gouvernements
violent leurs droits fondamentaux.
Il suffit de regarder l’est du pays, où des groupes armés
prédateurs tels que le FRPI et un grand nombre de milices Mai Mai ont cherché à
résoudre leurs différends politiques en prenant les armes contre l’Etat et en
commettant des atrocités horribles contre les civils.
Les Etats-Unis appellent le gouvernement et la MONUSCO à reprendre
leurs opérations conjointes contre ces groupes armés pour mettre un terme aux violences
et préserver l’intégrité territoriale de la RDC. Tant que les communautés dans
l’est du pays continueront de vivre dans l’ombre de la violence et de la
terreur, elles n’obtiendront jamais la stabilité et les progrès à long terme
qu’elles méritent et que ce grand pays pourrait rendre possibles.
C’est pourquoi les Etats-Unis se tiennent aux côtés du
peuple congolais pour traduire en justice tous ceux qui commettent des
atrocités contre des civils innocents. Dans cet esprit, nous saluons la
coopération du gouvernement avec la Cour Pénale Internationale et sa politique
de « tolérance zéro » envers les violences sexuelles et les violences
basées sur le genre commises par les forces de sécurité.
Les violences sexuelles et les violences basées sur le
genre sont malheureusement répandues, même dans les endroits situés loin des
conflits armés, et affectent les femmes et les hommes mêmement. Nous ne pouvons
oublier les milliers de garçons congolais et de jeunes hommes en âge de servir
dans des opérations militaires qui ont été victimes de viols systématiques et
de meurtres aux mains de groupes armés.
Le gouvernement congolais a réalisé des avancées
importantes pour s’attaquer à ces crimes. Au mois de mars, l’armée congolaise
et de membres du gouvernement ont signé l’engagement de lutter contre le viol
en période de guerre et exigeront de tous les commandants de renforcer leur système
afin de juger les auteurs présumés de violences sexuelles. Nous saluons cette
action qui crée un précédent. Les courts militaires ont à présent condamné plus
de 180 personnes—y compris des membres des forces de sécurité—pour des crimes
liés aux violences sexuelles.
Et le mois dernier, 12 soldats gouvernementaux et un
général des FARDC ont été condamnés pour avoir commis des violences sexuelles,
ce qui est la preuve la plus éclatante que personne n’est au-dessus de la loi. Ce
n’est toutefois qu’un commencement, étant donné l’ampleur du problème. Justice
doit encore être faite pour beaucoup de victimes de violences sexuelles et les
Etats-Unis, avec son cœur et ses programmes, se joignent au peuple congolais en
appelant à des efforts renouvelés pour que justice soit rendue et pour prévenir
la violence en premier lieu.
A l’approche des élections, le peuple congolais exige
beaucoup de son gouvernement : il demande des scrutins crédibles et un
transfert pacifique du pouvoir, de la sécurité, de la justice et à être
protégés des violences. Mais le peuple congolais ne demande, en vérité, qu’une
chose très simple, très humaine et réellement universelle : le droit de
forger son propre avenir. Nous invitons le gouvernement à entendre son appel et
à considérer les exemples de ceux qui ne l’ont pas fait—en fin de compte, le
chemin menant au progrès durable passe par le peuple, et ne le contourne pas.
Merci beaucoup.
*Fred Bauma et Yves Makwambala ont été détenus sans avoir
accès à un avocat pendant sept mois. Ils sont toujours en détention préventive.
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