Il y
a 10 ans, le 24 février 2013, la signature de «l’Accord-Cadre d’Addis-Abeba sur
la paix, la sécurité et la coopération en République Démocratique du Congo et
dans la région » par onze États et quatre institutions internationales et
régionales, à savoir les Nations Unies (ONU), l'Union Africaine (UA), la
Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) et la
Communauté de Développement de l'Afrique Australe (SADC), également appelés «
co-Garants », avait suscité l’espoir de lendemains meilleurs après des
décennies de conflits, d’instabilité, d’exploitation et de souffrance.
En
effet, il s’agissait de la première initiative de paix visant à mettre fin au
conflit le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale et à résoudre les causes
profondes de la violence et des guerres à répétition à l’Est de la République
Démocratique du Congo (RDC). L’État congolais, les pays de la région et la
communauté internationale semblaient résolus à parvenir, grâce à une approche
globale, à une paix durable en RDC et dans la région des Grands Lacs.
L’objectif de neutraliser et de démobiliser les groupes armés, nationaux et
étrangers, et la réaffirmation de principes de base du droit international
s’ajoutaient à divers engagements de la RDC, des États voisins et de la
communauté internationale.
L’État
congolais s’était engagé à réformer en profondeur le secteur de la sécurité, à
consolider l’autorité de l’État dans les Provinces de l’Est du pays et à
promouvoir la réforme des institutions du pays. Les pays de la région avaient
souscrit à respecter la souveraineté et l’intégrité du pays et à ne pas
s’ingérer dans les affaires intérieures, à ne pas tolérer ni fournir une
assistance aux groupes armés, à renforcer la coopération régionale, à ne pas
héberger ni fournir une protection à des personnes impliquées dans des crimes
de guerre, des crimes contre l’humanité, des actes de génocide ou des crimes
d’agression et à faciliter l’administration de la justice grâce à la
coopération judiciaire dans la région.
Quant
à la communauté internationale, le Conseil de sécurité de l’ONU s’engageait à
rester saisi de l’importance d’un soutien à la stabilité à long terme de la RDC
et de la région des Grands Lacs. Cette détermination était soutenue par un
mandat renforcé de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en RDC
(MONUSCO) prévoyant une Brigade d’Intervention autorisée à mettre un terme à la
violence armée par tous les moyens nécessaires et par la nomination d’un Envoyé
spécial pour encourager les signataires à remplir leurs obligations au titre de
l’Accord-Cadre et coordonner un processus politique global en vue de trouver
des solutions durables et remédier aux causes profondes du conflit.
En
outre, le Groupe de la Banque Mondiale et les partenaires internationaux, y
compris l’Union Européenne (UE), la Belgique, les Etats-Unis d’Amérique, la
France et le Royaume-Uni, renouvelaient également leurs engagements à demeurer
mobilisés pour consolider cette stratégie pour la paix et le développement. De
plus, l’Accord-Cadre prévoyait un mécanisme de suivi régional, principal organe
de contrôle interne, pour dresser une fois par an au niveau des chefs d’État et
de gouvernement le bilan des
progrès
accomplis dans la mise en œuvre des engagements pris par les pays signataires
et les « co-Garants » (mécanisme 11+4) sur la base de critères détaillés et un
calendrier précis pour progresser vers la réalisation d’actions concrètes et
d’objectifs spécifiques. La RDC avait aussi mis en place en mécanisme national
pour superviser la mise en œuvre des engagements pris au niveau national.
Enfin, la société civile, notamment les organisations de femmes et de jeunes, était associée à l’évaluation des progrès en vue d’assurer une implémentation effective des mécanismes de suivi de cet « Accord de l’espoir », qui ne pouvait rester une « simple feuille de papier », comme l’avait dit le Président américain Barak Obama, ni demeurer l’affaire des diplomates et des institutions.
Le défaut de mise en œuvre
des engagements et ses conséquences
1. Au niveau de la communauté internationale
Quel constat pouvons-nous tirer 10 ans
après la signature de l’Accord-Cadre sous les auspices de l’ONU et sous
l’impulsion d’une forte volonté politique internationale ? Alors que le pays
est menacé par des tentatives de fragmentation, traverse une crise de
légitimité politique, fait face une résurgence de l’activisme des groupes armés
et à une énième guerre d’agression et d’occupation ayant un impact dramatique
sur la situation humanitaire et des droits humains, la tragédie congolaise - où
le nombre de morts, de femmes violées et de personnes déplacées se comptent en
millions -, ne semble plus figurer au sommet de l’agenda de la communauté des
États.
La
MONUSCO, dont le mandat a été renouvelé en décembre 2022, envisage un retrait
en 2024 alors que l’insécurité est grandissante, que l’état de droit n’est pas
restauré et que la démocratie n’est pas consolidée. Nous regrettons que, malgré
son mandat issu du Conseil de Sécurité agissant sur base du Chapitre VII de la
Charte des Nations Unies, la Force de la MONUSCO et la Brigade d’Intervention
n’aient pas suffisamment mené, seules ou en coopération avec les forces de
sécurité congolaises, des opérations plus effectives et exploité toutes les
mesures nécessaires pour endiguer le climat d’insécurité généralisé qui prévaut
toujours à l’Est de la RDC et que ces forces n’aient pas éliminer la menace
posée par les groupes armés congolais et étrangers, ce qui engendre de lourdes
frustrations au sein de l’opinion publique congolaise. En outre, malgré
l’adoption par le Bureau de l’Envoyé Spécial du Secrétaire Général d’une «
Stratégie de l’ONU pour la consolidation de la paix, la prévention et le
règlement des conflits dans la région des Grands Lacs », les efforts déployés
n’ont ni permis d’aboutir à un processus global conduisant à la paix durable ni
de mobiliser une réelle volonté politique et la bonne foi des parties pour la
mise en œuvre effective des engagements souscrits à Addis Abeba en 2013.
Pourtant,
les Etats-Unis d’Amérique et l’UE, qui avaient à l’époque de la signature de
l’Accord-Cadre nommé des Envoyés spéciaux pour la région des Grands Lacs, n’ont
pas renouvelé ces mandats importants, signe d’un désengagement diplomatique à
l’égard d’une région martyre qui reste une menace pour la paix et la sécurité
internationales et qui a vocation à jouer un rôle de premier plan pour
l’économie mondiale et la transition énergétique. C’est dans ce contexte que le
Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a placé en 2021 la RDC à la première
place du palmarès de la négligence internationale, en se basant sur 3 critères
: le manque de volonté politique internationale, le manque d’intérêt des médias
et le manque d’aide internationale.
De
plus, selon les recherches de NRC, la RDC figure systématiquement dans la liste
des 10 crises les plus négligées depuis de nombreuses années. Ce constat est
particulièrement amer lorsque l’on sait que la situation humanitaire est l’une
des plus dramatiques au monde avec un tiers de la population qui a faim, un
quart qui est en besoin d’assistance humanitaire et de protection, et que le
nombre de personnes déplacées – près de 6 millions, dont la majorité sont des
femmes et des enfants – est le plus important en Afrique. Malgré la situation
actuelle sur le terrain, qu'est-il advenu des engagements pris par les pays au
titre de l'Accord-Cadre ? Force est de constater que les promesses portées par
l’Accord-Cadre sont loin d’être réalisées.
2.
Au niveau de l’État congolais
La
RDC a failli à son engagement à mener des actions concrètes pour entamer une
profonde réforme du secteur de la sécurité, incluant l’assainissement de la
police, de l’armée et des services de renseignements, institutions qui
demeurent infiltrées à tous les niveaux suite aux accords de paix précédents
ayant intégré, en vertu du principe d’inclusivité, des éléments des groupés
armés rebelles, congolais et étrangers, dans les institutions de la République.
L’absence de réforme d’envergure des forces de sécurité et de défense
congolaises a empêché l’État de déployer son autorité dans de larges pans du
pays et place la Nation dans une position de faiblesse pour assurer la sécurité
et protéger les civils, et dans une position d’incapacité à garantir la
souveraineté nationale et l’intégrité territoriale. Le secteur de la justice et
de l’administration pénitentiaire figure aussi parmi les réformes
institutionnelles non abouties mais de première importance pour l’édification d’un
état de droit, contribuant ainsi à faire perdurer la culture de la corruption
et de l’impunité et à miner la confiance des citoyens dans ses institutions. En
outre, l’instauration de l’état de siège depuis mai 2021 dans les Provinces de
l’Ituri et du Nord-Kivu n’a non seulement pas permis de neutraliser les
capacités de nuisance des groupes armés - notamment les ADF, les CODECO et les
FDLR -, mais a paradoxalement contribué à augmenter l’insécurité et à doubler
le nombre d’exactions commises à l’encontre des civils.
De
plus, ce régime, censé être d’exception mais renouvelé tous les 15 jours depuis
presque 2 ans, entraine un nombre croissant de violations des droits humains et
un rétrécissement de l’espace des libertés démocratiques, hypothéquant la
participation des citoyens de deux Provinces parmi les plus densément peuplées
du pays aux élections générales prévues en décembre 2023. Ainsi, nous prônons
la sortie de l’état de siège et le retour à la gestion publique par les
services de l’administration civile. Face à l’échec de la sécurisation des
Provinces en conflit, les autorités congolaises ont noué une coopération
sécuritaire bilatérale avec l’Ouganda et le Burundi, ce qui a contribué au
pourrissement des relations avec le Rwanda et à un regain de sa politique
d’interventionnisme armé.
Ensuite,
la RDC a adhéré à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), une organisation
composée en grande partie de pays voisins à la base du pillage des ressources
naturelles, de la commission des crimes les plus graves et de la
déstabilisation de la RDC.
Nous
avions averti en temps utile les instances nationales et internationales sur
les dangers de cette stratégie de pyromane-pompier consistant à rechercher la
stabilisation du pays avec le concours d’États déstabilisateurs. Pourtant,
Kinshasa a poursuivi cette politique de l’externalisation de sa sécurité à des
pays tiers bien plus motivés par des intérêts géostratégiques et économiques
que par la protection des civils. Ainsi, l’État congolais s’est engagé dans une
nouvelle coopération sécuritaire sous-régionale en acceptant l’intervention
d’une Force régionale de la EAC pour mettre fin à l’activisme des groupes
armés, qui seront donc sur le même théâtre d’opérations que la Force de l’ONU
et sa Brigade d’intervention, qui viennent en soutien aux forces de sécurité et
de défense nationales sous l’autorité du Conseil de Sécurité.
Cette
nouvelle Force toujours en cours de déploiement, sous financée et peu
coordonnée avec la MONUSCO, entraine une sur-militarisation inquiétante dans
l’Est du Congo et s’apparente à une nouvelle force d’occupation, comme le
prouve le fait que les Forces armées de la RDC (FARDC) sont privés d’entrée
dans les territoires occupés par le Mouvement du 23 Mars (M23) et placés sous
contrôle de la Force régionale, au mépris de la souveraineté congolaise. Le
rapport de force, défavorable à la RDC en raison de la faiblesse de sa réponse
militaire, a abouti à des initiatives diplomatiques au niveau régional ayant
conduit aux processus de Nairobi, sous l’auspice de la EAC et de Luanda, sous
l’égide de l’UA, où les autorités congolaises sont contraintes de négocier avec
des États agresseurs et de dialoguer avec les groupes armés nationaux et
étrangers. Dans ce contexte d’insécurité accrue, de sur-militarisation de la
région et de négociations en cours, les groupes armés ne sont pas enclins à
rendre les armes car ils sont conscients que l’ampleur et le niveau de cruauté
des crimes qu’ils commettent en toute impunité sur les civils ouvrent des
perspectives à la table des négociations. En outre, les éléments des groupes
armés ont affiché un déficit de confiance à intégrer le nouveau programme
gouvernemental de Démobilisation, Désarmement, Réinsertion suite à la
nomination comme coordinateur du programme d’un ancien rebelle proche du M23,
mettant en péril la mise en œuvre de ces importantes mesures non-militaires.
3.
Au niveau des pays de la région
Le
non-respect des engagements par les pays de la région a davantage été la norme
que l’exception, et la mauvaise foi a caractérisé le suivi réservé à la mise en
œuvre de l’Accord-Cadre, notamment dans le chef du régime de Kigali. Les pays
voisins ont impunément poursuivi leurs atteintes aux principes de base du droit
international en violant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC
et en intervenant directement et/ou en apportant leur soutien aux groupes armés
pour piller et exploiter les ressources minières dont regorgent l’Est du pays,
qui parviennent en grande partie sur le marché mondial via Kampala, Kigali et
Bujumbura, en complicité avec une élite congolaise cupide et corrompue. Cette
guerre économique imposée aux Congolais se prolonge donc et aggrave une
situation humanitaire déjà dramatique. Ce tableau catastrophique a encore été
exacerbé depuis fin 2021 suite à la résurgence du M23, défait en 2013 mais à
nouveau soutenu directement et indirectement par les Forces rwandaises de
défense (RDF), notamment en fournissant des armes, des munitions et des
uniformes, comme l’atteste de nombreuses enquêtes, y compris du Groupe
d’Experts de l’ONU.
Les
RDF continuent non seulement d’intervenir directement en RDC mais fournissent
en outre un soutien direct à un groupe armé qui occupe depuis presque 9 mois de
larges pans de la Province riche en ressources minières stratégiques du Nord
Kivu, entrave l’accès à l’aide humanitaire et mène la guerre non seulement aux
FARDC mais aussi aux casques bleus de l’ONU ! Cette collusion entre les RDF et
le M23 placé sous le régime de sanctions de l’ONU et de l’UE illustre que les
autorités rwandaises méprisent l’esprit et la lettre de l’Accord-Cadre, malgré
les engagements pris il y a dix ans. Cette guerre d’agression et d’occupation a
déjà entrainé des conséquences humanitaires dramatiques, et les femmes et les
enfants payent le plus lourd tribut et constituent l’écrasante majorité des
personnes déplacées et persécutées, fuyant la peur et la terreur.
Parmi
d’autres exactions commises chaque jour à l’Est du Congo, l’ONU et les
organisations Human Rights Watch et Amnesty International ont documenté des
atrocités de masse commises fin novembre 2022 par les éléments du M23 avec le
soutien de l’armée rwandaise à Kishishe et à Bambo, à moins de 100 km au Nord
de Goma, en Territoire de Rutshuru, au Nord Kivu, dans le cadre d’une campagne
de meurtres, de viols, d’enlèvements, de pillage et de destruction. Portés
devant un tribunal, ces actes pourraient être qualifiés de crime de guerre
voire même de crime contre l’humanité. Le bilan humain de ces massacres reste
difficile à déterminer à défaut de sérieuses enquêtes judiciaires nationales ou
internationales, mais le nombre de personnes sans arme exécutées sommairement
par balle ou à l’aide d’arme blanche se comptent en dizaines et Amnesty
International a documenté sur base d’entretiens avec des survivantes et des
témoins oculaires 66 cas de viol, la plupart étant collectifs et parfois en
présence des enfants des femmes violées. En outre, des témoignages concordants
indiquent que des commandants du M23 avaient visité des centres de santé locaux
et pillé les stocks de préservatifs disponibles avant de mener leur campagne de
terreur, démontrant que ces viols commis de manière massive et systématique
comme une véritable méthode de guerre sont des actes prémédités et planifiés
par la hiérarchie militaire et politique des forces d’occupation pour
terroriser la population et l’acculer à se déplacer ou s’assujettir, et
s’accaparer ses ressources.
L’Ouganda
et le Burundi ont également poursuivi leur interventionnisme directement ou par
le truchement de groupés armés pour s’accaparer les ressources congolaises et
assoir leurs intérêts nationaux et géostratégiques. Outre leurs atteintes
répétées à l’intégrité et à la souveraineté nationale et à leur soutien à
divers groupés armés, les pays de la région n’ont pas non plus honoré leurs
engagements à lutter contre l’impunité.
En
effet, les pays de la région s’étaient engagés à faciliter l’administration de
la justice grâce à une coopération judiciaire régionale renforcée et à ne pas
héberger ni fournir une protection à des personnes impliquées dans les crimes
internationaux les plus graves en vue de mettre un terme à l’impunité dont
jouissent les auteurs et les instigateurs de la violence armée qui sévit depuis
plus d’un quart de siècle à l’Est du Congo. Malgré la Déclaration de Nairobi
sur la justice et la gouvernance et l’existence du Réseau de coopération
judiciaire des Grands Lacs, force est de constater que la volonté politique des
États concernés fait défaut pour traduire en justice les auteurs présumés de crimes
internationaux commis en RDC. En effet, à ce jour, aucune poursuite par les
pays tiers limitrophes n’a été engagée à l’encontre des personnes impliquées
dans la commission de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire
d’actes de génocide commis dans les Provinces martyres de la partie orientale
du Congo.
A
titre d’exemple, Laurent Nkunda, ancien seigneur de guerre et commandant du
Congrès national pour la défense du Peuple, groupe armé dont est issu le M23,
se trouve au Rwanda et n’a jamais eu de compte à rendre à la justice rwandaise,
alors que le Conseil de Sécurité a appelé dans diverses résolutions toutes les
parties à l’obligation de traduire en justice les responsables des crimes
internationaux commis en RDC. Ainsi, la population congolaise a été plongée
dans la souffrance, la peur et l'exil en raison du pillage continu et de
l'exploitation illégale des ressources minières, de la persistance voire du
regain d'activisme des groupes armés et des forces négatives agissant comme
proxies des pays voisins, du nombre sans cesse croissant de personnes déplacées
et de réfugiés et de son impact humanitaire alarmant, et de l'impunité
généralisée dont jouissent les auteurs et les commanditaires des violations les
plus graves des droits de l'homme et du droit humanitaire international, y
compris l'utilisation de la violence sexuelle comme méthode de guerre. En
outre, malgré les efforts régionaux pour désamorcer la crise dans le cadre des
processus de Nairobi et de Luanda, ces initiatives diplomatiques et politiques
n’ont pas réussi à « faire taire les armes » et n’ont pas enclenché la
désescalade attendue : alors que les appels à la cessation des hostilités et au
retrait des territoires occupés sont réitérés à chaque sommet, aucun ultimatum
ni aucun accord de cessez-le-feu conclus par les chefs d’États de la région n'a
été suivi d’effets. Au contraire, le M23 étend son influence, poursuit ses
exactions contre la population civile et continue d’avancer aux portes de Goma,
ravivant le spectre de la crise provoquée par les mêmes acteurs en 2012 lorsque
la capitale de la Province du Nord Kivu et ses environs furent occupés par le
M23, et mettant ainsi en lumière une impasse politique au niveau régional et
les limites du principe de subsidiarité.
Les voies de sortie de crise
Comment
sortir de cette impasse ? Comment briser le cycle infernal de la violence et de
l’impunité ? Comme l’a exprimé le Pape François lors de son récent séjour en
RDC : « Nous ne pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays,
depuis des décennies désormais en RDC, faisant des millions de morts à l’insu
de beaucoup ». Il est en effet plus que temps de sortir la tragédie congolaise
de l’indifférence et de la négligence.
1.
C’est dans ce contexte que nous saluons les communiqués des Etats-Unis
d’Amérique, de la Belgique, de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne ou
encore de l’UE qui, rappelant l’importance de l’intégrité et de la souveraineté
de la RDC, ont condamné les crimes commis par le M23 et ont demandé la
cessation du soutien du Rwanda pour contribuer à une résolution de la crise au
Nord Kivu. Nous saluons aussi la prise de position récente du Conseil de Paix
et de Sécurité à l’occasion de la 36e Assemblée ordinaire des chefs d’État et
de gouvernement de l’UA et son appel pertinent à revitaliser d’urgence
l’Accord-Cadre avec la mobilisation des institutions « co-garantes ». Nous
prenons également acte de la « Stratégie renouvelée de l’UE pour la région des
Grands Lacs : soutenir la transformation des causes profondes de l’instabilité
en perspectives communes », adoptée par le Conseil européen ce 20 février, qui
rappelle l’importance stratégique de la région et son potentiel rôle moteur
pour l’ensemble du continent africain. Cette nouvelle stratégie place l’emphase
sur la recherche de la paix durable, le respect de la souveraineté et de
l’intégrité des États et sur l’importance de transformer le trafic des
ressources naturelles en vecteur pour un commerce responsable et un
développement durable. Nous appelons l’UE à nommer un Envoyé spécial pour la
région des Grands Lacs pour maximiser les potentialités de ce nouvel engagement
stratégique européen dans la région.
En
outre, nous faisons également une recommandation simple aux politiciens, aux diplomates
et aux responsables institutionnels qui cherchent à contribuer à la paix dans
l'Est du Congo. Vos appels, vos demandes et vos exhortations ne sont ni compris
ni respectés par le régime de Kigali. Il faut impérativement que les Etats-Unis
d’Amérique, l’UE, la France, le Royaume-Uni et d’autres partenaires adoptent
des sanctions politiques et économiques, et suspendent leur assistance
militaire au Rwanda tant qu’il soutiendra le M23 et agressera la RDC. C’est le
seul langage qui entrainera des effets concrets et mettra fin à l’ingérence
rwandaise à l’Est du Congo. Nous appelons aussi la Banque mondiale, la Banque
africaine de développement et d’autres partenaires multilatéraux ou bilatéraux
à être guidés par une politique de conditionnalités pour que l’assistance
internationale soit dorénavant liée au respect strict des engagements pris au
titre de l’Accord-Cadre et au respect des droits humains.
2.
Le retrait de l’EAC et de la Force régionale
Face
à l’échec des processus de négociations en cours et à l’impasse politique, nous
sommes partisans d’une revue de la diplomatie régionale et préconisons le
retrait de la RDC de la EAC et de sa Force régionale, et appelons à une
médiation sous l’égide d’un Président africain neutre, originaire d’un pays non
limitrophe, pour initier une nouvelle dynamique vers une solution politique. De
plus, nous appelons à une participation accrue des femmes et de jeunes aux
processus politiques et de consolidation de la paix, en conformité avec les
résolutions 1325 et 2250 du Conseil de Sécurité. En outre, nous invitons le
régime de Kigali à entamer un dialogue inter-rwandais avec les FDLR, en vue de
trouver une solution pérenne à ce groupe armé né des cendres du génocide au
Rwanda. Cette milice a occasionné depuis plus de 25 ans un lourd lot de
souffrances à l’Est du Congo et continue d’être utilisé comme prétexte par le
régime de Kigali pour intervenir militairement à l’Est du Congo alors que,
suite à diverses opérations conjointes entre les forces congolaises et
rwandaises visant à les neutraliser, les éléments résiduels des FDLR ne
constitue plus une menace sérieuse pour la sécurité du Rwanda comme par le
passé.
3.
Le commerce transparent et responsable des ressources minières
Les
pays les plus économiquement avancés planifient une transition vers l’énergie
verte et s’orientent vers la décarbonisation de leur économie. Ainsi, des
métaux que l’on retrouve en abondance à l’Est du Congo, comme le lithium et le
cobalt, seront encore davantage convoités, car ils s’avèrent essentiels pour
assurer cette transition écologique. La guerre en RDC est principalement
économique et s’apparente à une grande criminalité transnationale dont le
Rwanda et l’Ouganda sont les acteurs principaux depuis 25 ans, en collusion
avec les multinationales et certains politiciens et militaires congolais. Il
est donc urgent de revoir la gouvernance minière et de mettre fin à
l’exploitation et à la prédation illégale des minerais stratégiques de la RDC,
qui constitue une cause profonde de la violence et des conflits. Pour enrayer
l’économie de guerre à la base des souffrances des communautés à l’Est du pays
et de graves violations des droits humains, il faudra donc mettre fin aux liens
qui existent entre les groupes armés congolais et étrangers et les sociétés
d’exploitation minière, les réseaux de contrebande et de trafics et les
filières opaques d’approvisionnement transfrontalier. A titre d’exemple, une
récente étude de l’ONG Global Witness démontre que depuis 2013 « seuls 10 % des
minerais exportés par le Rwanda avaient été réellement extraits sur son
territoire, les 90 % restants ayant été introduit illégalement à partir de la
RDC. »
Ensuite,
l’exportation de ces « minerais de sang » s’exportent sur les marchés mondiaux
via Hong Kong, Dubai, ou encore Bangkok. Par conséquent, il ne pourra y avoir
de transition énergétique propre et durable sans un commerce transparent et
responsable des ressources minières de l’Est du Congo, garantissant que
l’extraction des minerais n’est pas liée au travail des enfants, à l’exploitation
sexuelle des femmes ou à l’activité des groupes armés. Il s’agit de s’assurer
que cette transition verte cruciale pour la planète soit juste, équitable,
durable et exempte de conflit pour les communautés et les pays d’où sont
extraits les minerais nécessaires pour enrayer la crise climatique. L’impératif
d’assurer une traçabilité complète des lieux d’extraction jusqu’au produit fini
acheté par les consommateurs dans les magasins du monde entier devient donc
pressant. En outre, il est primordial d’investir massivement vers la
transformation des matières premières en vue de raccourcir le lien entre la
mine et le lieu de transformation des minerais. Ainsi, le contrôle sur la
chaîne et ses intervenants sera rendu plus aisé et le pays producteur pourra
dégager une réelle plus-value. De plus, des mécanismes de contrôle et de
redevabilité contraignants doivent aussi être mis en place aux niveaux
national, régional et international. Enfin, les contrats léonins conclus dans
le secteur minier entre les autorités congolaises et certains acteurs étatiques
et non étatiques devront être revus sur la base d’un partenariat
gagnant-gagnant.
4.
L’impératif de la justice
Les
diverses tentatives de recherches de solution politique et militaire de ces
dernières décennies ont toutes échouées à stabiliser le pays et à protéger les
civils, le temps est venu de mettre en avant les interconnexions étroites
existants entre la prévention des conflits, la justice transitionnelle et
l’instauration de la paix. La culture de l’impunité alimente la récurrence des
conflits et la répétition des atrocités. Nous ne pouvons continuer de fermer
les yeux sur les crimes de masse commis en RDC depuis plus d’un quart de siècle
! La justice est la pièce manquante du puzzle pour mettre fin à la violence en
RDC. Il n’y aura pas de paix durable sans la justice, sans des réparations,
sans la vérité, sans des réformes institutionnelles visant à la non répétition
des crimes les plus graves. Le pardon et la réconciliation ne pourront venir
qu’après la justice, des réparations et la vérité. Tel est le sens de nos
efforts de plaidoyer auprès des autorités congolaises et des partenaires
internationaux, régionaux et bilatéraux pour l’adoption d’une stratégie
nationale holistique de justice transitionnelle en RDC, qui devra tenir compte
de la dimension internationale des conflits et de l’interventionnisme de
nombreux pays tiers dans les conflits qui endeuillent la RDC depuis 30 ans.
Parmi les réformes institutionnelles à prioriser, nous insistons sur l’importance
stratégique de réformer le secteur de la sécurité : il s’agit d’une condition
sine qua non pour que les forces de défense et de sécurité congolaises puissent
exercer efficacement leurs fonctions régaliennes, déployer l’autorité de l’État
sur toute l’étendue du territoire et défendre l’intégrité territoriale et la
souveraineté nationale. En outre, aux côtés de la société civile et des
associations de victimes, nous plaidons pour la mise en place d’un Tribunal
Pénal International pour la RDC et/ou des chambres spécialisées mixtes pour
poursuivre et juger les auteurs et les instigateurs des crimes de guerre, des
crimes contre l’humanité et des actes de génocide commis en RDC depuis le
milieu des années 1990.
Ces
mécanismes de poursuites et de jugements internationaux ou internationalisés
devront intervenir en complémentarité avec la Cour Pénale Internationale, qui
doit poursuivre ses efforts de lutte contre l’impunité en RDC, pour les crimes
commis après l’entrée en vigueur du Statut de Rome. Cet impératif de rendre la
justice pour les crimes du passé et du présent est non seulement une condition
préalable à la réconciliation et à la coexistence pacifique en RDC et dans la
région des Grands Lacs mais aussi un moyen privilégié pour consolider l’état de
droit, condition indispensable pour assurer une bonne gouvernance, lutter
contre la corruption endémique et créer un cadre propice aux investissements.
5.
La consolidation de la démocratie
La Nation congolaise s’apprête à vivre en décembre 2023 le quatrième cycle électoral de son histoire récente pour de nouvelles élections générales avec la tenue de scrutins présidentiel, législatifs, provinciaux et locaux, et une alternance démocratique ne sera possible que grâce à la tenue d’élections crédibles, transparentes, inclusives et apaisées. Alors qu’il est crucial de sortir des crises de légitimité à répétition à la base de cycles de violence et d’instabilité politique et sécuritaire, le contexte pré-électoral est tendu. En effet, le manque d’indépendance de la Commission électorale nationale indépendante et la politisation de la Cour constitutionnelle - institutions en charge de l’organisation des élections et des recours électoraux -, la restriction de l’espace démocratique, de la liberté d’expression et d’association et un processus d’enregistrement désorganisé et tardif des électeurs augmentent le risque conflictogène des élections à venir. C’est dans ce contexte que nous appelons les partenaires stratégiques de la RDC à faire usage de tous les leviers à leur disposition pour que les prochaines élections se tiennent dans les délais constitutionnels et respectent la volonté souveraine du peuple, avec la présence d’observateurs nationaux et internationaux, notamment pour soutenir le comptage parallèle des résultats et exiger leur publication, bureau de vote par bureau de vote, afin de s’assurer qu’ils reflètent la vérité des urnes.
Conclusion
Le
dixième anniversaire de « lAccord de l’espoir » correspond à une période
critique où la Nation congolaise est en péril. La RDC fait l’objet pour la
énième fois d’une guerre d’agression, directement et par procuration, menaçant
la souveraineté nationale et l’intégrité de notre territoire et les maigres
acquis de l’investissement international des 25 dernières années.
Un
coût humain tragique continuera si l’on ne parvient pas à résoudre les causes
profondes de la violence et de l’instabilité. Le temps est venu de sortir la
tragédie congolaise de l’indifférence, de l’inaction et du silence complice de
la communauté internationale qui ont contribué au pourrissement de la situation
sécuritaire, humanitaire et politique, avec un impact désastreux sur le respect
et la protection des droits humains. La RDC et ses partenaires doivent
s’attaquer aux principales causes structurelles qui constituent les éléments
moteurs des conflits qui persistent à l’Est du pays, à savoir l’exploitation et
le commerce illégal des ressources naturelles et la culture de l’impunité. Le
gouvernement congolais doit entreprendre sans tarder des réformes
institutionnelles pour garantir le respect de l’état de droit, favoriser une
culture des droits humains et rétablir la confiance dans les institutions,
notamment celles en charge de garantir la sécurité et de rendre la justice.
Alors que la communauté internationale s’est à juste titre soudée depuis un an
pour sanctionner l’agression et l’occupation de l’Ukraine par son voisin russe
et lui apporter tout le soutien et l’assistance nécessaire, nous appelons
l’opinion publique et les décideurs tant nationaux qu’internationaux à utiliser
tous les moyens nécessaires pour endiguer sans tarder cette nouvelle escalade
de la violence dans l’Est de la RDC.
La
stabilité au cœur de l’Afrique est essentielle pour la paix et la sécurité
internationales, mais aussi pour l’économie mondiale et la transition
énergétique. Il est urgent de mettre un terme aux agressions récidivistes des
pays à la base de la déstabilisation de la RDC en utilisant le recours à un
régime de sanctions et de conditionnalité de l’aide. Les pays et les
institutions partenaires de la RDC, notamment les co-Garants de l’Accord-Cadre
ne peuvent plus tolérer ces violations flagrantes du droit international sans
réagir. Si l’on veut maintenir un état de droit respecté au niveau
international, il devient impératif de mettre fin à l’indignation sélective, à
l’humanisme à géométrie variable et aux politiques de double standards qui
entrainent un déficit de confiance et de crédibilité dans les institutions
internationales et le multilatéralisme. A défaut d’appliquer les principes
d’équité et de cohérence, un réel danger guette notre système de sécurité
collective et la rue africaine désabusée s'orientera vers Poutine.
La
souffrance est universelle et la soif de dignité et de justice l’est tout
autant. Le sang des Congolais a trop coulé. A l’instar de tous les peuples, la
Nation congolaise a le droit de disposer d’elle-même, et de vivre en paix. Si
les défis sont nombreux, le chemin de la paix est possible. Il passera par plus
de sécurité, plus de responsabilité dans le commerce mondial, plus de justice
et plus de démocratie. Je gage qu’ensemble, avec une volonté politique renouvelée
de la RDC et de la communauté internationale, nous y arriverons.
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