Il faut enquêter sur le recours excessif apparent à la
force
Des policiers en République
démocratique du Congo ont tiré à balles réelles, tuant une personne,
en dispersant les manifestations de l’opposition le 30 juin 2019. Ils ont
également fait usage de gaz lacrymogène, de passages à tabac et d’arrestations
arbitraires de manifestants à Kinshasa, la capitale, ainsi que dans la ville de
Goma, dans l’est du pays.
« Les autorités congolaises devraient enquêter
de manière approfondie et impartiale sur le présumé recours excessif à la force
de la part de la police et demander des comptes aux responsables », a
déclaré Lewis Mudge,
directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « La nouvelle
administration de la RD Congo devrait rompre avec son passé et montrer que les
abus commis par la police ne seront plus tolérés. »
La coalition Lamuka (« Réveillez-vous »),
qui soutenait Martin Fayulu lors des élections
présidentielles de décembre 2018, a appelé à des manifestations pacifiques le 30 juin – jour de
l’indépendance de la RD Congo – contre la corruption généralisée et la fraude
électorale. La Cour constitutionnelle du pays a récemment invalidé l’élection
d’une vingtaine de députés de l’opposition.
La police à Goma a dispersé les manifestants en tirant
des gaz lacrymogènes et des balles réelles. Dans le quartier de
Mabanga-Nord, la police a tiré sur Paluku Kamala, âgé de 26 ans. « J’ai
vu un jeune homme touché par une balle », a expliqué un manifestant.
« Il est tombé, puis la police est venue le chercher. » Les
forces de police ont emmené Kamala dans leur jeep à l’hôpital CBCA-Virunga et
l’ont laissé là, bien que l’hôpital ne puisse pas soigner les blessés. Une
ambulance a transféré Kamala à l’hôpital CBCA-Ndosho, qui est mieux équipé pour
traiter les blessures.
« La balle l’avait atteint au bassin et avait
touché son estomac », a indiqué une source de l’hôpital à Human Rights
Watch. Kamala est mort le 1er juillet, selon son certificat de
décès.
Après que Kamala ait été touché par balle, des
personnes ont brûlé un bus et vandalisé des petits commerces. La police a déclaré que les manifestants étaient hostiles et avaient
érigé des barricades, et qu’un policier avait été blessé. Le Col. Pierrot
Mwanamputu, porte-parole de la police nationale, a promis une enquête pour
« savoir qui a tiré et sur ordre de qui. » Il a ajouté que le
« policier qui a tiré doit être interpellé parce qu’il a été
formellement interdit qu’un policier se serve d’une arme létale pendant les
manifestations. »
La police a arrêté au moins quatre partisans de Lamuka
à Goma le 30 juin. Un partisan de l’opposition, âgé de 29 ans, a déclaré qu’il
parlait de la manifestation à venir avec des collègues lorsque cinq personnes
en civil ont demandé ce qu’ils faisaient. L’activiste a expliqué qu’ils étaient
avec l’opposition et voulaient manifester pacifiquement : « Immédiatement,
l’un des cinq hommes en civil m’a frappé à l’oreille. Je me suis évanoui. Je ne
savais pas vraiment ce qui s’était passé, mais mon ami [nom omis] et moi avons
été arrêtés. »
« Au poste de police [de Munzenze],
ils nous ont battus et ont déchiré nos vêtements. Quand nous sommes entrés
[dans le cachot], la police a ordonné aux détenus qui s’y trouvaient de nous
frapper aussi. » Au moins deux des hommes arrêtés ont été battus.
Human Rights Watch s’est entretenu avec eux et a vu leurs blessures.
Plus tard dans la journée, cinq activistes de Lamuka
ont été arrêtées et détenues toute la nuit avec les autres. Un autre activiste
de l’opposition a été arrêté le 1er juillet après être venu se
renseigner sur la détention de manifestants. Ils ont tous été libérés plus tard
dans la journée, après avoir payé des amendes.
À Kinshasa, de petits groupes ont tenté de manifester
dans certaines parties de la ville, mais la police les a rapidement dispersés,
en tirant parfois des gaz lacrymogènes et en frappant les manifestants.
Apparemment pour arrêter la manifestation, la police a crevé les pneus de deux leaders de Lamuka, Fayulu et Adolphe
Muzito.
Une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux montrait le
passage à tabac de Thythy Tshilambu, journaliste et directeur administratif de
RTVS1, la radio et chaîne de télévision appartenant à Muzito. Tshilambu a
expliqué à Human Rights Watch : « Je portais un T-shirt montrant que
j’appartenais à un organe de presse, mais des policiers m’ont sorti du véhicule
depuis lequel je filmais, puis ils ont commencé à me frapper avec leurs
matraques et leurs cordelettes. Ils m’ont placé dans une jeep de la police où
d’autres policiers se sont joints à eux pour me battre pendant plusieurs
minutes. Ils m’ont ensuite jeté hors de la jeep et j’ai perdu connaissance. »
La fréquence de RTVS1 est coupée depuis le 29 juin sans explication, a indiqué Tshilambu. Le 2 juillet, le Président
Felix Tshisekedi a nié toute responsabilité : « Je n’ai pas pris cette
décision. Lorsqu’on m’a informé de RTVS1, on m’a dit que cette chaîne s’est
illustrée dans les appels à la haine. » Il a assuré qu’il suivrait
cette situation.
Quelques manifestants à Kinshasa ont jeté des pierres
sur les policiers. La police a déclaré qu’un policier avait été grièvement blessé. Au moins un manifestant, Joël Ituka, membre
du mouvement citoyen « Zéro impunité », a été arrêté. Il a expliqué
que des manifestants ont lancé des pierres après que la police l’a frappé, lui
ainsi que d’autres manifestants. La police a riposté par des tirs de gaz
lacrymogènes et a emmené Ituka au commissariat provincial de la police. « Ils
m’ont battu tout le long du chemin », a-t-il affirmé.
Au commissariat de police, « l’un d’eux m’a
donné un coup de pied dans le dos, je n’ai pas pu supporter le choc. Je suis
tombé et je ne pouvais plus me relever. » Il a été accusé d’avoir agressé
un policier. Le 2 juillet, le procureur a refusé de l’interroger en raison de
son état, a déclaré Ituka. Il a été libéré plus tard dans la journée et a
cherché à se faire soigner dans un hôpital.
Le gouvernement a affirmé qu’il avait légalement
interdit les manifestations. Dans une lettre adressée aux représentants de Lamuka, datée du 27 juin,
le gouverneur de Kinshasa, Gentiny Ngobila, a déclaré que la manifestation
serait interdite car elle devait avoir lieu « la date sacrée et
commémorative du 30 juin. » Le chef de la police de Kinshasa, le général
Sylvano Kasongo, a ensuite indiqué dans une déclaration à la presse que tout
rassemblement de plus de 10 personnes serait dispersé.
En vertu de la Constitution congolaise, les
organisateurs de manifestations politiques doivent informer les autorités
administratives locales par écrit et à l’avance, mais ils n’ont pas besoin
d’autorisation préalable. Le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, auquel la RD Congo est partie, stipule qu’aucune restriction ne
peut être imposée à l’exercice du droit de réunion pacifique autres que celles
imposées « conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une
société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté
publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques,
ou les droits et les libertés d’autrui. » Le motif invoqué par Ngobila
pour interdire la manifestation n’avait pas de base légale, a déclaré Human
Rights Watch.
Les Principes de base des Nations Unies relatifs à
l’emploi de la force et des armes à feu par les responsables de l’application
des lois disposent que les forces de sécurité utilisent, dans la mesure du
possible, des moyens non violents avant de recourir à la force. Lorsque le
recours licite à la force est inévitable, les autorités doivent faire preuve de
retenue et agir proportionnellement à la gravité de l’infraction. La force
létale ne peut être utilisée que lorsque cela est strictement inévitable pour
protéger la vie.
Dans une interview le 29 juin avec Radio France Internationale (RFI),
le Président Tshisekedi a soutenu la décision du gouverneur : « Je suis
d’accord avec cette interdiction…. Les droits et les libertés des citoyens sont
garantis, mais nous avons comme l’impression qu’il y en a qui confondent
démocratie et anarchie. » Tshisekedi a déclaré que les forces de
sécurité étaient formées pour « maintenir la paix » et
n’utiliseraient pas la violence contre les manifestants.
Trois représentants de Lamuka ont indiqué à Human
Rights Watch qu’un membre de Lamuka avait tenté de remettre une lettre au maire
de Goma le 28 juin, pour l’informer de la manifestation prévue, mais que son
bureau avait refusé de la recevoir, disant que le maire et son secrétaire étaient
absents.
Le gouvernement de la RD Congo a imposé au cours des
dernières années d’importantes restrictions aux droits à la liberté
d’expression et de réunion pacifique. Entre 2015 et
2018, alors que le président de l’époque, Joseph Kabila, conservait
le pouvoir au-delà de la fin de ses deux mandats constitutionnels, les forces
de sécurité ont abattu près de 300 personnes lors de manifestations largement
pacifiques et ont arrêté plus de 2 000 dirigeants et partisans de l’opposition
politique – notamment de nombreux membres du parti de Tshisekedi – ainsi que
des activistes et journalistes pro-démocratie.
« Après des années de répression politique
sous son prédécesseur, le Président Tshisekedi a la possibilité de créer un
climat propice au respect des droits et libertés publics », a conclu Lewis
Mudge. « Son administration devrait mettre fin à l’usage excessif de la
force par la police et faire en sorte que tous les Congolais puissent
s’exprimer sans craindre de représailles. »
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