(Bruxelles, 4 décembre 2017) – Des
officiers supérieurs des forces de sécurité en République
démocratique du Congo ont mobilisé plus de 200 anciens
combattants rebelles du M23 venant des pays voisins pour étouffer les
manifestations contre le président Joseph Kabila en décembre 2016, a
déclaré Human Rights Watch lundi dans un rapport en Belgique. Kabila a depuis
renforcé sa mainmise sur le pouvoir et a reporté les élections, ce qui suscite
l’inquiétude de voir les manifestations prévues faire l’objet à nouveau de
violences et de répression.
Le rapport
de 78 pages intitulé « ‘Mission spéciale’ : Recrutement de rebelles du M23 pour réprimer
les manifestations en République démocratique du Congo »
décrit, preuves à l’appui, comment les forces de sécurité congolaises ainsi que
des combattants du M23 recrutés en Ouganda et au Rwanda ont tué au moins
62 personnes et arrêté des centaines d’autres pendant les manifestations à
travers le pays entre le 19 et le 22 décembre, lorsque Kabila a refusé de
quitter ses fonctions à l’issue de ses deux mandats autorisés par la
Constitution. Des combattants du M23 ont patrouillé dans les principales villes
de la RD Congo, procédant à des arrestations ou tirant sur des manifestants ou
toute autre personne semblant constituer une menace pour le président.
« Les
opérations clandestines de recrutement de combattants appartenant à un groupe
armé violent pour réprimer toute résistance montrent jusqu’où le président
Joseph Kabila et sa coterie sont capables d’aller pour rester au pouvoir »,
a indiqué Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights
Watch et co-auteure du rapport. « Les autorités congolaises devraient
mettre un terme au recours illégal à la force contre les manifestants et
autoriser les activités politiques pacifiques des activistes et de l’opposition
politique. »
Les
conclusions du rapport s’appuient sur plus de 120 entretiens, y compris
avec des victimes d’abus, des membres des familles des victimes, des témoins,
des activistes locaux, neuf officiers des forces de sécurité congolaises, des
responsables du gouvernement et de l’ONU, des diplomates ainsi que
21 combattants, commandants et leaders politiques du M23. Human Rights
Watch a mené des recherches sur le terrain à Kinshasa, à Goma et à Lubumbashi
en RD Congo, en Ouganda, au Rwanda et à Bruxelles, en Belgique, entre décembre
2016 et novembre 2017.
Entre
octobre et début décembre 2016, alors que la pression publique sur Kabila
s’intensifiait, des officiers supérieurs des forces de sécurité congolaises ont
recruté des combattants du M23 dans des camps militaires et de réfugiés en
Ouganda et au Rwanda voisins. De nombreux combattants y étaient basés depuis la
défaite du groupe armé dans l’est de la RD Congo en novembre 2013.
Après avoir
été transférés en RD Congo, les combattants du M23 ont été déployés dans la
capitale, Kinshasa, ainsi qu’à Goma et à Lubumbashi. Les forces de sécurité
leur ont donné des uniformes neufs et des armes et les ont intégrés dans la
police, l’armée et la Garde républicaine, le détachement de la sécurité
présidentielle. Des officiers de l’armée congolaise – dont bon nombre étaient
issus de rébellions précédentes soutenues par le Rwanda et avaient ensuite été
intégrés dans l’armée congolaise – se sont occupés d’eux, les ont bien payés et
leur ont fourni un logement et de la nourriture. Pour protéger le président et
étouffer les manifestations, les combattants du M23 ont reçu des ordres
explicites d’utiliser la force létale, y compris « à bout portant »
si nécessaire.
« De
nombreux combattants du M23 ont été déployés pour faire la guerre à ceux qui
voulaient menacer le maintien au pouvoir de Kabila », a raconté un
combattant du M23 à Human Rights Watch. Un autre a expliqué : « Nous
avons reçu l’ordre de tirer immédiatement à la moindre provocation des civils. »
Les
officiers congolais ont renvoyé les combattants du M23 recrutés en Ouganda et
au Rwanda à la fin du mois de décembre 2016 et au début du mois de
janvier 2017. Beaucoup ont été à nouveau conduits en RD Congo entre mai et
juillet et ont été envoyés à Kisangani dans le nord-est du pays, présumément
pour préparer des « opérations spéciales » ou des « missions
spéciales » afin de répondre à toute menace contre le maintien au
pouvoir de Kabila.
Suite aux
violences de décembre 2016 et face à la pression internationale
croissante, la coalition de Kabila au pouvoir a conclu, le 31 décembre, un
accord de partage du pouvoir avec la principale coalition d’opposition sous la
médiation de l’Église catholique. L’accord dit de la Saint-Sylvestre appelait à
la tenue d’élections présidentielles avant la fin décembre 2017 et
incluait l’engagement clair que Kabila ne briguerait pas un troisième mandat ou
ne modifierait pas la Constitution. Cependant, la coalition au pouvoir en RD
Congo n’a pas organisé d’élections ni mis en œuvre les mesures de décrispation
prévues par l’accord.
Le
5 novembre, peu après que l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU,
Nikki Haley, s’est rendue en RD Congo et a appelé Kabila à organiser des
élections d’ici la fin de l’année 2018, la commission électorale de RD
Congo (CENI) a publié un calendrier électoral qui fixe la date du 23 décembre
2018 pour des élections présidentielles, législatives et provinciales, soit
plus de deux ans après la fin des deux mandats de Kabila. La CENI a également
cité de nombreuses « contraintes » financières, logistiques,
légales, politiques et sécuritaires qui pourraient avoir un impact sur le
calendrier.
L’opposition
politique et des groupes de la société civile ont dénoncé ce calendrier comme
étant, simplement, une nouvelle manœuvre dilatoire afin d’étendre la présidence
de Kabila de manière inconstitutionnelle. Ils ont appelé au retrait de Kabila
avant la fin de l’année 2017 et à l’organisation d’une transition sans
Kabila. Celle-ci devrait être menée par des personnes qui ne pourraient pas
être candidats aux futures élections, ont-ils indiqué, et devrait avoir pour
objectif principal d’organiser des élections crédibles, de restaurer l’ordre
constitutionnel et de permettre un nouveau système de gouvernance où les droits
fondamentaux soient respectés.
« Le
refus de Kabila de quitter ses fonctions comme l’exige la Constitution a plongé
la RD Congo dans une crise politique, économique et des droits humains,
qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la région », a
conclu Ida Sawyer. « Pour éviter que la situation déjà explosive ne
dégénère, les partenaires régionaux et internationaux de la RD Congo
devraient faire pression sur Kabila pour qu’il se retire afin de permettre
l’organisation d’élections pacifiques et crédibles. »
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