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vendredi 4 septembre 2020

« L’armée est censée protéger la population contre les forces négatives et n’intègre pas les forces négatives »

Beaucoup d’éléments venant des groupes armés ces 20 dernières années ont été intégrés dans l’armée nationale. Malheureusement, leur intégration n’a pas résolu le problème de l’insécurité dans l’Est de la République Démocratique du Congo. La représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies en Rdc, Leila Zerrougui, a abordé cette question le 2 septembre 2020 au cours de sa conférence de presse, la première après le déconfinement.


Leila Zerrougui, la cheffe de la Monusco

La cheffe de la Monusco a souligné clairement que « si le processus qui mène à l’intégration dans l’armée ou à discuter de grades, la MONUSCO n’est pas concernée par cela. Ça, c’est entre le Gouvernement et les groupes armés ».

« Nous, nous avons dit que nous nous impliquons s’il y a intégration communautaire. Nous avons beaucoup travaillé pour convaincre les bailleurs, pour convaincre les partenaires parce que comme vous le savez, ce n’est pas la MONUSCO qui est un organe de développement qui va mettre en œuvre des projets. Nous, on a de petits projets de CVR [Réduction de la violence communautaire], mais ce sont les bailleurs, les partenaires, c’est la Banque mondiale, ce sont les partenaires qui vont mettre en œuvre des projets qui permettent l’intégration communautaire », a-t-elle déclaré.

Pourquoi on a parlé d’intégration communautaire ?

Depuis combien de temps on intègre des groupes armés ? Est-ce que cela réduit ce phénomène ? Au contraire, chaque année, vous avez plus de groupes armés qui opèrent sur le terrain parce que c’est devenu un business, c’est devenu un mode de promotion : « Moi, je ne vais pas à l’école, je ne me casse pas la tête, je ne me forme pas, je ne fais rien. Et puis, je deviens général, pourquoi, [parce que] je vais tuer, je vais violer, je vais brûler des écoles et des maisons, puis je deviens général. Si ça ne me plait plus, je sors, je reprends un groupe armé et puis, je négocie et je deviens Général-major cette fois... ».

Donc, je pense que vous en tant que journalistes, vous formez l’opinion, et nous en tant que partenaires du Gouvernement, et tout le monde, nous devons dire : « [Si vous] prenez les armes contre la République, vous ne pouvez pas être récompensés pour cela. Les gens qui souffrent par vos actes, ce sont eux qui doivent être pris en charge ».

L’intégration communautaire, ça veut dire quoi ? Cela veut dire que les populations, les victimes doivent bénéficier de projets utilitaires, des projets qui vont aider la communauté à vous pardonner ce que vous avez fait, parce que vous allez contribuer au développement dans la communauté. On va faire des projets qui vont permettre aux communautés de se relever. Puis, on va faire un travail de réconciliation communautaire pour ceux qui ont été induits en erreur, mais ceux qui ont commis des crimes graves doivent rendre compte.

Il faut un processus qui est conscient de la difficulté, parce qu’on prend les armes parce qu’il y a beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas normalement, c’est pour cela qu’on prend les armes facilement. On doit identifier et travailler sur les causes profondes. Quelles sont les causes qui sont à l’origine de l’instabilité dans l’Est du pays depuis maintenant 20 ans ? Quelles sont ces causes, on doit les identifier. Vous avez un groupe armé qui prétend représenter une communauté, mais quand il vient

sur la table de négociations, c’est quoi son agenda ? C’est l’amnistie et les grades, et il prétend représenter une communauté. Je suis désolée, ce n’est pas vrai. Donc, il faudrait que vous-mêmes, vous dénonciez cela. Il faudrait qu’on travaille pour que ces groupes armés cessent de prendre en otage des communautés fragilisées par l’éloignement, par la pauvreté et l’absence de l’autorité de l’état.

Donc, la première chose, c’est renforcer l’autorité de l’état. C’est quoi l’autorité de l’Etat ? Ce n’est pas uniquement un militaire avec AK [Kalachnikov]. L’autorité de l’Etat, c’est la justice, c’est la police, c’est l’administration locale, ce sont les routes qui désenclavent les gens, c’est le travail-, je gagne ma vie parle travail et pas en allant piller le voisin.

Et bien évidemment, ce sont des longs processus, on comprend cela. Si on commence à mettre les choses petit à petit, dans peut-être quelques années, on va tourner cette page. Mais on ne peut continuer à récompenser des tueurs, des gens qui vont tuer. Est-ce que vous trouvez normal que le jour de l’examen quelqu’un aille tuer les enfants ? Et après on va lui donner un grade dans l’armée ? Est-ce que vous croyez que la population va se sentir en sécurité lorsque ce Monsieur va devenir général et va venir représenter l’Etat ?

Pourquoi alors, vous, vous étudiez, vous vous cassez la tête ? Vous rentrez dans l’armée, vous passez un concours, et on vous apprend à aimer votre pays, on vous apprend à vous sacrifier pour votre pays et on crée une synergie entre la population et vous.

Donc, nous, dans la mesure où on est dans cette logique, on travaille comme ça. On est partie prenante, on essaie de faire le plaidoyer. Je pense qu’il y a eu cette prise de conscience très claire, qu’il faut arrêter cette intégration systématique dans l’armée et cette distribution des grades, à travers les massacres, les tueries et les viols.

est-ce que vous n’avez pas l’impression que de la MONUC à la MONUSCO, il y a un peu du surplace, du moins en ce qui concerne l’insécurité à l’Est. Et ce serait peut-être par la faute des Nations Unies elles-mêmes, parce que vous aviez à l’époque des soldats entraînés dans la guérilla, des Guatémaltèques, vous avez renvoyé ces soldats. Cela fait qu’aujourd’hui, il y a du surplace, il y a l’insécurité à Beni et dans les autres régions du pays. A qui la faute ? Aux Nations Unies ou au Gouvernement ?

Je voudrais d’abord souligner que quand on est partenaire, on doit assumer sa part de responsabilité, on n’est pas en train de rejeter la responsabilité sur les autres. Mais je dois aussi souligner que la MONUSCO qui était MONUC présente sur tout le territoire de la RDC, elle n’est présente aujourd’hui que dans six provinces. Dans les six provinces, nous sommes en train de démilitariser et aussi de fermer des bureaux dans d’autres zones, où justement nous nous préparons dans le cadre du prochain mandat et nous verrons ce que le Conseil de sécurité va demander. La MONUSCO est en train de céder la main aux autorités.

La responsabilité première de la protection est d’abord celle du Gouvernement dans tous les pays du monde, c’est comme ça. Une Mission de maintien de la paix n’est pas déployée dans un pays pour faire la guerre. Et c’est cela que les gens ne comprennent pas. Les gens s’imaginent qu’une mission de maintien de la paix est déployée pour faire la guerre et finir l’ennemi. Une Mission de maintien de la paix s’appelle « maintien de la paix ». Notre objectif, c’est d’aider le Gouvernement, les institutions nationales, les forces de sécurité nationales, à assumer la responsabilité de protection de leurs populations, de leur territoire, de leurs frontières.

Bien évidemment, c’est nécessaire d’opérer comme on le fait aujourd’hui. Opérer avec les autorités. Les Guatémaltèques, on ne les a pas fait partir, ils sont toujours là. Nous avons même ramené des Brésiliens. L’objectif n’est pas, pour ces gens, de faire la guerre mais d’aider les FARDC, de former les FARDC aux techniques de guerre dans la forêt et à faire face à des groupes armés qui utilisent des techniques subversives, terroristes, et qui sont cachés dans les forêts.

Donc, la première mission quand on parle de protection, c’est la protection à long terme, c’est la protection par la justice, c’est la protection dans les communautés, parce que pour la plupart des situations en RDC, on fait face à des groupes armés qui sont basés à l’intérieur du territoire, qui côtoient les populations, qui vivent avec les populations.

Donc, ce n’est pas par la guerre seule que vous allez régler les problèmes. Vous allez régler les problèmes lorsque l’Etat est renforcé, présent partout. Lorsque [vous allez résoudre] les causes profondes. Pas lorsque vous avez des groupes armés qui accaparent des richesses du sous-sol du Gouvernement, qui exportent ces ressources sans donner un seul centime aux caisses de l’Etat. Pas lorsque des tonnes d’or, de coltan, de cassitérite qui constituent la richesse de ces zones [ne sont pas contrôlées par l’état], c’est sur cela qu’il faut travailler. Pas lorsque les gens n’ont pas la garantie d’exploiter leurs terres et d’être protégés sur leurs terres et donc, ils ne les exploitent pas. Et donc, des millions d’hectares arables qui peuvent ramener beaucoup d’argent de la RDC sont laissés à l’abandon, parce que les gens sont dans des camps, parce qu’ils ont peur d’y aller parce qu’ils ne sont pas protégés.

Donc, je pense qu’il faut qu’on soit d’accord lorsqu’on parle de la protection des civils parce que j’ai l’impression que parfois il y a une confusion et il y a une mauvaise interprétation de ce qu’une Mission de maintien de la paix vient faire dans un pays. [On croit qu’] elle vient faire la protection des civils, elle vient faire la guerre. On va bombarder, on va tuer des centaines de Congolais, et puis, si les Congolais sont morts, et on tue en plus de civils, ce sont des dommages collatéraux, donc c’est cela guerre, c’est normal. Est-ce que vous pensez qu’une Mission de la paix peut faire cela ? Est-ce que vous pensez que nous sortirions vivants si on allait bombarder avec un avion, tuer des femmes congolaises ou des enfants ?

Leila Zerrougui

Vous, vous allez venir m’attaquer ici. Vous allez venir me dire : vous êtes venus nous protéger pas pour bombarder des gens, vous avez tué des civils... Donc, nous ne pouvons pas nous comporter comme une armée normale. Nous avons comme rôle de veiller, on fait de la prévention, on ne fait pas de la réaction. Même si parfois, on est obligé de réagir, on le fait et on l’a fait.

Notre rôle premier, c’est de renforcer les capacités régaliennes de l’Etat, de l’armée congolaise, de la police congolaise, de la justice, de travailler ensemble à renforcer la société civile qui peut aider justement à ce qu’on identifie les problèmes, à ce qu’on sanctionne autrement. Ce n’est pas seulement par la guerre. La guerre, c’est toujours en dernier ressort. Il ne faut pas l’oublier, la guerre détruit. Après la guerre, il vous faut des décennies pour reconstruire ce que la guerre peut détruire.

Donc, notre objectif, c’est de travailler ensemble, pour justement réduire la nuisance de ceux quipensent encore qu’ils peuvent s’imposer par la force, faire en sorte que l’Etat soit suffisamment fort pour imposer son autorité là où la menace existe.

J’aimerais revenir sur l’aspect qui concerne l’avenir des miliciens qui déposent les armes. Tout à l ’heure, vous avez épinglé et martelé que la MONUSCO ne peut pas prendre en charge, ni participer à la prise en charge de ces miliciens parce qu’ils ont commis des crimes et ce qu’ils ont fait a des répercussions sur la population qui vit à l’est de la RDC. Et vous êtes en train de lutter pour qu’ils ne soient ni amnistiés, ni incorporés dans l’armée congolaise. Mais concernant l’aspect d’être traqués par la justice, je peux estimer que c’est depuis très longtemps que vous êtes en train de mener ce combat. Mais, est-ce que devons-nous considérer que vos cris ne sont pas considérés par les autorités nationales ?

Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Vous savez, quand je dis qu’il ne faut pas récompenser les crimes, il ne faut pas que quelqu’un qui viole, qui tue, qui massacre les populations civiles, puisse venir exiger. Généralement, le processus d’amnistie existe à la fin de la guerre : dans les guerres de libération, dans les guerres où il y a eu des belligérants qui se sont faits la guerre. Je comprends qu’en 2006, il y ait eu amnistie pour pouvoir tourner la page, faire des élections et tourner la page, entre des belligérants qui se sont fait la guerre. Bon, je n’aime pas l’amnistie parce que l’amnistie, c’est effacer les faits. Je ne l’aime pas. Je suis juge de carrière. Donc, je n’aime pas qu’on efface des faits. Je trouve qu’on doit regarder la vérité et on peut pardonner.

Cela ne veut pas dire qu’on doit mettre tout le monde en prison. Ce n’est pas l’objectif. Par exemple,vous vous souvenez en Afrique du Sud, ils ont décidé d’avoir un processus de justice transitionnelle. La société peut décider et dans la justice africaine, on peut venir dire qu’est-ce qu’on a fait, demander pardon, réparer la victime. Cela peut être une réponse. Ce n’est pas seulement l’enfermement ou la prison.

Mais, il faut qu’il y ait une forme de justice réparatrice, demander pardon, reconnaitre ses torts...ça dépend, chaque pays a son modèle, et on peut discuter des modèles. Mais quand l’amnistie se proroge... En 2006, on a fait une amnistie qui a couvert la période 1993 à2006. Et puis en 2009, j’étais ici chez vous, on a prorogé l’amnistie pour intégrer le CNDP, n’est-ce pas, jusqu’en 2009. Et puis, en 2013, moi je n’étais plus là, on a prolongé encore pour intégrer le M23.

Et puis maintenant on a encore le FRPI, il faut encore prolonger de 2013 à aujourd’hui. Et demain, il y aura quelqu’un autre, donc il n’y aura jamais la paix puisque je sais qu’à la fin, je négocie et je suis amnistié. C’est pourquoi je dis que nous, en tant que Nations Unies, mais aussi en voyant l’expérience qui n’a pas réglé ce problème-là, n’a pas réduit les groupes armés, n’a pas permis au pays de tourner la page où c’est tout le pays qui était embrasé. Donc nous, ce que nous disons, c’est que nous comprenons les difficultés. Pourquoi on accepte de céder ? Parce qu’on n’a pas d’autres moyens pour imposer la paix.

Mais je pense qu’aujourd’hui, l’Etat ne doit pas céder. D’abord, il est suffisamment fort et en mesure de ne pas céder à cela. On peut travailler pour tourner la page et faire la paix, une fois que les gens ont accepté le principe que ce sont d’abord les victimes et les populations qui doivent être prises en charge. Nous avons dit que nous sommes prêts à travailler sur l’intégration communautaire, sur les programmes économiques parce que quand on fait une route, on ouvre un village et on permet l’accès.

On va rapprocher la paix lorsqu’on va aider une population à pouvoir gagner ses moyens pour vivre, lorsqu’on peut dire qu’on va travailler pour tourner la page. On peut travailler pour ramener la paix, la sérénité, le pardon et tout cela. Il ne faut pas l’exigence au départ : « Moi je ne fais rien et je dis juste que je veux déposer les armes et je veux l’amnistie, et je veux des grades que je n’ai pas mérités, sauf en tuant d’autres gens et je rentre dans l’armée ».

L’armée est censée protéger la population contre les forces négatives. Elle n’intègre pas les forces négatives. Cela a été fait par le passé, je pense qu’il faut savoir tourner cette page. Je pense que c’est une demande qui vient même des autorités. Je l’ai senti dans le Nord-Kivu, dans le Sud-Kivu, dans l’Ituri, même auprès des autorités.

Je pense qu’il faut qu’on encourage ce processus et qu’on tourne définitivement la page des gens qui prennent les armes et qui demandent à réintégrer, à rentrer dans l’armée. Vous allez voir que cela va couper les appétits. Vous allez voir que les gens vont réfléchir par deux fois avant de dire « je vais prendre les armes » parce qu’ils sauront qu’il n’y aura pas de récompense.


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