Quatre corps ont été retrouvés après les manifestations politiques du 9 juillet 2020
Cette enquête devrait être exhaustive, indépendante et impartiale et inclure la vérification d’informations crédibles selon lesquelles d’autres personnes sont portées disparues et ont peut-être été victimes de disparitions forcées. Les enquêteurs devraient également vérifier des informations selon lesquelles les quatre hommes retrouvés morts avaient été détenus dans un bâtiment militaire à Lubumbashi, dans le sud du pays, à la suite d’une manifestation le 9 juillet 2020.
« La découverte macabre de cadavres jetés dans la rivière quelques
jours après une manifestation politique constitue un avertissement glaçant au
sujet de la liberté d’expression en RD Congo », a déclaré Thomas Fessy,
chercheur principal sur la RD Congo chez Human Rights Watch. « Dans un
contexte de vives tensions politiques, aucune piste ne doit être négligée et les autorités
devraient poursuivre la recherche de la justice, où que l’enquête les
mène. »
Le 8 juillet, des membres du Parti du peuple pour la
reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila et
des partisans de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de
Tshisekedi – qui font tous deux partie de la coalition au pouvoir – se sont affrontés dans les rues de Lubumbashi. Le 9 juillet 2020, des
manifestations massives se sont déroulées dans plusieurs villes, en
protestation contre la validation hâtive par l’Assemblée nationale d’un nouveau
président à la tête de la commission électorale nationale. Plusieurs sources
ont confirmé qu’au moins 16 personnes avaient été arrêtées et placées en
détention dans une concession de la 22ème région militaire à la suite des
manifestations à Lubumbashi.
Le 12 juillet, le cadavre de Dodo Ntumba, 49 ans, a
été retrouvé flottant sur la rivière Lubumbashi. Le 13, les corps de Mardoché
Matanda et Héritier Mpiana, tous deux âgés de 18 ans, ont à leur été repêchés
de la rivière. Le 3 août, les membres de la famille de Danny Kalambayi, 29 ans,
ont reconnu son corps à la morgue, près d’un mois après l’avoir vu pour la
dernière fois. Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que les quatre
cadavres présentaient des traces de coupures et de mutilations, qui pourraient
être le résultat d’actes de torture. Ils étaient tous membres du parti de Félix
Tshisekedi.
Human Rights Watch s’est entretenu avec 39 personnes :
membres des familles des victimes et de leur parti politique, avocats,
activistes, responsables gouvernementaux et sources médicales, judiciaires et
sécuritaires. Les sources ont confirmé que certains manifestants avaient été
détenus par l’armée à la suite du rassemblement, mais on ignore encore leur
nombre exact et ce qu’il leur est arrivé. L’enquête devrait établir si les
quatre hommes récemment retrouvés morts faisaient partie de ce groupe et si
d’autres sont toujours portés disparus et ont été victimes de disparitions
forcées, a déclaré Human Rights Watch. Elle devrait également expliquer de quel
pouvoir légal les militaires étaient investis lorsqu’ils ont placé ces
manifestants en détention.
Ces décès surviennent dans un contexte de répression
croissante depuis le début de l’année, récemment documentée par Human Rights Watch. Les tensions politiques et l’insécurité sont également
en hausse dans la province du Haut-Katanga, où les organisations de la société
civile ont exprimé leur préoccupation à plusieurs reprises ces derniers mois. Bien des
divisions politiques s’inscrivent dans une logique ethnique, ravivant les tensions entre natifs du Katanga et immigrés, et leurs
descendants, de la région du Kasaï.
Le Haut-Katanga est le fief historique du PPRD, tandis
que celui de l’UDPS se trouve dans la région voisine du Kasaï. Plusieurs
personnes ont été blessées, certaines à coups de machette, dans les
affrontements du 8 juillet, selon les organisations locales de défense des
droits humains. Un responsable de la ligue des jeunes du PPRD, Pathy Zingi,
surnommé « Pathy Benz », a démenti, dans un entretien avec
Human Rights Watch, des allégations selon
lesquelles il aurait fourni des machettes aux membres du parti.
Lors des manifestations du 9 juillet, la police a tué
deux manifestants à Lubumbashi. De nombreux autres ont été blessés dans la
mêlée. Des manifestations se sont également déroulées dans la capitale,
Kinshasa, où au moins une personne a aussi été tuée. Des manifestants ont
frappé à mort un agent de police tandis qu’un autre agent a été grièvement
blessé.
Des proches de Matanda, qui avait participé à la
manifestation du 9 juillet, ont affirmé à Human Rights Watch qu’étant sans
nouvelles de lui après le rassemblement, ils étaient allés à sa recherche et
l’avaient retrouvé le 11 juillet, détenu dans un bâtiment de la 22ème région
militaire dans le quartier Golf. « Un militaire l’a appelé et il s’est
levé », a affirmé un membre de sa famille. « Nous l’avons vu
et avons vu les vêtements qu’il portait. Ils nous ont demandé 300 dollars [pour
le libérer] mais nous n’avions pas une telle somme. » Des proches qui
l’ont par la suite identifié à la morgue ont affirmé qu’il portait les mêmes
vêtements que lorsqu’ils l’avaient vu en détention. Des photos que Human Rights
Watch a pu voir révèlent un corps marqué de coupures, des ecchymoses au visage et,
semble-t-il, des brûlures.
Les proches de Mpiana ont affirmé qu’il était allé à
la manifestation le 9 juillet et n’était pas rentré. « Nous sommes
allés à sa recherche dans les cachots de police, les hôpitaux et les morgues,
mais nous ne l’avons pas trouvé », a déclaré son père, Germain Kazadi.
« Il a eu la tête fracassée – ils ont dû le frapper à la tête comme
s’ils voulaient tuer une chèvre – et ils lui ont coupé les oreilles. On lui a
ouvert le ventre [lors de l’autopsie] pour vérifier s’il s’était noyé mais ce
n’était pas cela. »
Des proches de Ntumba, lui aussi porté disparu après
la manifestation du 9 juillet, et des membres de l’UDPS ont affirmé que son
cadavre présentait des marques qui pourraient résulter d’actes de torture. « Nous
avons vu des traces de brûlures, ses tétons avaient été coupés, ses oreilles
arrachées et ses lèvres coupées », a affirmé le représentant local de
l’UDPS, Bruno Tshibangu. « Il avait des cordes aux bras liés à un
piquet. »
Les corps de Matanda, Mpiana et Ntumba ont été
retrouvés près du pont de Tshondo, dans le quartier Gécamines.
Des sources confidentielles, qui ont lu les rapports
d’autopsie de Ntumba et Mpiana, ont affirmé que ces rapports indiquaient que
les deux hommes étaient décédés de « mort violente », du fait
de traumatismes résultant de coups et blessures, suggérant qu’ils avaient été
tués de manière préméditée.
Human Rights Watch a également reçu des informations
crédibles selon lesquelles d’autres personnes ayant participé à la
manifestation du 9 juillet pourraient être encore portées disparues. Ces
indices de possibles disparitions forcées devraient être vérifiés, et les
témoins ou les membres des familles qui se feraient connaître devraient
bénéficier d’une protection. Les forces de sécurité congolaises devraient
rendre publique les listes complètes des personnes arrêtées après la
manifestation et de celles qui ont été remises en liberté.
Le gouverneur de la province du Haut-Katanga, Jacques
Kyabula, membre du PPRD, a déclaré par téléphone à Human Rights Watch que son
bureau avait saisi la justice pour l’ouverture d’une enquête après la
découverte des corps. « Je ne sais pas s’il y a encore des
disparus », a-t-il dit. « Nous attendons les conclusions de
l’enquête [ouverte le
13 juillet 2020]. »
Conformément aux obligations de la RD Congo découlant
du droit national et international en matière de droits humains, l’enquête
devrait être capable d’établir les circonstances ayant entouré les décès de ces
quatre hommes, notamment s’ils sont morts à la suite de tortures ou d’autres
mauvais traitements lorsqu’ils étaient en détention. Selon le droit
congolais, les militaires ne sont pas habilités à détenir des civils dans des
locaux de l’armée à moins qu’ils soient impliqués dans une infraction à
caractère militaire.
« Ces meurtres semblent s’inscrire dans une
escalade alarmante des rivalités politiques au sein de la coalition au
pouvoir », a affirmé Thomas Fessy. « Le sort de ces quatre
hommes, ainsi que celui des personnes qui seraient toujours portées disparues,
devraient faire l’objet d’une enquête approfondie et les responsables devraient
être identifiés et poursuivis dans le cadre de procès équitables. »
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