La Cour pénale internationale devrait enquêter sur les
massacres commis dans cette zone où sévit le virus Ebola
Des combattants non identifiés ont tué plus de 1.000
civils sur le territoire de Beni, dans l’est de la République démocratique du Congo, au cours
d’une série de massacres qui a commencé il y a quatre ans, a déclaré
aujourd’hui Human Rights Watch. Le 22 septembre 2018, des combattants ont tué
17 personnes dans la ville de Beni, portant le nombre de civils tués cette
année à au moins 235 personnes. Le 24 septembre, des combattants ont attaqué la
ville d’Oïcha et enlevé 16 personnes, pour la plupart des enfants, qui sont
toujours portés disparus.
Le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale
(CPI) devrait étendre le champ de son enquête sur la RD Congo pour couvrir les
attaques qui ont commencé à Beni le 2 octobre 2014, a déclaré Human Rights
Watch. La mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo (la
MONUSCO) devrait renforcer ses capacités d’analyse et son engagement communautaire
pour faire la lumière sur les responsabilités pour les attaques et améliorer la
protection des civils.
« Les meurtres brutaux d’habitants de Beni ne
cesseront pas tant que les commandants des forces responsables ne seront pas
traduits en justice », a souligné Ida Sawyer,
directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Puisque
les autorités congolaises n’ont pas enquêté ni ouvert de poursuites judiciaires
de manière crédible pour ces atrocités, la Cour pénale internationale devrait
enquêter en vue de futurs procès. »
Selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet conjoint mené par Human Rights Watch et le Groupe d’étude sur le Congo, au moins 235 personnes ont été tuées au cours de plus de 100 attaques menées à Beni entre janvier et septembre. Beaucoup ont été tués à coups de hache ou de machette, ou encore par balles. Plus de 165 civils ont été kidnappés ou enlevés pour obtenir une rançon, et des dizaines d’autres ont été blessés ou ont disparu cette année.
Selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet conjoint mené par Human Rights Watch et le Groupe d’étude sur le Congo, au moins 235 personnes ont été tuées au cours de plus de 100 attaques menées à Beni entre janvier et septembre. Beaucoup ont été tués à coups de hache ou de machette, ou encore par balles. Plus de 165 civils ont été kidnappés ou enlevés pour obtenir une rançon, et des dizaines d’autres ont été blessés ou ont disparu cette année.
Ces attaques compliquent les efforts visant à endiguer la
flambée de virus Ebola qui a fait au moins 70 morts depuis le mois d’août. Le
risque de voir cette épidémie s’aggraver est renforcé, alors que les soignants
ne peuvent accéder à certaines zones à cause de l’insécurité, et que
l’Organisation Mondiale de la Santé considère que la menace est
« imminente » pour l’Ouganda, pays voisin.
Human Rights Watch a mené sept visites de recherche sur
le territoire de Beni au cours de ces quatre dernières années et a parlé à plus
de 200 victimes et témoins des attaques, ainsi qu’à des responsables de l’armée
et du gouvernement congolais, de l’ONU, et d’autres personnes.
Des représentants
du gouvernement congolais et de l’armée ont
affirmé à plusieurs reprises que la quasi-totalité des attaques commises à
Beni étaient le fait des Forces démocratiques alliées (ADF), groupe armé
islamiste ougandais présent dans la zone depuis 1996. Mais les recherches de
Human Rights Watch, de même que les conclusions du Groupe d’experts de l’ONU sur le
Congo, du Groupe d’étude sur le Congo basé
à New York et d’organisations congolaises de défense des droits humains,
suggèrent que d’autres groupes armés ainsi que certains officiers de l’armée
congolaise ont été impliqués dans la planification et l’exécution de beaucoup
de ces attaques. Les ADF semblent aussi s’être scindés en plusieurs factions,
certains de ces combattants travaillant avec des groupes armés locaux.
En 2016, le Groupe d’experts de l’ONU a établi que
le Général de brigade Muhindo Akili Mundos, commandant de l’armée congolaise
qui entretient des liens étroits avec le Président
Joseph Kabila, et qui était en charge des opérations contre les ADF
d’août 2014 à juin 2015, avait formé un nouveau groupe armé en recrutant des
combattants des ADF, d’anciens combattants de groupes armés locaux connus sous
le nom de Mai Mai, et d’autres personnes. Ce groupe a été impliqué dans
certains massacres commis sur le territoire de Beni depuis octobre 2014,
toujours selon le Groupe d’experts.
Le général Mundos a été sanctionné par l’Union européenne en
mai 2017, et par le Conseil de sécurité de l’ONU en
février 2018, en raison de son implication présumée dans de graves
violations des droits humains, y compris à Beni. Le Brigadier Général avait été
déployé en Ituri à la mi-2015, et dans la ville de Bukavu, à l’est, en
août 2018. On ignore s’il joue un rôle dans les tueries commises
actuellement.
Après une accalmie relative à Beni pendant la majeure
partie de 2017, les attaques ont repris en septembre de cette même année. Puis,
le 7 décembre, des combattants non-identifiés ont
attaqué une base militaire de l’ONU sur la route
de Mbau-Kamango, tuant 15 casques bleus tanzaniens et 5 soldats congolais, et
faisant 43 blessés parmi les forces de maintien de la paix. Un casque bleu
tanzanien est toujours porté disparu. Le Secrétaire général des Nations Unies a qualifié cet
événement de « la pire attaque contre les soldats de
la paix de l’histoire récente de l’Organisation ». Deux autres
attaques en septembre et octobre avaient précédemment causé la mort de quatre
casques bleus et en avaient blessé 19 autres.L’ONU a accusé les ADF d’être responsables de
ces attaques.
L’armée congolaise a lancé une nouvelle opération
militaire contre des groupes armés à Beni en janvier – cette fois sans le
soutien de la MONUSCO. Menée par le Général Marcel Mbangu, l’armée a promis qu’il
s’agirait de « la dernière opération militaire pour restaurer la paix
et la sécurité dans la région ». Pourtant, cette nouvelle offensive a
coïncidé avec une hausse des attaques contre les civils, selon
des chercheurs indépendants et le Groupe d’experts de l’ONU.
Tout comme lors des précédentes opérations militaires à
Beni, de nombreux civils locaux ont constaté l’inefficacité des efforts de
l’armée, et son incapacité à réagir quand les habitants signalent une attaque
ou la présence suspecte d’hommes armés.
« La seule chose qu’ils font, c’est se protéger
eux-mêmes », a dit un cultivateur de Beni à Human Rights Watch.
« Quand ils attaquent des groupes armés, ils se contentent de les
repousser, mais ils ne cherchent pas réellement à les intercepter. »
« J’ai vu quelques dizaines de personnes piller
la petite boutique juste en face de chez nous, puis tuer le propriétaire »,
racontait un habitant du coin au sujet de l’attaque menée le 22 septembre dans
la ville de Beni. « Comment ont-ils réussi à passer le camp militaire
qui est tout près ? Les soldats et les policiers se sont simplement
enfuis. Nous sommes abandonnés, et on nous a jeté dans la gueule du lion. »
Une cour militaire opérationnelle
congolaise de Beni, qui n’est assortie d’aucun processus d’appel, a jugé
environ 180 suspects pour leur rôle présumé dans ces meurtres, et
notamment des présumés combattants des ADF, des civils accusés de collaborer
avec les ADF et des militaires congolais. En janvier, plus de 130 personnes ont
été condamnées, dont trois colonels de l’armée. Les autorités congolaises n’ont
pas enquêté sur le rôle présumé du général Mundos. Des observateurs
indépendants présents lors du procès ont fait part de nombreuses raisons de
douter de sa crédibilité, et notamment des cas de subornation de témoins, des
irrégularités de procédures pour les accusés, et le manque d’enquêtes approfondies sur
les pistes relatives à l’implication potentielle de commandants plus haut
gradés. Des défenseurs des droits humains et des chercheurs indépendants ont
déclaré avoir été intimidés par des responsables des services de sécurité
congolais, et plusieurs ont été contraints de fuir la région.
La CPI est compétente pour juger les crimes internationaux
graves commis en RD Congo. Elle y a ouvert une enquête en juin 2004 et a jugé
plusieurs affaires, mais la CPI n’a pas engagé de poursuites pour des crimes
récents.
Depuis des années, des mouvements de jeunes et
organisations de défense des droits humains congolais organisent des manifestations pacifiques pour
demander que cessent les tueries à Beni, et exiger un engagement international
pour améliorer la sécurité et traduire les responsables en justice. Les forces
de sécurité congolaises ont frappé ou arrêté des manifestants pacifiques au
cours de ces rassemblements, y compris dans la capitale, Kinshasa, où 29
personnes ont été arrêtées le
27 septembre.
« En quatre ans, le gouvernement congolais s’est
montré incapable de mettre un terme aux abus et aux souffrances à Beni »,
a souligné Ida Sawyer. « Beni a besoin de davantage d’action
internationale pour protéger les civils, traduire les coupables en justice, et
aider les soignants qui s’efforcent de lutter contre Ebola. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire