Les autorités devraient mettre fin à la répression
visant des opposants politiques présumés
(Kinshasa, le 23 février 2016) – Les autorités de la République
démocratique du Congo ont arrêté de façon arbitraire huit jeunes
activistes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces activistes et au
moins 30 partisans de l'opposition politique ont été détenus le 16 février 2016
– ou aux alentours de cette date – lors d’une grève générale, ou journée
« ville morte », tenue afin de protester contre les retards pris dans
l’organisation des élections présidentielles. D’autres activistes ayant soutenu
la« ville morte » ont reçu par SMS des menaces provenant de numéros
de téléphone inconnus.
« Manifester pacifiquement n’est pas un crime, et
les autorités congolaises devraient immédiatement libérer toutes les personnes
injustement arrêtées ou détenues sous des accusations fallacieuses », a déclaré Ida Sawyer,
chercheuse senior sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Ces dernières
arrestations s’inscrivent dans le cadre d'une répression de plus en plus forte
contre ceux qui s’opposent aux tentatives du gouvernement de retarder les
élections et de prolonger le mandat du président en exercice. »
Le 16 février, vers 4h30 du matin, dans la ville de
Goma dans l’est de la RD Congo, la police a pénétré dans les bureaux d'une
organisation où de jeunes activistes avaient préparé toute la nuit des
bannières en vue de la journée « ville morte ». Une des bannières
portait cette inscription : « En 2016, nous avons gagné la coupe [du
Championnat d’Afrique des nations de football]; nous pouvons aussi gagner la
démocratie ».
La police a arrêté Rebecca Kavugho, Serge Sivya,
Justin Kambale, John Anipenda, Ghislain Muhiwa, et Melka Kamundu, tous membres
du mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA). Les six ont été conduits
au poste de police « P2 » de Goma, où ils ont été interrogés en
l’absence d'un avocat. La police a également confisqué deux ordinateurs
portables, six téléphones cellulaires et les bannières. Quand Human Rights
Watch a rendu visite aux activistes détenus ce soir-là, l'un d'eux avait une
profonde entaille au bras gauche qui lui avait été infligée lors de son
arrestation.
Le 17 février, vers midi, une vingtaine d'étudiants de
Goma se sont rassemblés devant le poste de police P2, protestant pacifiquement
contre les arrestations. Ils brandissaient des pancartes disant : « Nous
exigeons la libération de nos collègues arrêtés hier et détenus ici ».
Une vingtaine de policiers ont rapidement dispersé les manifestants, arrêtant
et passant à tabac plusieurs d’entre eux. Si la plupart ont été relâchés après
quelques heures, un étudiant a passé la nuit en détention. Ce dernier a déclaré
plus tard à Human Rights Watch qu’un policier au P2 l’avait battu avec la
crosse de son fusil, le blessant à l’oreille droite. La police l’a ensuite
transféré dans un cachot à la mairie. Il a été libéré le lendemain, sans
inculpation, après que sa famille ait payé US$30.
Peu de temps après la manifestation devant le poste de
police, la police a déféré les six activistes de la LUCHA au parquet. Sur
place, ils ont été accusés d’association de malfaiteurs et de tentative
d'incitation à la révolte, des chefs d’accusation qui semblent être
politiquement motivés, selon Human Rights Watch.
Leur procès a débuté le 18 février au Tribunal de
Grande Instance de Goma, où ils ont été accusés d’avoir été « pris en
flagrant délit ». Les avocats des activistes ont affirmé que le Tribunal
avait perdu sa compétence, car il ne peut entendre une déposition que dans un
délai de 48 heures après la date du délit reproché. Lors d’une audition le
lendemain, mis à part un policier, aucun autre des policiers appelés à
témoigner au sujet des arrestations ne s’est présenté au tribunal. Les juges
ont alors décidé de traiter cette affaire en procédure ordinaire, au lieu de la
traiter pour « flagrant délit » – où un verdict aurait été requis
immédiatement.
Dans la capitale, Kinshasa, deux autres activistes de
la LUCHA, Bienvenu Matumo et Marc Héritier Kapitene, ont été portés disparus
d’un hôtel de la commune de Bandal tôt dans la matinée du 16 février. Vers
5h40, l'un des activistes a envoyé à un ami un message par téléphone
disant : « arrêté ». La veille au soir, les deux jeunes
hommes avaient assisté à une réunion avec d'autres activistes du mouvement en
vue de préparer la journée « ville morte ». Juste après, Victor
Tesongo, un membre d’un parti politique d’opposition qui avait rencontré les
activistes du mouvement LUCHA à la fin de leur réunion, a été arrêté en
rentrant chez lui.
Les trois sont restés portés disparus jusqu’au 19
février, lorsqu’ils ont été transférés d’un centre de détention de l’Agence
Nationale de Renseignements (ANR) au parquet. Jusque-là, ils étaient restés
injoignables par téléphone, et leurs familles et collègues n’avaient pas pu les
trouver. Ils avaient d’abord été détenus au cachot de l’inspection provinciale
de la police de Kinshasa, et ensuite transférés à l’ANR le 18 février. Human
Rights Watch avait contacté des agents de sécurité pour se renseigner sur les
activistes disparus, mais les fonctionnaires n'avaient pas confirmé leur
arrestation ni fourni d’informations sur l’endroit où se trouvaient ces
activistes, suscitant des inquiétudes de disparitions forcées. Lors d’une
audience au parquet dans la commune de Gombe à Kinshasa le 20 février, Matumo,
Kapitene, et Tesongo ont été placés sous mandat d’arrestation provisoire pour
« incitation à la désobéissance civique, propagation de fausses nouvelles,
et atteinte à la sureté intérieure de l’État ».
Des activistes de la LUCHA ont déclaré à Human Rights
Watch croire que la police surveillait étroitement leurs activités depuis au
moins novembre 2015, lorsque des responsables sécuritaires avaient brutalement réprimé une manifestation pacifique du mouvement à
Goma. Au cours de cette manifestation, deux activistes du mouvement LUCHA et
sept autres personnes avaient été arrêtés. Ils sont toujours en détention et
leur procès en cours, sur la base de chefs d’accusation fabriqués de toutes
pièces.
« Les autorités congolaises semblent déterminées
à réprimer la liberté d'expression et le droit de manifester
pacifiquement », a déclaré Ida Sawyer. « Les gouvernements
concernés devraient faire pression sur la RD Congo pour qu’il relâche
immédiatement les manifestants pacifiques qu’il a placés en détention et qu’il
mette fin à la répression politique ».
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